LA ROUTE, ET LA DÉROUTE
Vivre sur la route, le rêve américain ? Pas nécessairement celui auquel aspiraient ceux que Jessica Bruder a rencontrés. Son enquête ethnographique, Nomadland, se penche sur le destin des propriétaires de véhicules récréatifs qui sillonnent
les routes américaines à la recherche d’un avenir meilleur.
Aux États-Unis, la crise économique de 2009, avec son lot de faillites et de saisies immobilières, a fait grossir les rangs des nomades sur roues. Jessica Bruder en a rencontré des dizaines et a partagé leur quotidien durant trois ans, et plus de 15 000 miles, afin de dresser leur portrait.
Si l’essai Nomadland se concentre sur le quotidien à bord d’un recreational vehicle (RV, des véhicules récréatifs, souvent un camping-car de grande taille) — le travail, les amitiés, la route — les enjeux fondamentaux qui en ressortent sont ceux de la précarité et du vieillissement. On est loin du rêve idyllique d’autonomie et de grande nature que vantent les vendeurs de RV.
SURVIVRE EN AMÉRIQUE
Pour « survivre en Amérique au XXIe siècle », comme le dit le sous-titre de l’édition originale, les « RVers » se font engager pour des petits boulots saisonniers sous-payés, sans avantages sociaux, et extrêmement physiques. Jessica Bruder n’hésite pas à parler d’une « économie parallèle », où le travail précaire est la seule option pour qui n’a ni études, ni fonds de pension.
Heureusement, des sous-communautés se forment rapidement parmi les RVers, unis par les circonstances ou le travail aliénant. La vie n’est pas facile pour autant quand le moindre pépin (mécanique, financier ou autre) met en péril l’équilibre qui rend possible la vie sur la route. Si on rajoute le vieillissement dans l’équation, on en vient à admirer la débrouillardise et l’optimisme des gens que Jessica Bruder croise sur son chemin.
CONTRE MAUVAISE FORTUNE
Qu’ils vivent dans un mini-van, un bus reconverti ou un véhicule récréatif de seconde main retapé, les RVers font contre mauvaise fortune, bon coeur. Mais, comme nous en avertit l’auteure, il ne faudrait pas s’y méprendre. Il s’agit d’une stratégie de survie assumée plutôt que d’une retraite dorée.
À lire aussi, dans la même veine, Vivre sur la route de Célia Forget, qui nous transporte sur les « lignes rouges » américaines, les autoroutes que fréquentent la majorité des RVers. Plus académique par endroits puisqu’il découle d’une thèse de doctorat, l’ouvrage donne une perspective intéressante sur le concept de mobilité.
( NTL/Crédit photo : Adobe Stock, Mr Doomits, Globe )