COURTNEYBARNETT
A peine arrivée dans le paysage, la jeune Australienne conquiert les coeurs avec de remarquables chansons sensibles mais électrifiées.
022 R&F SEPTEMBRE 2014
En Dr Marten’s, T-shirt et veste militaire, l’allure un rien voûtée, Courtney Barnett boit une gorgée de bière dans le verre du batteur de son groupe. Zéro minauderie, zéro frime chez cette fille format poche aux yeux bleus translucides. Timide, mais qui pourtant impressionne réellement. Sans doute parce qu’on vient de découvrir les chansons de cette Australienne de 26 ans, publiées sur deux EP et rassemblées aujourd’hui en un volume. Barnett fait des merveilles avec très peu. Ses mélodies tiendraient la route dans le simple carcan guitare/ voix, mais sont ici simplement orchestrées avec une classe velvetienne feutrée. La forme, le fond. La classe.
Crise d’angoisse
Plus grand monde n’y prête attention, mais on tient avec Courtney Barnett une parolière fulgurante, tout à la fois astucieuse, sincère, sensible, marrante, sombre. La jeune femme narre sa vie à Melbourne, gueules de bois, histoires sentimentales, mal-être. “C’est important, je crois, de montrer sa vulnérabilité quand on écrit des chansons, expliquait la chanteuse lors de son dernier passage parisien. Si quelque chose me rend triste, c’est bien d’écrire dessus pour l’évacuer. Ecrire des chansons est ma manière de supporter tout ce qui ne va pas, dans tous les domaines.” Sans jamais être larmoyante. Car les trouvailles ( le refrain en une phrase de 17 syllabes de “History Eraser”, les mots inattendus, la diction créative) prennent ici le pas. Avant de se fixer avec Bones Sloan et Dave Mudie, la paire basse/ batterie qui l’accompagne en tournée, Barnett s’est fait la corne en solo, six années de concerts avec sa guitare. “Une bonne école car on apprend à parler aux gens. Et comme je suis très timide, c’est formateur. J’ai appris à ne plus regarder mes pieds. J’ai aussi pu développer mon style et quand j’ai formé un groupe, au moins je savais ce que je voulais…” Elle a grandi dans un environnement assez ouvert, mère ballerine et donc férue de grande musique, père plus porté sur le jazz. Première guitare à 10 ans, quelques leçons, puis elle se met à écrire ses premières chansons à 18. Elle avoue des sources d’inspiration assez classiques : Beatles, Nirvana, PJ Harvey, David Bowie. Son premier EP, en 2011, “I’ve Got A Friend Called Emily Ferris”, elle le bricole quasiment seule chez elle. Pour l’anecdote, Brent DeBoer, le batteur des Dandy Warhols qui a fait sa vie en Australie, y joue un peu de batterie. De son côté, Barnett et ses musiciens jouent quelque temps dans Immigrant Union, le groupe country du batteur des Dandies, elle y tient la guitare slide. C’est en 2013 avec un deuxième sixtitres, “How To Carve A Carrot Into A Rose”, que la chanteuse se révèle véritablement. La progression y est démentielle et, cette fois, tout a été fait dans un vrai studio. Y figure ce single incroyable : “Avant Gardener”, six minutes tuantes, toutes de larsen et d’élégance électrique, avec cette fille au micro qui y raconte sa crise d’angoisse carabinée. “C’était un accomplissement personnel de terminer ça, d’autant que j’ai une légère tendance à la procrastination.” Depuis lors, les choses se sont emballées. Courtney Barnett est demandée partout et tourne sans relâche. En trio donc, ce qui, on l’a constaté lors du concert de la Boule Noire, était la meilleure des idées. Les deux gaillards font le boulot derrière tandis que la Courtney prend d’impeccables solos sur Telecaster et Harmony Rocket demi-caisse. “A trois, les chansons sont à l’os, réduites à leur plus simple expression. J’ai commencé à jouer à cinq, avec un tambourin, une deuxième guitare. C’était bien mais je préfère le trio.”
Un coup d’avance
Les salles, des clubs, sont complètes partout et Barnett a pu quitter son boulot de serveuse sans regret. La fille introvertie s’habitue désormais à sa nouvelle vie dans la lumière. “C’est irréel. C’est étrange. Tout le monde veut me parler. Quand on fait de la musique, on peut se dire que c’est possible de se faire une place avec Internet et tout. Mais c’est toujours incroyable quand ça arrive réellement. Avec le nombre de groupes et de musiciens qu’il y a... C’est assez marrant de voir que nous nous sommes glissés parmi les groupes populaires, un peu hype.” Il faut se réjouir car l’Australienne à la voix légèrement voilée possède, en plus, un coup d’avance. Son premier vrai album est bouclé, il sortira en début d’année prochaine. Un premier extrait est déjà en ligne, “Pickles From The Jar”. Nerveux, tendu et limite rockab, il indique, si besoin était, que Courtney Barnett est partie pour réaliser des choses grandioses.