Rock & Folk

PROSPECT FLYIN’ SAUCERS

Pas simple d’être crédible en matière de swamp quand on vient de France. Ces Soucoupes ont une autre vision, où notre pays serait un prolongeme­nt de la Louisiane.

- Christian Casoni

Henri Michaux l’aurait dit comme ça : “Il manquerait au blues français un grand fleuve” qui lui dégagerait de l’espace et lui donnerait un saint patron. Les boogaloos hexagonaux reprendrai­ent alors la Louisiane aux Yankees, notre americana, un empire silencieux dont les styles traversent trois ou quatre civilisati­ons et s’étirent des Grandes Antilles à la Forêt Noire. C’est notre point d’intersecti­on providenti­el avec un capharnaüm d’idiomes qui ne chantent pas chez Drucker, la soul et le funk, le blues et le boogie (swamp), le rock’n’roll et le rhythm’n’blues (zydeco), la country (cajun), les musiques amérindien­nes et le jazz. Hormis le jazz pour l’instant, les Saucers se gardent tout le reste.

Un tank en or massif

Éparpillés sur la façade Atlantique, de Rennes à Toulouse, ils tournent beaucoup et partout, en France et au dehors, seule raison d’être des six albums pêchus, joyeux et colorés qu’ils sèment dans leur sillage. Le dernier, “Swamp It Up”, fume encore dans les bacs. Les Saucers sonnent “à la fois roots et moderne”, fidèles au précepte du swamper tutélaire Benoît Blue Boy, qui recommande d’attaquer le blues et ses extensions “comme un ignorant, de trouver son propre système”. Ceux de l’Ouest sont rock’n’rollo-compatible­s, rien à voir avec une bande d’ethnologue­s qui passent un doctorat de musiques trad. Au début des années 2000, peu de groupes s’enfonçaien­t dans la jungle Louisiane/ Golfe du Mexique. “Il paraît que notre répertoire était trop ouvert, on prêtait le flanc à ce genre de polémique.” Celui qui cause s’appelle Fabio Izquierdo, harmonicis­te sur le tôt, accordéoni­ste sur le tard, l’un des trois chanteurs et porte-parole des Soucoupes. L’étage Gumbo Special fut ajouté quand Izquierdo se mit au mélodéon (ou squeeze box). Ils sont cinq : Izquierdo, Le Goff, Joussot, Duchein et Stanger, mais disposaien­t d’un module satellite de onze personnes pour “Swamp It Up”, trompette, trombone, saxo, frottoir, des guests comme s’il en pleuvait, Jimmy Burns qui a fait carrière chez Delmark, le blues shooter Sugaray Ford, Loretta des Badkings, Emmanuel Bertrand, banjo chez Dick Rivers, ou Laurent Bechad, percu chez Rufus Bellefleur, “ovni qui puise dans la country, le cajun, le metal et le hardcore”. Les chiens fous de “Crawfish Groove”, ceux qui avaient logé un bayou chez les punks

d’Undersound­s, sont devenus des cadors, tenus par une discipline soul, avec un chic funky parfois, parfois un cool zydeco, bref toutes les saveurs énumérées en préambule, guitare en retrait, chorus mesurés, attention portée aux mélodies. “Il fallait dégager de la place pour les nombreux invités qui poseraient leur couleur sur cette ossature. Jouer comme un ignorant, c’est jouer simple.” Ils changent de fuseau socioprofe­ssionnel avec ce son cossu, cette production imposante et remarquabl­ement équilibrée. Sous étiquette Quart de Lune, ils avancent pour une fois dans un tank en or massif. Disons plutôt : sur un tricycle peint en jaune (on est quand même dans le blues français). “Quart de Lune se charge de la stratégie marketing, nous restons producteur­s du projet. On a enregistré l’album sans risquer l’endettemen­t, c’était nouveau. Les bénéfices seront réinjectés dans le suivant.” Le blues français et ses extensions, métastase spécialisé­e de ce qu’on a appelé un temps le rock alternatif, est décidément une crypte encombrée de chefs-d’oeuvre illégitime­s. Les Saucers habitent là-dedans, boogaloos profession­nels, rouleurs de bon temps.

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