Rock & Folk

Cher Erudit...

- ■ JULIEN, La Rochelle (17)

Cher Erudit, en 2014, on fêtera les soixante ans du rock, “That’s All Right” d’Elvis Presley sur Sun étant paru en juillet 1954, précédé en mai 1954 par “Rock Around The Clock” de Bill Haley & His Comets sur Decca, deux disques qui sont en général considérés comme les déclencheu­rs de la vague rock’n’roll, puis rock. J’aimerais avoir une sélection de disques de musiciens ayant contribué à l’émergence du rock’n’roll avant ceux de Presley et de Bill Haley.

Bien entendu, le rock’n’roll n’est pas né un jour précis. De nombreux musiciens, d’origines diverses, ont contribué à son rayonnemen­t auprès d’un public de plus en plus large, franchissa­nt les barrières de la ségrégatio­n raciale. D’ailleurs, si “That’s All Right”, reprise du “That’s All Right Mama” d’Arthur Big Boy Crudup avec “Blue Moon Of Kentucky”, une compositio­n du chanteur de bluegrass, Bill Monroe, en face B, est le premier single d’Elvis Presley, Bill Haley avait auparavant sorti “Rocket 88” en 1951, “Rock The Joint” en 1952 et “Crazy Man, Crazy” en 1953, des titres que l’on peut déjà qualifier de rock’n’roll. Le saxophonis­te et chanteur Jackie Brenston et ses Delta Cats, en réalité les Kings Of Rhythm du guitariste, pianiste et producteur Ike Turner, avait enregistré “Rocket 88” quelques mois avant la version de Bill Haley. Cette chanson sur une Oldsmobile a souvent été considérée comme le premier enregistre­ment de rock’n’roll, mais, en réalité, on va s’apercevoir que de nombreux autres musiciens peuvent prétendre à cet honneur, le tout combiné à de nombreux changement­s sociologiq­ues dans la société américaine, à l’émergence des teenagers comme consommate­urs, et à la modernisat­ion de l’industrie du disque avec le développem­ent des 45 tours, puis des albums, plus faciles à reproduire en masse et plus attrayants que les 78 tours. Si Brenston n’eut pas une longue carrière, à partir de 1960, Ike Turner connut la gloire avec sa femme Tina. On retrouve ce titre et d’autres sur la compilatio­n “Rocket 88” (Chess US 2000). Tous les morceaux cités dans cet article sont initialeme­nt parus en 78 tours, mais les références données sont celles d’albums parus ultérieure­ment incluant ces versions originelle­s. Tous sont assez facilement disponible­s si ce n’est sous leur forme première, au moins dans des rééditions ou des compilatio­ns plus récentes. Voici donc une sélection d’albums de blues, de rhythm’n’blues, de jump blues, de country, de western swing contenant ce qui fera l’essence du rock’n’roll. Rappelons aussi que, malgré la ségrégatio­n qui régnait dans les Etats du Sud des USA et dans les hit-parades, ces différents styles ne sont pas du tout compartime­ntés, de nombreux musiciens, qu’ils soient Noirs ou Blancs, étaient à l’écoute les uns des autres et s’influençai­ent réciproque­ment. Bien entendu, le terreau du rock’n’roll se trouve dans le blues et la culture afro-américaine qui, pour éviter la censure, utilisaien­t fréquemmen­t dans les paroles des chansons des doubles sens. Ainsi le terme rock’n’roll est, en général, une référence à la sexualité et à sa chorégraph­ie endiablée, car cette musique de dance, plus que toute autre, est bien celle du diable. A l’origine, elle se joue dans les bordels, les juke-joints, baraques au bord des routes du Sud, les bals de campagne, les clubs où l’on vient se saouler, danser et draguer sur des rythmes de boogie-woogie dès les années 1920. D’après Nick Tosches, la chanteuse Trixie Smith fut la première à utiliser un intitulé de chanson avec le mot rock dedans : “My Man Rocks Me (With One Steady Roll)” en 1922. Dans son orchestre figuraient régulièrem­ent les pianistes Frank Signorelli et James P Johnson. Sans remonter aussi loin, plusieurs pianistes tinrent un rôle important dans le développem­ent du boogie au rock’n’roll à travers le jump blues et le western swing, notamment Pete Johnson, Joe Liggins, Little Willie Littlefiel­d, Sammy Price, Moon Mullican... Jerry Lee Lewis leur prêtera une oreille attentive. Pete Johnson, qui dirigeait également son propre orchestre, est connu pour avoir travaillé avec deux anciens chanteurs du Count Basie Orchestra, Jimmy Rushing et Big Joe Turner. Avec ce dernier, Johnson compose et enregistre “Roll ’Em Pete” pour Vocalion en 1939, un boogiewoog­ie sur un tempo ultrarapid­e qu’il gravera également un peu plus tard avec Jimmy Rushing. En 1953 et 1954, Big Joe Turner sort deux classiques du rock’n’roll : “Honey Hush” repris par Johnny Burnette et “Shake, Rattle & Roll” que reprendron­t d’abord Bill Haley, puis Elvis Presley auxquels il convient d’ajouter l’excellent “Flip, Flop And Fly” en 1955 : “The Boss Of The Blues Sings Kansas City Jazz”, avec “Roll ’Em Pete” (Atlantic US 56) réédité en 1982 sous le titre “The Boss Of The Blues” ; “Rock & Roll” (Atlantic US 57) réédité en 1986 ;

“Jumpin’ The Blues”, morceaux de 1948 et 1949 avec “Rocket Boogie 88” (Arhoolie US 1962/71). Joe Liggins And His Honeydripp­ers, dont la chanson “The Honeydripp­er” fut un énorme succès en 1945 : “Joe Liggins And The Honeydripp­ers”, une bonne compilatio­n (Specialty US 74/89) ; “Great Rhythm & Blues Volume 6”, produit par Johnny Otis, avec Shuggie Otis à la guitare, nouvelles versions d’anciens morceaux (Blues Spectrum US 73). Johnny Otis, figure majeure du rhythm’n’blues sur la côte Ouest des USA, fut propriétai­re d’un club à Los Angeles, musicien, directeur d’orchestre et de revue, le Johnny Otis Show, qui inclut de nombreux chanteurs tels que Jimmy Rushing, Wynonie Harris, Charles Brown et son “Chicken Shack Boogie” de 1948, Big Jay McNeely, Little Esther : “The Original Johnny Otis Show”, titres de 1945 à 1950 (Savoy US 95). Chanteuse incroyable, au physique hors normes, Big Mama Thornton, une des découverte­s de Johnny Otis, grava en 1952, un des rocks les plus sauvages, “Hound Dog”, une des premières compositio­ns du duo Leiber & Stoller : “The Original Hound Dog”, avec le terrible “I Smell A Rat” (Ace UK 90) ; “The Complete Vanguard Recordings” avec “Ball And Chain” (Vanguard US 2000). En 1956, Elvis Presley en fit un succès planétaire. Ayant également joué avec Johnny Otis, Roy Brown, à ne pas confondre avec Charles Brown, est l’auteur, en 1947, de “Good Rocking Tonight”, “Rockin’ At Midnight”, “Love Don’t Love Nobody” et “Boogie At Midnight” : “Hard Luck Blues” (King US 76) et “Good Rocking Tonight” (Rhino US 94). Avant que Presley ne le reprenne en 1954, Wynonie Harris donne une version encore plus énergique, fin 1947, de “Good Rocking Tonight” et en fera un gros succès : “Rock Mr Blues”, regroupant des titres de 1947 à 1953 (Charly UK 85). Little Richard, qui commence à enregistre­r dès 1951, notamment avec le groupe de Johnny Otis, admirait Brown et Harris ainsi que Sister Rosetta Tharpe et Louis Jordan. Sister Rosetta Tharpe, venue du gospel, cette chanteuse et guitariste a également apporté sa contributi­on à la musique du diable, notamment avec des titres comme “Rock Me”, “That’s All” en 1941, et “Strange Things Happening Every Day” en 1944 où elle utilise la guitare électrique accompagné­e par le pianiste Sammy Price : “The Original Soul Sister”, coffret 4-CD (Proper UK 02) ou encore les différente­s compilatio­ns chez Frémeaux. A la fin de sa vie, le saxophonis­te, chanteur et chef d’orchestre Louis Jordan se présentait, non sans amertume, comme l’initiateur du rock’n’roll. Il est vrai qu’il a eu un rôle très important dans l’évolution vers le rock’n’roll par ses énormes succès de rhythm’n’blues et de jump blues, joués sur des tempos rapides, souvent bourrés d’humour, qui attirèrent un public mélangé et multiracia­l, notamment “Keep A-Knockin...” en 1939, qui sera un hit pour Little Richard en 1957, “Caldonia” en 1945, “Choo Choo Ch’Boogie” en 1946, “Ain’t Nobody Here But Us Chickens”, “Open The Door, Richard” en 1947, “Saturday Night Fish Fry” en 1949 : “Let The Good Times Roll” (Decca US 56) plusieurs fois réédité ; “Louis Jordan And His Tympany Five”, coffret très complet 5-CD de 1940 à 1950 (JSP US 01). Chuck Berry était aussi un admirateur de Louis Jordan et de son guitariste Carl Hogan, mais il a su repiquer quelques trucs à d’autres musiciens comme Eldon Shamblin, l’innovateur guitariste électrique de Bob Wills & His Texas Playboys, les rois du western swing. Ainsi “Ida Red”, sorti en 1938, puis en 1948, inspirera “Maybellene” : “Legend Of Country Music : The Golden Era” (Columbia US 87) ; “Bob Wills & His Texas Playboys”, coffret 4-CD (Columbia US 06). On peut également citer Goree Carter And His Hepcats” avec son “Rock Awhile” en 1949 : “Rock Awhile” (Blues Boy Suède 83). Si Charlie Christian, Eddie Durham, Junior Barnard, Les Paul furent des pionniers de la guitare électrique, T-Bone Walker, un des musiciens préférés de Jimi Hendrix qui lui piqua des attitudes et des astuces, en fut le grand innovateur, le précurseur du blues moderne et du rock’n’roll dont la six-cordes deviendra bientôt l’instrument central : “T-Bone Jumps Again”, de 1942 à 1947 (Charly UK 81) ; “T-Bone Blues”, superbes versions de ses classiques précédents (Atlantic US 60). Walker était souvent accompagné par le pianiste Freddie Slack qu’on va retrouver auprès d’Ella Mae Morse. Trop méconnue, celle-ci est pourtant une des grandes chanteuses annonciatr­ices du rock’n’roll par des versions enflammées de “Cow Cow Boogie” en 1942, du formidable “The House Of The Blue Lights” en 1946 repris par Chuck Berry, Jerry Lee Lewis et, plus tard, les Flamin’ Groovies, de “Down The Road A Piece” en 1952 : “The Hits Of Ella Mae Morse & Freddie Slack” (Capitol US 1962) réédité en France en 1984 ; “Rockin’ Brew” (Ember UK 69). A l’image du chanteur de western swing Buddy Jones avec, en 1939, “Rockin’ Rollin’ Mama”, et des Delmore Brothers, avec “Freight Train Boogie” et “Hillbilly Boogie” en 1946, qui influencèr­ent des artistes tels que le Johnny Burnette Trio, Hank Williams insuffla une bonne dose de rock’n’roll dans la country avec “Move It On Over” en 1947, “Hey Good Lookin’ ” en 1951 et “Jambalaya (On The Bayou)” en 1952 : “40 Greatest Hits” (Mercury US 78) réédité depuis en CD. Pour découvrir plus de détails et d’anecdotes sur cette période pré rock’n’roll, est conseillé le très bon livre de Nick Tosches paru en français, en 2000, chez Allia sous le titre “Héros Oubliés Du Rock’n’Roll, Les Années Sauvages Du Rock Avant Elvis”. Et pour s’initier au rock avant Elvis, les huit volumes “Rock N’Roll” documentan­t les années 1927 à 1952 chez Frémeaux constituen­t une excellente entrée en matière.

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The Kings Of Rhythm, 1956
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T-Bone Walker
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