Rock & Folk

TONYJOEWHI­TE

Alligators, marécage et indolence sudiste, personne n’a mieux su les mettre en musique que le vénérable swampfox de Louisiane, plus cool et alerte que jamais.

- RECUEILLI PAR BERTRAND BOUARD Album “Hoodoo” (Yep Roc)

Tony Joe White pourrait couler une retraite paisible dans son ranch du Tennessee, partager son temps entre parties de pêche et chevauchée­s, grâce aux reprises de ses morceaux que firent Elvis Presley (“For Ol’ Times Sake”, “Polk Salad Annie”, “I’ve Got A Thing About You Baby”), Dusty Springfiel­d (“Willie And Laura Mae Jones”), Ray Charles ou Brook Benton (“Rainy Night In Georgia”). Mais voilà, les chansons continuent de venir le titiller. Une paire d’accords de guitare, des bribes de paroles, un bout de mélodie. Le moment d’allumer un grand feu au bord de la rivière, de dégoupille­r quelques bières fraîches et d’attendre que tout prenne forme. Et à en juger par ses deux récents efforts — la virée crépuscula­ire de “The Shine” (2010) et la brutale bordée bluesy de “Hoodoo” (2013) qui le ramène là où tout a commencé, au coeur des marais de Louisiane — dignes de ses admirables albums fin sixties/ début seventies, le père placide du swamp blues, 71 ans, aurait tort de se priver.

Absorbé par le blues

ROCK&FOLK : Plusieurs morceaux de “Hoodoo” renvoient à votre enfance en Louisiane, qui n’a jamais cessé de nourrir votre musique... Tony Joe White : La ferme de coton de mon père se trouvait le long de la rivière, dans les marais. J’avais cinq soeurs et un grand frère. Mes parents jouaient tous les deux de la musique, je les écoutais chaque nuit, assis sous le porche. A huit miles de là se trouvaient une église et un magasin d’alimentati­on. “Storm Comin’ ” parle des terreurs de ma mère les nuits de tempête : elle nous réveillait et nous habillait comme s’il y avait un endroit où partir se réfugier, et priait toute la nuit. “9 Foot Sack” évoque la récolte du coton, les baignades dans la rivière. On ne manquait de rien, habits, nourriture, musique. Mais vivre près de la rivière était rude. Le temps très chaud, humide. On transpirai­t constammen­t. R&F : On perçoit cette moiteur dans votre musique... Tony Joe White : C’est vrai, elle est là. Mon son de guitare à la wah- wah provient en bonne partie des alligators que j’entendais dans les bois, des grenouille­s dans la rivière. Je suis resté là-bas jusqu’à 16 ou 17 ans. Je n’échangerai­s cette époque pour rien au monde. R&F : Vous avez pourtant choisi une toute autre voie... Tony Joe White : J’ai toujours su que si je quittais les champs de coton, je n’y reviendrai­s jamais. Je pense que mon père espérait que je reprenne la ferme mais j’ai découvert la guitare à 15 ans et j’ai été absorbé par le blues. Je jouais dans les fêtes, le long de la rivière. Et, après le lycée, dans les clubs, avec mon batteur. R&F : A quel moment avez-vous su que vous teniez votre style ? Tony Joe White : Après avoir travaillé comme chauffeur de camion en Georgie, après le lycée, je me suis rendu au Texas, à Kingsville, où j’interpréta­is sur scène du Lightnin’ Hopkins, John Lee Hooker, Elvis Presley, Muddy Waters, plus un morceau country ici et là, car c’était le Texas. C’est là-bas que j’ai entendu “Ode To Billie Joe” à la radio, le morceau de Bobbie Gentry qui m’a fasciné. Billie Joe, c’était moi. De ce jour, j’ai décidé que si je devais écrire, je le ferais d’après mes propres expérience­s. J’ai composé “Polk Salad Annie” quelques semaines après ça et “Rainy Night In Georgia” dans la foulée. Cet été-là, je me suis rendu à Nashville avec une démo de ces chansons, plus quelques reprises, et je suis tombé sur le seul producteur en ville qui écoutait du blues, Bob Beckham. Suite à quoi l’album “Black And White” (1968) est sorti et je m’en suis toujours tenu à ça : écrire sur ce qui est vrai. R&F : Vos deux derniers albums reflètent les deux aspects de votre musique, ballades introspect­ives d’un côté, swamp blues de l’autre... Tony Joe White : “The Shine” comporte beaucoup de guitare espagnole et possède de bonnes paroles. Il nous emmène vers le Nouveau Mexique, le Tennessee. “Hoodoo” repart dans les marais, à travers des histoires lugubres, des guitares plus dures... R&F : Pourquoi ne figurez-vous pas sur le tribute à JJ Cale orchestré par Eric Clapton ? Tony Joe White : Clapton voulait entrer en studio dans la foulée des funéraille­s et je crois que j’étais en Australie à ce moment-là. Mais je suis content de ne pas avoir joué dessus, c’aurait été trop déprimant. JJ était un immense ami. Et j’adorais son jeu. Il jouait des trucs dont je n’avais pas la moindre idée...

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