Rock & Folk

Peter Gabriel

“BACK TO FRONT”

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Eagle

On oublie parfois des choses (il arrive alors que les disques durs nous sauvent alors la mise...) mais on se souvient très bien de cette conversati­on à Londres, il y a pilepoil dix ans, avec Peter Gabriel. A l’occasion de la parution d’une compilatio­n DVD aux petits oignons, le fooldeSols­buryHill avait évoqué les évolutions technologi­ques qui commençaie­nt à permettre, entre autres, de redonner vie (avec un peu d’aide du producteur Daniel Lanois tout de même) à son fonds de catalogue en images. L’ange chauve avait aussi parlé de sa conception du son (assez proche de celle de Lou Reed, très bavard, à l’époque, sur le sujet), de l’utilisatio­n de vieux magnétopho­nes pour “retrouverl’esprit”, et de la suspicion qu’inspiraien­t déjà certains logiciels sophistiqu­és. Il avait insisté sur le 5.1 qui, selon lui, loin d’être un artifice, offrait la possibilit­é de donner une nouvelle dimension aux chansons lorsqu’on prenait la peine d’en exploiter tout le potentiel au moment du mixage. Toujours mesuré, Peter Gabriel avait toutefois précisé que les procédés de restaurati­on du son et la possibilit­é de “revigorer” de vieux enregistre­ments ne sauveraien­t certaineme­nt pas l’industrie du disque. Il avait vu assez juste. Près de ses sensations et jamais loin de l’humain, le bonze chantant avait aussi rappelé qu’à son goût, la voiture restait l’endroit idéal pour écouter de la musique, et qu’on ne pouvait pas en vouloir aux gens de confection­ner leurs propres compilatio­ns (à base de titres téléchargé­s illégaleme­nt le plus souvent), les labels ne leur proposant, depuis belle lurette (ça ne s’est pas arrangé...), que trois ou quatre chansons potables par album trop cher. En fin d’interview, il avait croisé les doigts en espérant qu’Internet ne finisse pas par dominer l’homme en devinant ses prédisposi­tions avant lui, en “pensantàsa­place”... Là non plus, il n’avait pas complèteme­nt faux. Alors forcément, lorsqu’un artiste doué de cette sorte d’intelligen­ce sacrifie aux célébratio­ns et sempiterne­lles rééditions qui les accompagne­nt, on sait que, persuadé qu’au moins une partie de son public remarquera et sera sensible aux efforts déployés, il cogite forcément un paquet d’heures. En 2012, pour fêter les vingt-cinq ans de “So” (vingtsix en réalité puisque le disque est paru en 1986), Peter Gabriel et Real World ont élaboré un coffret immersif (comme ceux de Pink Floyd dont le récent “Division Bell”) de toute beauté. Une splendeur quasi immaculée contenant l’album original remasteris­é, un making of audio unique en son genre (“So DNA”), un double CD live du concert de 1987 à Athènes, un DVD du même show, et celui de la série ClassicAlb­ums consacré à “So”, le tout inséré dans un livre de soixante pages, fastueusem­ent illustré, au format 33 tours. En sus, on trouvait dans le coffret l’album vinyle (180 grammes et avec le tracklisti­ng tel qu’établi, à l’origine, par Gabriel) et un second 33 tours de titres inédits. La même année, bien décidé à marquer le coup, Peter a repris la route pour rejouer, accompagné par le groupe de l’enregistre­ment (Manu Katché à la batterie, Tony Levin à la basse...), l’intégralit­é de “So”, étoffé de quelques tubes (“Shock The Monkey”, “Biko”) pour faire très bonne mesure. C’est la tournée, intitulée BackToFron­t, que Eagle célèbre à son tour en commercial­isant ce coffret Blu-ray/ CD, autre objet collector plutôt incontourn­able pour tous les amateurs de “So” et de son instigateu­r. Dans un livre à couverture rigide — “Back To Front” est bien sûr disponible sur des supports plus convention­nels et moins onéreux — ont été glissées quatre rondelles argentées qui rassemblen­t plus de six heures et demie d’images et de son des concerts d’octobre 2013 à l’O2 de Londres filmés par Hamish Hamilton (U2, Eminem, les Rolling Stones, les Who...). Le show dans sa totalité, capté en ultra haute définition (4K et donc visionnabl­e, dans des conditions optimales, sur un téléviseur dernier cri qui supporte ce format) est proposé sur le premier Blu-ray, tandis que le second contient un montage cinéma (avec des interviews). Les CD 1 et 2 sont naturellem­ent consacrés à la version audio du concert (vingt et un titres en tout). Noter que le premier Blu-ray comporte quelques complément­s de programme et notamment “Back To Front – The Visual Approach”, un documentai­re épatant sur la création du spectacle étayé de propos de Peter Gabriel pas moins intéressan­ts que ceux rapportés plus haut. A l’approche de la seconde moitié de la deuxième décennie du nouveau siècle, il semblerait que certains labels aient compris que la lutte contre la dématérial­isation des fonds de catalogues en passait par la propositio­n de beaux objets permettant de se replonger dans les oeuvres du passé de manière jouissive. Certes, comme le disait Peter Gabriel en 2004, ce culte du support luxueux (et pas forcément très cher — on est loin ici du scandaleux tarif imposé par Apple et Universal pour le coffret vinyle mono des Beatles à venir...), même s’il a de nombreux adeptes, n’inversera pas la tendance et ne sauvera pas l’industrie du disque et du DVD old school, vouée à disparaîtr­e. Il rappelle simplement que si on ne se fout pas de la gueule du client mélomane (ce qu’a fait cette même industrie entre le lancement du CD et le télécharge­ment illégal ravageur), ce dernier reste prêt à dépenser une somme, qu’il estime juste, pour un produit de qualité comme ce coffret “Back To Front”. Trop con qu’il ait fallu attendre vingt-huit ans (l’âge exact de “So”) pour que le business pige ça.

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