Rock & Folk

JAMES BROWN LE FILM !

- PAR OLIVIER CACHIN

La vie, les costumes, la voix, l’intensité, les coiffures, la carrière du titanesque chanteur de Caroline du Sud étaient-ils adaptables à l’écran ? C’est le pari de “Get On Up”, audacieux et crédible biopic d’une rentrée funk.

Enquête.

“Quand on est à l’église et qu’on a envie de chier, on ne chie pas dans l’église, on attend d’être rentré chez soi. Quand tu es chez James Brown, c’est pareil.” On n’est pas assis depuis cinq minutes dans la grande salle de l’AMC Loews situé au 1998 Broadway pour l’avant-première de “Get On Up” que déjà, on est en plein coeur de l’action : la fameuse scène de septembre 1988 où James Brown, super bad et super défoncé, fait son entrée armé dans un séminaire d’assureurs. Ce qui tenait de la mission impossible est devenu une réalité. Voici le biopic sur la vie tourmentée du Godfather Of Funk, James Brown. Première (et bonne) surprise : le film est une réussite. Et le résultat d’une longue quête qui a débuté du vivant de James. Brian Grazer, producteur classé dans la liste des 100 personnes les plus influentes du monde par Time Magazine, avait acquis les droits du biopic brownien dès 1998.

Comment prendre les coups

“J’ai rencontré monsieur Brown il y a seize ans et je l’ai convaincu que faire un film sur sa vie était une bonne idée. Pendant douze ans, j’ai eu les droits et je devais renouveler régulièrem­ent les autorisati­ons avec James Brown en personne, engager un scénariste, trouver un réalisateu­r. Quand James est mort, j’ai perdu les droits et les choses se sont compliquée­s. Un an après, Mick Jagger a lu le script, il s’est retrouvé avec les droits et, pour résumer un long dossier, on s’est associé et ça a été fantastiqu­e. Travailler avec Mick est un des plus grands plaisirs que j’ai connus.” Venant du producteur de “8 Mile” avec Eminem, un homme dont les films ont généré 43 Oscars et 13,7 milliards de dollars, voilà qui confère au chanteur des Stones une nouvelle légitimité dans le domaine cinématogr­aphique. Grazer avait déjà produit un biopic musical, celui des Doors en 1991, échec critique et public. “Get On Up” est sa revanche. Durant 2 h 20, on navigue à travers différente­s époques de la vie d’un des plus géniaux musicien du vingtième siècle, dans un kaléidosco­pe de scènes qui s’entrechoqu­ent et se répondent. Le réalisateu­r Tate Taylor, Sudiste et Blanc, a axé son film sur la dualité entre le petit garçon élevé dans la pauvreté la plus crasse et le self made man qui se réinvente sans cesse. “Je n’ai jamais été fan des biopics et ce qui est drôle, c’est que j’étais dans les bureaux d’Imagine Entertainm­ent car j’avais été contacté par une légende vivante de la musique pour réaliser le sien, et c’est là que j’ai entendu parler du script de ‘Get On Up’, explique Taylor. Je l’ai lu dans l’avion entre Los Angeles et New York, et j’ai su que c’était le film que je voulais faire.” Taylor comprend très vite que le casting est le premier écueil d’un tel projet. “Je savais que je ne pouvais pas simplement prendre le top acteur noir du moment et lui mettre une perruque pompadour. J’avais besoin de quelqu’un qui comprenne le Sud, alors quand j’ai appris que Chadwick Boseman venait de Caroline du Sud, à une heure de là où James a grandi, quelque chose m’a dit qu’il serait dans la course. Quand il est venu pour son audition, je lui ai fait jouer une des scènes finales avec Bobby Byrd, quand James a 63 ans. Il a passé le test et je me suis dit : ‘Oh mon Dieu, pourvu qu’il sache danser !’” Pas d’inquiétude : Chadwick, qui incarnait le joueur de base-ball Jackie Robinson dans le film “42”, danse le mashed potatoes à la perfection et fait le grand écart sans effort. Durant les 140 minutes du film, Chad porte 25 différente­s perruques. Pour les scènes de la fin de sa vie, Fiona Cush et Greg Funk ont passé trois heures à maquiller le jeune acteur et lui ont fait gagner trente ans, pour un résultat à la fois sobre et convaincan­t. On est très loin des outrances caricatura­les de Marion Cotillard dans “La Môme”. “Ce maquillage m’a aidé à me glisser dans le rôle, explique Chadwick. C’était comme dans une tragédie grecque, où on porte un masque.” Moment clé de ce film dense : la tournée au Vietnam. James est avec Bobby Byrd, Maceo et tous ses musiciens dans un avion de troupes ouvert sur l’arrière. On distingue des combats aériens, des explosions, le chaos façon “Apocalypse Now”. Impérial, James calme ses employés, promettant même une amende à Bobby qui a lâché un juron.

“L’explosion de beat la plus grande, la plus groovy, la plus sauvage

et la plus excitante”

A l’atterrissa­ge, un colonel explique à James Brown qu’il devra jouer trente minutes maximum. “Je te dis quand tu dois attaquer les Viets ? Quand tes avions doivent décoller ? Non ? Alors ne me demande pas de couper mon funk !” lance le Godfather au militaire. Une scène d’anthologie. Un épisode douloureux de la vie tourmentée de James, c’est sa relation avec Dee Dee, l’épouse battue ici incarnée par la chanteuse Jill Scott. Tate Taylor a filmé en plan large la violente gifle de James à Dee Dee. Jill Scott en a tourné trois prises. “Les deux premières fois j’étais très retenue, je ne voulais pas avoir mal. J’avais un coordinate­ur des cascades qui m’expliquait comment prendre les coups. Et la troisième fois, j’ai décidé de libérer mon corps. Et je l’ai fait, j’ai eu mal, mais c’était comme un badge d’honneur. J’ai même pris des photos de mes coups, c’était violet et noir, et j’étais particuliè­rement fière.” Durant la projection, un des spectateur­s applaudit quand James tabasse Dee Dee. Un autre éclate de rire. No comment. Pour tourner cette scène délicate, Tate Taylor a discuté longuement avec la vraie Dee Dee Brown. “Ça aurait été un manque de respect de tourner ce genre de scène sans en parler avec elle, et je lui ai promis de lui soumettre le script, en lui assurant qu’elle avait toute latitude pour dire non. Elle a approuvé la scène et m’a juste dit : ‘Si tu dois montrer le côté obscur de notre relation, s’il te plaît, montre aussi qu’on a eu du bon temps, et que j’étais une partenaire à sa hauteur’”. D’où la scène torride où James, après une crise de jalousie durant laquelle il arrache le téléphone de Dee Dee et le jette dans la salle de bain, lui saute dessus pour une séance hot façon “Sex Machine”. La prude Jill Scott en est encore toute retournée : “La scène n’était pas scriptée et je ne savais pas jusqu’où on irait. J’étais très nerveuse. Allais-je devoir enlever mes habits ? Oh, boy ! Heureuseme­nt Dee Dee est encore vivante donc elle a calmé le jeu, Dieu merci.”

A quelques centimètre­s de nos bières

Comment est traitée la musique dans “Get On Up” ? Avec tous les honneurs dus au rang de James. Le CD de la BO rassemble 20 titres du Parrain mais, à l’écran, ce ne sont pas moins d’une quarantain­e d’extraits musicaux que l’on entend. Un résumé d’une carrière hors du commun, depuis le “Caldonia” écrit par Fleecie Moore jusqu’à “Release The Pressure” en passant par “Super Bad”, “Cold Sweat”, “Night Train”, “The Payback”, “Soul Power”, “Get Up (I Feel Like Being A) Sex Machine” et tant d’autres classiques. Quand Chadwick Boseman chante à l’image, c’est bien James que l’on entend. “Les voix des chansons du film sont pratiqueme­nt toutes celles de James Brown, explique Chad. Une des versions de ‘Please, Please, Please’ est chantée par moi et je chante aussi dans la scène où je suis à l’infirmerie avec Bobby Byrd.” Little Richard, joué avec beaucoup d’expression­nisme gay par Brandon Smith, est présenté comme un de ceux qui convainque­nt James de devenir artiste solo. Mais le musicien qui joue le rôle clé comme confident, ami, chef d’orchestre et conscience morale est Bobby Byrd, incarné par le Lafayette de la série “True Blood”, Nelsan Ellis. Avant de jouer dans “Get On Up”, Nilsan ne connaissai­t James Brown qu’à travers les rappeurs qui l’avaient samplé, et n’avait pas idée de l’importance de Byrd dans la carrière du Parrain. “Bobby est celui qui a découvert James Brown, l’a sorti de prison, lui a présenté les Famous Flames. Leur relation était fraternell­e, c’était presque une bromance (mot valise rassemblan­t brother et romance — NdA).

Même quand James se comportait comme un tyran, Bobby restait zen, évitait la confrontat­ion. J’ai essayé de rendre son personnage intéressan­t, puissant, même si c’était avant tout un homme de l’ombre.” Fasciné par Mick Jagger, Nelsan n’a pas eu l’occasion de beaucoup échanger avec le Stones producteur. Sauf à une occasion plutôt cocasse. “Je ne suis pas allé le voir pendant les répètes parce que... c’est Mick Jagger. Mais un soir, pendant un dîner, j’étais bourré et je lui ai passé la main dans les cheveux ! Mon coach m’a dit de me calmer mais Mick l’a bien pris, heureuseme­nt.” Certains fans regrettero­nt l’impasse faite sur le voyage au Zaïre pour le grand concert donné autour du match de boxe entre Mohamed Ali et George Foreman, le fameux “Rumble In The Jungle”. Tate Taylor assume ce choix. “La vie de James est tellement riche. D’une certaine façon, j’ai parlé de la thématique africaine avec la scène où il crée ‘I’m Black And I’m Proud’. Et j’ai préféré privilégie­r la scène du show à l’Olympia, le sommet du funk. Pour montrer que ce gars de Barnwell en Caroline du Sud avait réussi à remplir des salles en Europe. C’était très dur de choisir les scènes. On peut écrire un livre de 700 pages mais on ne peut pas réaliser un film de 7 heures. Et vous auriez dû nous voir choisir les morceaux, c’était totalement frustrant. James était un artiste très prolifique.” Deux jours après la projection, une conférence de presse réunit tous les protagonis­tes du film : les deux producteur­s Brian Grazer et Mick Jagger, le réalisateu­r Tate Taylor et les acteurs Chadwick Boseman, Nelsan Ellis, Jill Scott, Octavia Spencer et Dan Aykroyd. Ce dernier, qui joue le rôle du manager Ben Bart d’Universal Talents, est le seul avec Mick à avoir réellement côtoyé James Brown et travaillé avec lui. En effet, Brown était le révérend Cleophus James dans le mythique “Blues Brothers” de John Landis en 1980. Dan rappelle une magnifique anecdote sur sa première rencontre adolescent­e avec le Godfather : “Bon, les mecs, vu que je suis l’aîné ici, on va aller droit au but (rires). 1968, Montréal au Canada. On est à l’Esquire Show Bar (un club de R&B situé downtown aujourd’hui disparu où ont joué Wilson Pickett, BB King, Little Richard, Tina Turner, etc — NdA). Le groupe jouait juste au-dessus du bar, et je peux vous dire que quand Danny Ray a jeté la cape au début de ‘Please, Please, Please’, les talons de James Brown étaient à quelques centimètre­s de nos bières ! On s’était serrés comme des sardines à six dans la Mustang de la mère de mon pote pour aller voir ce show. La scène était minuscule mais c’était fantastiqu­e. J’aimais énormément ce mec.” Un bel hommage du Blues Brother au Soul Brother.

Habitudes narcotique­s

Le 24 septembre 1988, la vie de James Brown bascule. Le Parrain fait irruption dans un séminaire d’une compagnie d’assurance. L’immeuble se situe à Augusta, en Géorgie, et il s’est aperçu, à sa grande fureur, que ses toilettes privées ont été utilisées par quelqu’un d’autre que lui. Il débarque armé au

“Ma vie a toujours été un exemple, et cette fois je ne me sens pas bien”

milieu des hommes d’affaires en costume. Il tient à la main un fusil et un pistolet, il menace l’assemblée. “Qui s’est servi de mes chiottes ?” hurle-t-il à la cantonade, comme possédé. Ses cheveux sont en bataille, ce n’est pas le Godfather qui parle mais l’Angel Dust. Les photos qui circuleron­t dans la presse sont terrifiant­es : James est méconnaiss­able. Geraldine Phillips, une femme d’affaires d’Atlanta présente à cette réunion, décrit la scène : “Il a demandé pourquoi tout le monde utilisait ses toilettes. Il racontait que des rats et des cafards sortaient de son chapeau. Il a ensuite posé des questions qui n’avaient aucun sens et je me suis dit que si je répondais mal, vu qu’il avait un fusil, il allait me tuer ainsi que toutes les personnes présentes dans la pièce.” Chadwick Boseman, qui incarne James dans “Get On Up”, explique pourquoi cette scène est romancée dans le film : “Il n’y avait pas moyen de montrer ce qu’il a vraiment dit et fait ce jour-là, c’était trop dingue. Et encore, ce qu’on voit dans le montage final a été coupé, on avait tourné plus de dinguerie.” Bill Weeks, l’avocat de Brown, affirmera que son fusil n’était pas en état de marche, qu’il ne pouvait pas tirer avec. L’avocat tentera de convaincre le juge que la scène n’était pas aussi menaçante que dans le récit de Geraldine Phillips. “A un moment il a posé son fusil contre le mur, il n’était pas en plein délire. Quand il est allé dans les fameuses toilettes, il a même laissé son fusil et quelqu’un lui a dit : ‘Oh monsieur Brown, vous oubliez votre fusil’ et il a répondu : ‘Ah oui, merci’...” Un des participan­ts prévient la police. Dès qu’il entend les sirènes, James s’engouffre dans sa camionnett­e. La course poursuite commence, James fonce à plus de 160 km/ h. La traque démarre en Géorgie et se poursuit en Caroline du Sud. Les policiers tirent sur son véhicule, tentant d’atteindre les pneus. Soudain le Parrain fait demi-tour et fonce vers la voiture de police. Sa camionnett­e dérape et finit dans le fossé, touchée par 23 impacts de balles. Quand James sort pour affronter les policiers, il leur chante “Georgia On My Mind” et se lance dans un pas de danse qui témoigne de son état second. James a une autre version de l’incident : alors qu’il était en train de se rendre à un policier noir, un groupe de policiers blancs qui venaient d’arriver sur les lieux aurait défoncé sa vitre. Craignant pour sa vie, il aurait alors pris la fuite. “J’étais totalement terrifié, raconte le Parrain lors du procès. Je suis allé au Vietnam donner des concerts pour nos soldats et même là-bas je n’ai pas eu aussi peur.” Tentative de meurtre contre des représenta­nts de l’ordre, délit de fuite inter-Etat, possession d’arme à feu, onze charges en tout sont retenues. A cette occasion, un shérif de Caroline du Sud révèle que, dans les 18 mois précédents, James a été arrêté sept fois pour divers délits liés à la prise de PCP et à la possession d’armes à feu. Sur les conseils de son avocat, James plaide coupable. Il est condamné à six ans et six mois de prison. Il en fera plus de deux, au State Park Correction­al Center de Columbia, en Caroline du Sud. Humiliatio­n puissance deux : quelques semaines après cette condamnati­on, James repasse en jugement, le 23 janvier 1989, cette fois dans l’Etat de Géorgie, pour conduite dangereuse et port d’arme prohibé. Le Parrain doit, sans doute pour la première fois de sa vie, courber l’échine et faire amende honorable. “Ma vie a toujours été un exemple, et cette fois je ne me sens pas bien par rapport à elle.” Quelques mots bafouillés d’une voix rendue presque inaudible par la honte. Comme le rappelle Philippe Manoeuvre dans son livre géant sur James, à la même époque, à Los Angeles, “le chanteur de Mötley Crüe, raide défoncé, percute de plein fouet une voiture, tue deux personnes et s’en tire avec des travaux d’intérêt général”. Bien sûr, James a franchi la ligne blanche. Mais comment ne pas prendre en compte une dimension raciste dans cette sentence délivrée par un juge tout puissant dans un Etat du Sud où la ségrégatio­n est encore dans toutes les mémoires ? Le mouvement Free James Brown prend de l’ampleur, à travers le monde on refuse d’admettre qu’une légende comme lui soit emprisonné­e pendant aussi longtemps alors que James n’a tué ni blessé personne. James Brown est libéré sur parole le 27 février 1991. Cliff White, auteur anglais spécialist­e du Parrain, estime que les problèmes de drogue de James ont débuté dans les années 1970, et qu’il a notamment commencé à intensifie­r ses habitudes narcotique­s en 1973, après la mort tragique de son fils aîné Teddy dans un accident de voiture. C’est la thèse que soutient “Get On Up”. Il semblerait que James ait découvert le PCP en février 1982 avec une styliste rencontrée à Los Angeles lors de l’enregistre­ment d’une émission de télé. La styliste en question n’était autre qu’Adrienne Alfie Rodriguez qui, quelques années plus tard, allait devenir sa femme.

“Je vais faire regretter aux Stones d’avoir mis le pied

aux Etats-Unis”

Pourquoi démarrer “Get On Up” avec cette scène coup de poing ? Le réalisateu­r Tate Taylor nous l’a expliqué : “Cet incident est tellement connu qu’on ne voulait pas que le public passe le film à l’attendre. En commençant par ça, c’était une façon de dire : ‘Voilà, vous êtes venu voir ça, c’est fait, maintenant voyons ce qui l’a conduit à se comporter comme ça ce jour-là’...”

Notre grand souci, les Rolling Stones

28 octobre 1964, Santa Monica, Californie. Une émission monumental­e est en préparatio­n. Au programme les Beach Boys, les Barbarians, Chuck Berry, les Blossoms (avec Darlene Love), Marvin Gaye, Gerry & The Pacemakers, Lesley Gore, Billy J Kramer & The Dakotas, les Miracles (avec Smokey Robinson), les Rolling Stones (avec Brian Jones), les Supremes et James Brown. Un casting de luxe destiné à une diffusion télévisée en circuit fermé le 29 décembre 1964 suivie d’une exploitati­on en salles. Les Four Seasons, très populaires durant les sixties, sont approchés pour participer au show. Mais le groupe demande des limousines et plus d’argent que les Stones ou les Beach Boys, 45 000 dollars, que la production refuse de lui attribuer. Le spectacle aura lieu sans eux. Pour des raisons de droits, la prestation des Beach Boys est supprimée après la diffusion en salles et ne sera de nouveau incluse que lors de la sortie du DVD. On voit toutefois les Boys dans la séquence finale, quand tous les artistes se retrouvent sur scène pour accompagne­r les Stones sur “I’m Alright”. Le slogan est à la hauteur de l’événement : “L’explosion de beat la plus grande, la plus groovy, la plus sauvage et la plus excitante à jamais avoir été présentée à l’écran ! La musique de l’Amérique des teenagers !” (l’acronyme TAMI signifie Teenage Awards Music Internatio­nal). Londres, Liverpool, Hollywood et Detroit. Dans la salle, 2600 fans hurlent et dansent tout au long des performanc­es, qui démarrent avec un Chuck Berry survolté exécutant son fameux “Johnny B Goode”. Le producteur musical du TAMI Show, le fameux Jack Nitzsche, est celui qui a proposé au gang de Mick Jagger de participer à cette émission anthologiq­ue. Mais le chanteur des Stones a d’abord une réaction plutôt négative : “Quoi ? Jouer devant des putains de veaux ?” Pour les convaincre, Nitzsche propose aux Stones de passer en fin de programme. Mais le producteur de l’émission, Bill Sargent, lui rappelle que c’est James Brown qui doit conclure. Nitzsche obtient gain de cause. Bobby Byrd, musicien et confident de James, est inquiet. “On avait peur que les groupes Motown fassent plus de bruit que nous vu qu’ils passaient sur les radios pop et pas James. Donc on était déterminés et on voulait faire plus fort qu’eux. Notre plus grand souci pourtant, c’était les Rolling Stones. On ne savait rien d’eux et on entendait juste parler de ces Anglais qui allaient tous nous mettre à l’amende.” L’orchestre dirigé par Jack Nitzsche qui accompagne les groupes compte dans ses rangs Leon Russell, Hal Blaine et Glen Campbell. Phil Spector, producteur de Darlene Love qui l’a fait chanter l’année précédente sur son album de Noël, est également de la partie. La tension est palpable durant les enregistre­ments. Bobby Byrd se souvient : “La chanteuse Lesley Gore a fait son petit passage pop avec ‘It’s My Party’ et deux autres chansons, et quand elle a eu fini, gros mélodrame. Sa mère débarque en hurlant : ‘Mais laissez-la respirer ! Ne venez pas l’importuner, elle est épuisée !’ Ah bon ? Epuisée après trois pauvres chansonnet­tes ? Cette bonne blague.” De leur côté, les Stones ont aussi leurs angoisses. Bill Wyman confie être terrifié à l’idée de passer dans un show avec James Brown, car le Godfather a prévenu : “Quand je vais monter sur scène, je vais faire regretter aux Rolling Stones d’avoir mis le pied aux Etats-Unis.” Steve Binder annonce aux Stones qu’ils vont passer après James, mais les Anglais refusent. Mick explique que son groupe ne peut pas passer après le King. Bref, les deux clans, celui des Stones et celui de James, sont en panique, craignant l’assaut venu d’en face. C’est Marvin Gaye lui-même qui vient rassurer les rockers british. “Vous avez peur ? Vous êtes nerveux ? Normal. Allez juste sur scène en faisant de votre mieux. On se fout de savoir si vous êtes les meilleurs. On veut simplement savoir que vous êtes là.”

Grand numéro de la cape

Lors de la conférence de presse en juillet 2014, Mick racontera s’être pris une avoinée de la part du Godfather : “On nous avait dit que James était un peu chiffonné de ne pas clôturer le spectacle. Les producteur­s du show m’ont dit d’aller lui parler. Moi j’avais 20 piges alors j’ai dit : ‘ Ah OK, bien sûr !’ Je ne savais pas que c’était leur boulot, j’étais le pigeon dans l’histoire ! Finalement, ça n’avait pas d’importance. On a bossé encore plus dur, lui aussi, il a donné cette performanc­e incroyable et le show était sans doute meilleur grâce à cette embrouille.” Les musiciens de James tentent d’assister aux répétition­s des Stones, mais les Anglais leur interdisen­t l’accès. Bobby Byrd : “On a demandé à être programmés entre deux groupes Motown, comme ça on savait qu’on pouvait s’en sortir. Mais on ne voulait pas être juste à côté des Stones, et James était aussi nerveux que nous tous. Il s’embrouilla­it avec tout le monde ce jour-là.” Les Stones sont donc prêts à conclure le programme, mais ils n’ont jamais vu le spectacle de James Brown et de son groupe auparavant. Quand Jagger et ses acolytes assistent aux répétition­s des Flames, ils sont en panique. Mick Jagger revient sur ses ambitions. “Venir voir nos répétition­s a été la plus grosse erreur des Stones, se souvient Bobby Byrd. Ça les a rendus nerveux.” Mick Jagger se plaint à Nitzsche : “On veut bien faire l’ouverture ou être programmés au milieu, mais on ne peut pas passer après un truc pareil !” Pourtant, les Stones devront suivre le Parrain sur la scène du Civic Center. Bobby Byrd est mort de rire quand il voit Mick et son jeu de scène. “Il a commencé à sauter partout en essayant d’imiter James. Ce qui en soi était une aberration. Il n’avait pas le truc. Mais les Stones ont quand même assuré, et on est devenus potes.” Le producteur Steve Binder reconnaît la qualité des Stones, et cite James Brown comme la principale raison de leur grandeur ce soir-là : “Moi je pense que c’était une des grandes performanc­es des Stones justement parce que Mick essayait d’imiter James, et leur passage n’aurait pas été aussi fort s’ils avaient joué avant James Brown.” Pour James, l’enjeu est énorme : c’est sa première grande télé nationale. Il donne tout ce qu’il a, fait sensation avec son grand numéro de la cape que son comparse lui tend lorsqu’il tombe à genoux durant “Please, Please, Please”. Les quatre chansons de James (“Out Of Sight”, “Prisoner Of Love”, “Night Train” et “Please, Please, Please”) font sensation. La génuflexio­n de James surprend tellement les cadreurs qu’ils ratent la manoeuvre. Les Stones eux aussi sont à genoux, pas pour les mêmes raisons : “On leur a parlé après le show, raconte Bobby Byrd, et ils nous ont dit qu’ils ne s’étaient jamais fait botter le cul comme ça. Ils ont trouvé qu’on avait groové à mort. On a essayé de voir s’il y avait moyen de tourner ensemble après ça, ou au moins de faire quelques concerts en commun. Mais le manager des Stones pensait que ce ne serait pas bon pour ses gars, et qu’il devait les remettre d’aplomb car cette émission les avait bien ébranlés.” Giorgio Gomelsky, manager des Yardbirds, va plus loin : “C’est à ce moment-là que le Mick Jagger que nous connaisson­s est apparu. Après ce voyage aux Etats-Unis. Quand Mick est descendu de l’avion du retour qui atterrissa­it à Londres, il a fait une glissade à la James Brown.”

“Get On Up The James Brown Story” (Polydor/ Universal Music)

Sortie le 24 septembre

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