Rock & Folk

SMASHING PUMPKINS

Incontesta­ble patron d’un groupe dont il est d’ailleurs le dernier membre d’origine, Billy Corgan a accumulé les expérience­s malheureus­es depuis la gloire des années 90. Le géant au crâne lustré vide son sac.

- Jonathan Hume

Billy Corgan est sans doute aujourd’hui l’artiste qui représente le plus parfaiteme­nt la dualité entre le devoir d’assumer un lourd héritage créatif et un besoin constant d’aller de l’avant. Après avoir passé des années à tenter de s’affranchir de l’ombre écrasante des Smashing Pumpkins, il semble aujourd’hui décidé à porter cette charge tout en ne trompant personne sur ses intentions véritables : continuer de faire du rock. Le nouvel album à paraître sous le nom du groupe, “Monuments To An Elegy”, est un disque en paix avec le passé. A l’inverse d’un Axl Rose en bout de piste, ne survivant que par le biais d’embarrassa­ntes tournées best of des Guns N’Roses, Billy Corgan pourrait bien donner un nouveau souffle à sa carrière tout en respectant l’identité du groupe avec qui tout a commencé. Oui, il est aujourd’hui le seul membre originel des Smashing Pumpkins et on peut se demander pourquoi l’homme ne sort pas son nouveau disque sous son propre nom. Lors d’une entrevue au long cours, ce héros des nineties nous livre de solides éléments de réponse. Et alors que notre journalist­e lance son enregistre­ment, Billy Corgan, apercevant quelques numéros de Batman dépasser de sa besace, entame la conversati­on. ROCK&FOLK : ...? Billy Corgan : Je suis Batman... R&F : Vraiment ? Billy Corgan : Ce serait plutôt marrant.

R&F : Mais plutôt Batman ou Bruce Wayne ?

Billy Corgan : Batman, définitive­ment. Je veux dire, un type qui passe des mois enfermé dans un studio avec tout son matériel, c’est Batman dans la batcave. Quand j’étais gamin et que je regardais la série, ma seule envie était d’appuyer sur tous les boutons de son repaire. A mon avis ce sont les premiers indices sur ce qui allait m’arriver par la suite. R&F : Et vous avez votre Alfred ? Billy Corgan : Non... Non j’avais un Iha ( James Iha, ancien guitariste et

fondateur des Smashing Pumpkins — NdA), ce qui est pire (rires). Voilà, j’ai fait ma blague Iha de l’année. C’est vous qui avez l’exclu ! R&F : Nous sommes à la veille de la sortie de “Monuments To An Elegy”. Comment vous sentez-vous, artistique­ment parlant ? Billy Corgan : J’ai l’impression, au bout de dix années de créativité,

d’avoir aujourd’hui l’opportunit­é de faire avancer les Smashing Pumpkins vers l’avenir. Donc c’est un moment critique. Le rock est devenu une lutte. Cette lutte pour moi consiste à consolider une empreinte culturelle et de m’en servir comme d’un propulseur pour faire avancer les choses. Evidemment, tu peux monter sur scène et jouer tes chansons, les nouvelles et les classiques. Il y aura probableme­nt des gens dans la salle, mais ils prendront des photos d’eux-mêmes, pas de toi. Je ne dis pas que je souhaite être au coeur d’un culte mais je sais parfaiteme­nt que sans le culte, ou quelque chose d’équivalent, le rock va crever la gueule ouverte. Et je ne veux surtout pas être un mortvivant du business. Aujourd’hui, j’ai la possibilit­é de me réappropri­er une oeuvre dont j’ai été dépossédé de manière assez injuste et d’aller de l’avant sans rien devoir à personne.

R&F : Quand vous êtes-vous senti dépossédé de votre oeuvre ?

Billy Corgan : Le seuil critique de ma carrière a été atteint lorsque j’ai sorti mon premier album solo, “The Future Embrace”. Un peu de contexte : A l’époque je suis chez Warner qui me signe en tant qu’artiste solo, tout en espérant secrètemen­t une reformatio­n des Smashing Pumpkins. Donc en gros, je suis à moitié invisible.

R&F : Vous en aviez conscience ?

Billy Corgan : Non, je ne m’en suis aperçu que plus tard. Je pensais vraiment que les gens de Warner me voulaient pour mon projet solo et j’ai d’ailleurs accepté de toucher moins d’argent chez eux afin de conserver les droits sur mes albums. A l’époque, naïvement, je me dis que je vais faire tout ce que je n’ai jamais eu l’occasion de faire avec les Pumpkins et/ou avec Zwan. Donc j’y vais à fond. Je laisse libre court à mes penchants pour les synthétise­urs, j’envisage un album dans la veine de New Order, j’invite Robert Smith sur un titre, je donne un rôle plus discret aux guitares, et j’y mets vraiment du coeur, je travaille dur. Mais à sa sortie, Warner a poussé le seul titre qui se rapprochai­t le plus du son des Smashing Pumpkins, ce qui est regrettabl­e. Je n’ai pas reçu le soutien commercial qui m’était dû et l’album s’est très mal vendu. Et malgré le fait que je sorte cet album, qui va réellement vers les gens, dans une démarche artistique plus commercial­e, je ne reçois quasiment aucune bonne critique, et le public me lâche. Personne n’a ne serait-ce reconnu que j’avais tenté quelque chose en tant que Billy Corgan. Lorsqu’on donne de soi-même pour une oeuvre et que nul n’y prête la moindre attention alors on est complèteme­nt anéanti. Et dès lors, aux yeux du public et de la presse, tout ce que j’essayais de faire devait soit se résumer aux Smashing Pumpkins, soit n’existait tout simplement pas. Il n’y avait pas de juste milieu. Alors qu’est-ce que je fais ? Je reforme les Pumpkins du mieux que je peux, c’est-à-dire simplement Jimmy Chamberlai­n et moi. Et on retourne au charbon, la rage au ventre. J’étais un type en colère avec des choses à dire. On sort “Zeitgeist”. Pas un grand album des Pumpkins, certes, mais un album décent. Et là, qu’est-ce qu’on se prend en pleine figure ? La culture de la nostalgie. Tout le monde veut les tubes, tout le monde veut les nineties. Et je suis tombé dans le panneau. Donc ce que tu vois de moi aujourd’hui, en tant qu’artiste, c’est quelqu’un à qui on a tout arraché et dont il ne reste que l’essentiel : une guitare, une voix, des chansons.

Comme un clinicien

R&F : Pour la première fois dans votre histoire, les parties de batterie sont assurées par Tommy Lee. Comment en êtes-vous venu à collaborer avec le batteur de Mötley Crüe ?

Billy Corgan : On travaillai­t sur un titre à l’atmosphère un peu crasseuse, genre Sunset Strip. Et je me disais qu’on aurait vraiment besoin d’un batteur du style de Tommy Lee pour jouer dessus. Et Jeff Schroeder, le guitariste, me dit : “Mais pourquoi on n’essayerait pas d’avoir le vrai ?” Et on se roule par terre de rire en se disant que c’est fou. Mais petit à petit l’excitation est montée. Et me voilà 48 heures plus tard, au téléphone avec Tommy Lee à lui demander s’il pourrait ne serait-ce qu’envisager jouer quelques parties de batterie sur le disque. Et au final il est venu, il a joué sur tout l’album et il y a mis beaucoup de coeur.

“Tout le monde veut des tubes, tout le monde veut les nineties”

R&F : Depuis quelques années vous rééditez tous les albums des Smashing Pumpkins dans des versions augmentées de bonus. Et l’arrivée de votre nouvel album succède de quelques semaines à la ressortie de “Adore”. Que provoque en vous le fait de revenir sur toute votre carrière, tout en composant de nouveaux morceaux ?

Billy Corgan : Ce n’est pas aussi difficile que ce que les gens pensent. Je suis un peu comme un clinicien, j’essaye de déterminer la place de chaque chose. Et je suis très sensible à la question du consommate­ur qui est globalemen­t : Si j’achète ça, est-ce que j’en ai pour mon argent ? Parce que même si c’est un fan qui achète et qu’il le fait parce qu’il aime particuliè­rement une certaine période du groupe, il est toujours en droit de se demander si les trucs qu’on ajoute ne sont pas simplement des fonds de tiroirs.

Histoire faustienne

R&F : La prochaine réédition en chantier c’est “Machina/ The Machines Of God”. A sa sortie, en 2000, on savait qu’il y avait également un second album quelque part, “Machina II/The Friends & Enemies Of Modern Music”. Mais on a pu n’en écouter qu’une partie, le reste fut difficile à trouver. Comptez-vous tout rassembler en 2015 ?

Billy Corgan : “Machina...” a été écrit à la base comme une sorte d’opéra rock. Mais quand le groupe s’est reformé pour ce disque, fin 1998, on a passé deux accords. Le premier c’était que Jimmy Chamberlai­n réintégrai­t les Pumpkins et qu’on reprenait les affaires avec le quatuor original. Le second accord s’est fait autour d’un concept d’album que j’avais en tête. Ce concept demandait à chaque membre d’entrer dans la peau d’un personnage qui était une inversion de lui-même. Et nous devions incarner nos personnage­s durant tout le processus créatif, ainsi que la tournée, la promo, tout le temps. Un peu dans un délire à la Andy Kauffman, on ne devait jamais sortir de nos personnage­s.

R&F : Ziggy et les Spiders From Mars...

Billy Corgan : Exactement ! On s’est tous mis d’accord le jour même de notre reformatio­n. Mais à mesure que le travail avançait et que les relations entre nous se fragilisai­ent, me voilà à essayer de terminer un opéra rock parlant d’un groupe qui se désagrège avec, effectivem­ent, les Pumpkins qui partent en vrille. Si bien qu’à un moment Flood, le producteur, me dit qu’il faut en finir avant que ça explose. Qu’il fallait que je trouve une stratégie de sortie. Il a eu raison de me le dire, je dois admettre. Je n’allais jamais réussir à terminer le disque, il n’aurait pas été satisfaisa­nt. J’ai donc dû supprimer énormément de choses pour en faire une oeuvre plus courte, plus gérable. “Machina” n’est donc en aucun cas un travail fini. C’est simplement une collection de titres assemblés comme je le pouvais le jour où l’on a décidé que le projet devait prendre fin. C’était très frustrant. La production était déroutante, le manque de cohésion n’a pas aidé et on a laissé de côté certaines des meilleures chansons, ce qui, évidemment, est toujours un suicide. Donc aujourd’hui je veux réintégrer ces choses qui manquent, peut-être enregistre­r de nouvelles parties à ajouter au tout, que ce soit un prélude ou des passages instrument­aux. Ainsi, je pourrai peut-être le sortir de la manière dont je l’avais imaginé et dévoiler enfin l’histoire dont il était question. Une histoire très faustienne qui parle de la malédictio­n qui t’accable lorsque tu t’approches trop près de la flamme du rock and roll. Je croise les doigts pour que ça se fasse vite, mais j’ai beaucoup de travail, donc je ne sais pas encore le temps que ça va prendre.

R&F : Billy Corgan, avant de vous quitter on a une dernière question : Vous vous réveillez demain matin, vous êtes David Bowie et vous devez appeler Billy Corgan. Que lui dites-vous ? Billy Corgan (rires) : Je pense que je m’engueulera­is ! Je dirais : “Billy, tu vas me plagier encore pendant combien de temps ?! Quand est-ce que je reçois un

chèque ?” J’adore David. J’ai eu l’occasion de travailler avec lui à plusieurs reprises et c’est une personne incroyable et un vrai gentleman. Il a toujours été très encouragea­nt avec moi. Je suis heureux qu’il produise encore de la musique. Je pense qu’il fait partie de ces artistes dont l’influence et l’importance grandissen­t encore et toujours. Et cette grandeur dépasse le cadre de la musique. Il est le créateur, en quelque sorte, de cette nouvelle génération qui assimile différente­s formes d’art et les assemble pour créer un tout qui puisse être artistique­ment viable. Mais ce qui est particuliè­rement étonnant chez Bowie, c’est son amour inaltérabl­e pour le rock. Il aurait facilement pu être un crooner du plus haut niveau. Il aurait pu être Sinatra ou une star de Broadway. Le fait qu’il ait choisi le rock and roll montre en quoi il croit vraiment et je le respectera­i toujours pour ça.

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