Rock & Folk

HENRI LEPROUX

Historique club parisien, le Golf Drouot a fermé ses portes au début de la décennie 80. Son vénérable patron vient lui de s’éteindre.

- PAR PATRICK EUDELINE

Je devais avoir treize ans. Treize ans et demi ? En moins de six mois, j’avais perdu dix kilos, grandi de dix centimètre­s, forcé mon père (quelle lutte !) à m’acheter un Levi’s milleraies noir et une veste trois boutons verte (avec la poche ticket et la grande fente, ces détails me fascinaien­t) et j’avais une chemise Arrow (aujourd’hui, on dit Ben Sherman) pain brûlé, arrachée de haute lutte aux Magasins Réunis de la rue de Rennes. Et j’avais bien une dizaine de quarante-cinq tours. Achetés, d’occasion souvent, chez Disques et Musique rue de Rennes, pour la plupart. Des EP. Stones, Antoine, Dutronc. A la fin de l’année, ce serait Jefferson Airplane, Move et Spencer Davis Group. Et je lisais Rock&Folk. J’apprenais vite. Je faisais bien plus que mon âge. La photo de classe en attestait. J’étais mûr pour aller à la rencontre de mes semblables. Au collège Stanislas, nous étions deux... à disserter sur les mérites respectifs de Mike Bloomfield et des Ten Years After. Cela fait peu. Et je ne parle pas des filles. Dans mon collège de curés, c’était une abstractio­n. Un fantasme. C’est ainsi que je me suis retrouvé tous les dimanches au Golf Drouot. Parce que les boîtes ouvraient l’après-midi en ces années-là. Parce que j’étais bien trop jeune pour sortir le soir, parce que... Rock&Folk, comme Best, avait une rubrique Golf Drouot où l’on racontait l’actualité du lieu, les groupes programmés, le fameux Tremplin. Comme le reste du journal, cette rubrique, je l’apprenais quasi par coeur. Et au Golf Drouot... passaient des groupes live. Même le dimanche après-midi. J’avais bien tenté le dimanche au Rock’n’Roll Circus. Mais avec mon ami Tristan, nous tombâmes sur une surboum de minets (au sens qu’avait le mot à la fin de la décennie, évidemment. Costards Jean Raymond, banlieue et Weston. Ces minets-là étaient aux drugstorie­ns ce que les skinheads étaient aux mods. Une tendance dure, figée, bornée dans le déjà passé...). Ce fut donc le Golf Drouot. Qui allait être témoin de toutes mes premières fois. Une Odile embrassée dans l’arrière-salle, un premier chillum tiré, comme le son d’un ampli aux lampes chauffées à blanc. Odile allait me quitter pour le batteur de Tac Poum Système. Elle avait raison. Je n’étais rien. Un gamin aux cheveux trop courts encore, qui ne pouvait lutter. Tac Poum Système ? Parlons-en. Malgré ce nom bien contestabl­e, ils déchiraien­t. Entre le Floyd de “Point Me At The Sky” (qu’ils reprenaien­t) et les Stones. Amplis MI blancs, combinaiso­n blanche à patte d’éph comme Elvis et Polnareff, guitares Burns, chambre d’écho et reverb Fender à lampes. Stroboscop­es, comme Hawkwind plus tard, et light show. Ah, le Tac Poum ! Et puis il y avait Magpye. Ce genre de groupes dont seul Vincent Palmer se souvient. Magpye était sacrément bon. Entre british blues, hard rock naissant et Soft Machine. Si. Ce son ! Un guitariste fuzzy à Strato, qui jouait les parties de Mike Ratledge et un beau gosse en costard noir (j’adorais ce costard, avec cette veste portée courte et ces pantalons serrés) qui “jouait comme Peter Green”. Ils reprenaien­t “You Don’t Love Me” comme “We Did It Again” du Soft. Ils arrivaient à placer dans un même set une reprise de “Born To Be Wild” et des “Suites...” façon école de Canterbury, avec des rythmes à 11/4 et pire encore... Ils écoutaient donc les trucs chics et le préado que j’étais leur en savait gré (déjà snob, n’est-ce pas...). McLaughlin ou Larry Coryell (nous parlons d’un temps... hein ! Rock&Folk alors était frénétique quand on évoquait le Tony Williams Lifetime. Si). Et puis il y avait tous les autres. Storm, Pictures Of Life ou Heavy Moonshine, ces deux derniers flashaient sur Vanilla Fudge, ce qui n’était pas rien. Et puis tous les groupes français qui émergeaien­t. De Triangle aux Variations (les Variations, mon Dieu !) jusqu’à Pulsar (bof...), Alan Jack Civilisati­on (groupe culte s’il en est... avec rien moins que Claude Olmos à la guitare ! Celui des 5 Gentlemen) ou Ange (étonnammen­t bons à l’époque de leur premier 45 tours. On les comparait à Traffic.

Après, évidemment... Mais ce premier 45 tours — le second en fait, mais “Israël” n’est jamais sorti — j’adorais ses parties d’orgue Hammond et l’ai longtemps gardé. Avec cette ballade... “Tout Feu Tout Flamme”). Et puis des stars. Oui. The Aynsley Dunbar Retaliatio­n. Qui m’ont émerveillé. La batterie de Dunbar, la voix et le jabot de Victor Brox, ce Hammond... Ah oui ! Canned Heat. Qui m’ont déçu. Un laid Bob Hite, tout bide nu dehors, un Henri Vestine aux prunes. Wishbone Ash qui m’a toujours fait bâiller. Et... et Gene Vincent ! Le Gene. Accompagné par l’élite du rock français (les Sharks ! Rolling !). un Gene qui n’en avait plus pour longtemps. Qui s’enfermait dans les loges pendant de longues minutes alors que Bobby Clarke refaisait — bien obligé — un autre solo encore... Sur “Memphis Tennessee”. Le Golf.

Henri Leproux est mort. Voilà. Je partais de chez mes parents le plus tôt possible. Le Golf n’ouvrait qu’à 14 heures mais sur le coup de midi et demi, j’étais dehors. Je préférais flâner, traîner devant le drugstore Saint-Germain que subir la famille. Même le métro qui m’emmenait au Golf était un bonheur. J’achetais (en cachette) un paquet de cigarettes que j’allais fumer intégralem­ent pendant l’après-midi, vérifiais ma vêture et ma coiffure (entre Al Kooper et Syd Barrett — mes cheveux bouclaient et c’était donc là le choix le plus évident) et à deux heures, j’étais dans la queue. Dehors. Au 2 rue Drouot, métro RichelieuD­rouot. On accédait au Golf, juste à coté du Café d’Angleterre, comme on le verra, via un escalier tortueux. Un étage avant d’arriver à la caisse de Madame Colette, l’épouse d’Henri. Le Golf, unique en son genre, n’était pas une cave ! Ces escaliers, il fallait les monter (on pense à tous les organistes et possesseur­s d’amplis Marshall). On donnait nos dix francs. On avait droit, pour cette modique somme (le prix d’un 45 tours) à une consommati­on, et au groupe, bien sûr. Le DJ, c’était Jacques Chabiron ! Qui écrivait dans Rock&Folk. Une sacrée caution donc. Il avait donc le goût fort sûr et réussissai­t à faire danser les foules (enfin la centaine de postulants en piste) avec de la qualité. Je me souviens de ses “favorites”. C’est gravé si profond... “Bourrée” de Jethro Tull, “Carry On” de CSN&Y (celle-là me saoulait), “Cat’s Squirrel” dans la version de Blodwyn Pig (et non point, donc, celle des Cream ou l’original de Dr Ross, ou encore celle de Jethro Tull, ce Jethro si à la mode depuis le Rock’n’Roll Circus des Stones), “Out Demons Out” d’Edgar Broughton, “Bad Scene” des Ten Years After... Ah ! Et puis “Oh Well”, “Black Night”, “Race With The Devil”, “Hush”, “Paranoid” à satiété, “Somebody To Love” de l’Airplane, “Foxy Lady” et “Sunshine Of Your Love”, “Memphis Train” de Zoo avec Daydé, Daydé qui, accompagné de Claude Engel, allait sortir un disque à la Beck et... mais je m’égare. Ah ! Et “Better By You - Better Than Me” de nos héros Spooky Tooth. On n’y entendait ni “John Lee Hooker” de Johnny Rivers, ni John Kongos et son caverneux “He’s Gonna Step On You Again”, l’inévitable “In-A-Gadda-Da-Vida”, “Get Ready” de Rare Earth ou encore moins “Looky Looky” par Giorgio ou “Here Comes The Judge”, voire encore “Judy In Disguise” de John Fred. Tous ces morceaux certes fabuleux mais qui se vendaient dans les Monoprix, ces morceaux qui faisaient le bonheur des disc-jockeys plus mainstream, il les fuyait... Seuls certains incontourn­ables du hit-parade comme “I’m A Man” version CTA ou le “Honky Tonk Women” des Stones passaient sa rampe. Jacques Chabiron tenait à nous faire découvrir des choses ! Alors il plaidait pour le Pacific Gas And Electric ou le J Geils Band. Ou Flock. Et on entendait alors “Tired Of Waiting”, par ces derniers, trois fois dans l’après-midi. On passait donc devant Colette et sa caisse. Juste en face, des photos accrochées. Henri Leproux avec Jagger en 1965, avec un Bowie alors auréolé de “Space Oddity” mais qui n’était encore, le jour de sa programmat­ion au Golf, que David Jones, avec Johnny et Eddy... A gauche, la piste de danse et au fond la scène. Sur les murs, des peintures naïves représenta­nt des rockers en situation. A droite, deux salles. Le bar et la salle du fond. Je suppose qu’aujourd’hui on dirait la salle Chill-Out.... Cela y fumait sec, via des chillums entortillé­s dans des foulards indiens, ce qui n’était pas une mince affaire à l’époque. Et on y draguait. Evidemment. Il semble me souvenir que les disques programmés n’étaient pas les mêmes que dans la salle principale. Ici, c’était le royaume du Floyd de “More”, du “Moon In June” des Soft ou des trucs laidback de Grateful Dead. Par un prodige acoustique, les sons ne se mélangeaie­nt pas. Aucune repisse (comme on dit dans les studios) entre salle du fond et salle du Tremplin. Enfin, il me semble. Evidemment, je me fis vite des amis. De tous milieux sociaux, puisqu’à l’époque, des cheveux longs et une veste dite de charpentie­r en moleskine noire (Western House, le bon, celui de Stella Vander... avenue de la Grande Armée — c’est là qu’il fallait s’habiller) suffisait à vous identifier.

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