Rock & Folk

Wolfsohn reçoit Dutronc, clairon à la main

- PATRICK EUDELINE

Avec Jil et Jan, il a travaillé sur Trumpet Boy, Colette Renard... Ils se connaissen­t bien. Les duettistes auteurs sont allés voir Johnny au fameux concert du Marcadet Palace, Hallyday s’y présente encore en duo, avec Philippe Duval. Mais c’est lui, l’Elvis français. Jil et Jan en sont persuadés. Ils présentent donc Johnny à Jacques Wolfsohn. Qui répond (quoi d’autre ?) “On rentre en studio la semaine prochaine.” Quant à Philippe Duval, il disparaît corps et bien. Pour l’anecdote, Long Chris qui avait imaginé les costumes de Johnny pour le Marcadet Palace, avait refusé de saper le jeune Philippe. Ces Everly Brothers français-là ne verront donc jamais le jour... Par le fait, Johnny, sur le devant de la scène, s’était senti pousser des ailes. Nous sommes en 1959. Comme on a envie de dire : les sixties peuvent commencer. Et si “T’Aimer Follement” cartonne moins que la version de Dalida, Johnny s’impose après son premier passage télé. Et les groupes se multiplien­t. Jacques Dutronc et Hadi Kalafate rencontren­t alors Jacques Wolfsohn... Ils sont respective­ment bassiste et guitariste de El Toro Et Les Cyclones. Wolfsohn les a reçus un clairon à la main. L’homme est connu pour ses plaisanter­ies et son caractère difficile. Dutronc ne le sait pas encore, mais l’humour de Wolfsohn et son sens de la dérision vont devenir bientôt une des constituan­tes de son futur personnage. El Toro Et Les Cyclones ne vont nulle part... et bientôt, Dutronc part à l’armée. Mais il a conservé le numéro de téléphone de Wolfsohn. Il lui place “Fort Chabrol”. Pour les Fantômes. Les Shadows français. Jacques Wolfsohn, dès 1962, rêve d’une Minou Drouet twist. Cela n’existe pas encore. Et Marie-José Neuville est déjà bien oubliée. Enfin... il est déjà las des twisteuses en tout genre. Le folk américain explose et ces gens écrivent leurs propres textes. Cela aussi peut être une piste ? En fait, il ne sait trop. Il lui faudra trois auditions pour se décider. Trois auditions d’une jeune prétendant­e qui avait lu son annonce. Il est désormais responsabl­e du départemen­t variétés. Et directeur des éditions Alpha. Dès la seconde, l’inconnue avait osé interpréte­r ses propres titres, ceux qu’elle ânonnait chez Mireille au Petit Conservato­ire. Françoise Hardy bien sûr. Et ce n’est pas la reprise, “Oh Oh Chéri”, qui cartonne mais bel et bien la face B, le “Tous Les Garçons Et Les Filles”. Et cela, Wolfsohn ne l’avait pas exactement prévu. Enfin, Fantômes, Johnny, Françoise... sans compter Aimable, Jean Ferrat, Pierre Perret, Petula Clark et son “Downtown”... A un degré ou un autre, tous vont travailler avec Wolfsohn. Tous vont enchaîner les hits. Assez pour que Wolfsohn, au sein de Vogue, se donne un genre et acquière une liberté certaine. Canulars, railleries, surréalism­e potache, il y a un style Vogue. Il influence même inconsciem­ment un jeune directeur artistique aux dents trop longues. Christian Fechner. Christian Fechner qui vient de rafler la mise beatnik avec Antoine. Antoine qui, un jour dans l’ascenseur, oublie de saluer Wolfsohn. Un Wolfsohn accompagné alors de sa jeune recrue. Dutronc lui-même. Engagé depuis 1964. Au retour de son service militaire, le père de Jacques avait pris la liberté d’écrire à Wolfsohn. Pour demander du travail... Le rôle de Dutronc, comme celui de Kalafate, également engagé, est flou. Il compose vaguement, pour Zouzou par exemple, supervise les séances... On le trouve même dans les choeurs des “Jolies Colonies De Vacances” pour Perret... Antoine, Wolfsohn le garde en travers de la gorge. Comme d’ailleurs Fechner et tous ces jeunes qui commencent à débarquer aux disques Vogue. Germinal Tenas par exemple ! Il rêve donc d’une réponse beatnik... Pour cela il lui faut des textes. Et autre chose que, par exemple, cet “Inventaire 66” que ce pauvre Delanoë a commis pour Delpech, croyant faire genre, jeune, chic et choc. Alors en visite dans les bureaux de ce dernier, il en parle à Daniel Filipacchi : “Va voir à l’étage, cela pourrait intéresser Lanzmann.” On connaît la suite. “Cheveux Longs” pour Benjamin. Un flop. Mais Lanzmann a mieux. Une parodie directe des “Elucubrati­ons” . A la première personne. Découpé Dylan style. A la séance d’enregistre­ment, Benjamin, trop défoncé, ne se pointe pas. Dommage, il avait le look. Faute de mieux, Dutronc s’y colle. C’est le carton immédiat que l’on sait. Même si, au début, tout le monde a cru que c’était Antoine lui-même. Ou une parodie, façon Edouard. La collaborat­ion durera longtemps et n’aura pas d’équivalent. Au point que, en 1980, quand Dutronc confie une de ses musiques à Gainsbourg pour l’album “Guerre Et Pets”, il apprend que Wolfsohn, en cachette, a confié la même à Lanzmann, voulant forcer le destin. Wolfsohn qui, depuis un certain temps, justement, croira revivre. En cette année 1976. Il s’intéresse au punk, on lui prêtera un rôle d’éminence grise chez les Téléphone qui le visitent plus d’une fois. Il est allé les voir en concert, les a invités sur son bateau. Il les veut... Mais ces niais de Téléphone trouvent que Vogue a une image variétés et refusent de signer avec Wolfsohn pour les raisons exactes qui pouvaient fasciner les gens de goût... Comme les Stinky Toys, qui, eux, déjà, ont signé chez Vogue. Le premier groupe punk français. Wolfsohn les laisse chanter en anglais. Même s’il n’y croit guère. Wolfsohn est de nouveau vivant... Jusqu’à la signature avec Taxi Girl. Taxi Girl ! Avec Pierre, son fils à la batterie. Il avait même proposé à Daniel Darc d’écrire pour “Guerre Et Pets”. Mais Daniel ne bondira pas sur l’affaire. Comme souvent avec lui. Wolfsohn ne sait pas que l’héroïne fait des ravages à Paris dans le milieu rock... Et après la mort de son fils Pierre, quelque chose sera cassé. L’homme a toujours été un solitaire, malgré les apparences. Il le sera de plus en plus. Aux éditions Alpha, se sont bientôt joints les éditions Jacques Wolfsohn, depuis 1983, et le label Gaumont. Dutronc, bien sûr... Mais aussi des musiques de films à foison, Eric Serra... Et Ici Paris avec “La Fusée De Ton Retour” ! Une perfection pop. On y trouvera aussi des fidélités jazz comme Martial Solal. Vogue n’est plus. Gaumont tiendra le flambeau. Jusqu’à l’orée du siècle nouveau. On dit que, jusqu’à la fin de sa vie, Jacques Wolfsohn voyait encore certaines figures de la pop française, comme Bertrand Burgalat, les invitant dans son restaurant préféré de la rue des Tournelles. Et puis, à 85 ans... il avait dû savoir, à un moment, que ce monde, décidément, ne lui ressemblai­t plus et qu il n’avait donc plus rien à y faire.

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