INTERPOL
Après s’être octroyé une toujours périlleuse longuepause, le ténébreux groupe new-yorkais se rabiboche, en trio. L’amour et la bonne musique ont-ils perduré ?
Les sombres New-Yorkais auront donc survécu au départ de leur bassiste Carlos D, de l’aveu même du chanteur Paul Banks “une part très importante du groupe”, dont on restait sans grandes nouvelles depuis la sortie d’“Interpol”, quatrième album au titre aussi inspiré que son contenu : voici le groupe de retour après trois ans de hiatus, conformément aux déclarations du batteur qui annonçait en 2011 “une longue pause”, généralement un doux euphémisme pour séparation à l’essai. “El Pintor” est “plus immédiat” que l’ “Interpol” qui a mis le feu aux poudres et également ô combien plus imaginatif puisque le titre est cette fois l’anagramme de son nom, signifiant par ailleurs le peintre en espagnol. Banks défend bec et ongles le très incompris quatrième opus : “Un disque très important dans notre catalogue... Mais je ferais mieux de parler du nouveau, non ?”
Relation avec la ville
Positivons, le chanteur et (bien sûr...) peintre à ses heures, assis à une terrasse parisienne ensoleillée, n’élude pas les questions sur une éventuelle dissolution — mais laquelle ? “C’est simplement qu’on n’a pas travaillé ensemble depuis longtemps. Notre cas est différent, rappelle-t-il. Mes albums solo, c’est parce que je n’écris pas les titres d’Interpol. C’est le guitariste Daniel.” D’accord. Banks dira s’être quasi traîné aux pieds du bassiste pour qu’il revienne. Et même si l’expérience et deux disques solo lui auront prouvé, à lui au moins, qu’il pouvait écrire seul, il aura fallu batailler pour se remettre à écrire avec Interpol sans Carlos. “La première fois que Daniel m’a joué les chansons qu’il travaillait, j’avais ma guitare, mais sans la moindre idée, ce qui n’arrive jamais. J’ai compris pourquoi : parce que Carlos interprétait d’abord les idées de Daniel. Tant qu’il n’avait pas écrit de ligne de basse, je ne pouvais pas écrire de partie chantée. Donc le lendemain je suis arrivé avec une basse.” Et il ne l’a plus quittée, le groupe restant désormais un trio. Une forme d’hommage au “génie de Carlos” s’il vous plaît et “parce que ça nous plaisait de découvrir ce qui nous restait, sans Carlos, à trois. C’est presque plus facile en trio... A quatre, ça laisse plus de place au débat.” Que ceux qui verraient dans cet album une tentative pour retrouver, douze ans après, la splendeur passée de “Turn On The Bright Lights” se détrompent. “Si on avait Carlos, on pourrait essayer, mais je ne pense pas qu’on voudrait le faire.” Si “El Pintor” est, classiquement, inspiré par l’amour, naissant (“All The Rage Back Home”), ou problématique (“Same Town, New Story”), c’est souvent en relation avec la ville, New York, toujours New York : “Tout ce que nous faisons artistiquement sera un minimum inspiré par la ville, et New York, c’est notre port d’attache, mais j’ai découvert que je pouvais écrire à la plage. J’y ai écrit une grande partie de mon dernier album solo et des paroles de ce disque-ci. Au début je me suis demandé si je serais très inspiré, alors que je suis heureux, au soleil, que je fais du sport... Eh bien, si, parce que c’est un nouvel environnement. C’est bon de le dire pour tous les jeunes rockers avec un problème d’abus de substance : le bonheur peut être un état d’esprit très créatif.” Ils se reconnaîtront.
Persécution
Banks, lui, se défend d’avoir uniquement des idées de croque-mort : “Les gens ne comprennent pas... mais il y a aussi de l’humour dans notre musique... Sinon ce serait vraiment exagéré ! Heureusement, nos fans le savent. Si nous faisions tout le temps la gueule, il n’y aurait pas grand-chose à aimer.” Attention, l’homme est légèrement paranoïaque, se lançant dans des confidences pour demander aussitôt à ce qu’elles ne soient pas imprimées et par ailleurs mesurant diablement ses paroles : disons que la fin de “Breaker 1” qui proclame en italien “Mon Dieu, aidez-moi, je suis persécuté, et je suis fatigué de toute cette persécution” ne lui va pas trop mal. Il évoque Death From Above 1979 : “Quand ils se sont retrouvés pour un nouveau disque, le chanteur a dit : ‘Nous avons fait nos propres trucs entre-temps. On se reforme parce que vous n’arrêtez pas de nous le demander, donc si vous n’aimez pas ce que nous faisons maintenant alors que c’est à ce point que nous en sommes en tant que musiciens, allez vous faire foutre. On a fait un disque uniquement parce que vous nous le réclamiez.’ Les musiciens progressent, changent. Pour citer le fabuleux Jay Z : si vous voulez entendre mes vieux trucs, achetez mes anciens albums.” A bon entendeur...