HANNI EL KHATIB
Directeur de son propre label, chanteur et producteur, le rocker de Los Angeles a aussi décidé de jouer quasiment tous les instruments sur son troisième album. Explication avec cet homme multifonction.
Et de trois : après un deuxième opus enregistré avec Dan Auerbach (Black Keys) et un an et demi de tournée, le musicien américano-palestinien, boss du label Innovative Leisure (17 artistes à ce jour) et prochainement producteur des Français de Wall Of Death, a estimé à juste titre qu’il en savait assez pour réaliser son troisième album à peu près seul. Signe des temps, la technologie est devenue suffisamment facile à maîtriser, l’industrie du disque n’a plus d’argent et plus guère de crédibilité : bonne époque pour s’en remettre au Do It Yourself. En conséquence, l’album est, selon l’expression classique, plus personnel.
Point de vue de la femme
Bien obligé, Hanni a quasiment tout joué (sauf la batterie), tout écrit, et ce en l’espace de trente
jours : “je m’y suis mis un mois après être revenu de tournée. J’ai commencé à écrire en février/ mars, je suis entré en studio en avril, où j’ai également beaucoup écrit, j’ai fait quatre chansons en quelques jours, ‘Moonlight’, ‘Melt Me’... Ensuite j’enregistrais, et on a bouclé juste à temps. Avant de rendre les clés, j’ai invité les gens du label pour leur faire écouter le résultat, avec une bouteille de champagne.” Sans vouloir comparer l’efficacité du monsieur à celle d’un Miles Davis qui enregistrait un album en moins de 24 heures, à l’écoute du disque, on peut en conclure comme lui que “si une idée vient vite, c’est probablement qu’elle est bonne”. Tout part du clair de lune, qui donne son titre à l’album, à la première chanson, et revêt une valeur quasi magique : “C’est une métaphore pour un endroit où je cherche des réponses
et la réponse est la créativité.” Elle prend parfois des chemins inattendus. Exemple parfait des
“thèmes primitifs, comme la perte, l’amour, la mort” abordés ici, le disque se clôt sur “Two Brothers” aux accords mineurs volontiers arabisants et culminant à presque six minutes : écrite pour sa famille, “en son honneur” et du point de vue de son père, la chanson évoque la mort de ses deux oncles d’une façon éminemment dansante, à l’image des enterrements jazz à la Nouvelle-Orléans : “Je me suis dit que la meilleure idée était d’adopter une forme festive, même si le titre provient d’une très grande
douleur.” De quoi s’agit-il dans “All Black” ? Pas d’une nuit sans clair de lune, non... De burqa, thème brûlant sur lequel il ne veut pas vraiment se prononcer, arguant que ce n’est pas la place d’un musicien surtout s’il a grandi à San Francisco — mais bien sûr, une chanson qui se place du point de vue de la femme “couverte des pieds à la tête”, ici convaincue que “la tradition la sauve” et “obligée de faire ce que son homme lui dit” ne peut pas vraiment se passer de commen-taire : “Il est difficile de comprendre quelque chose qu’on ne vit pas au quotidien, remettre en question la façon de vivre de certaines personnes n’est pas forcément pertinent quand on ne le vit pas soi-même.” Il se contente de dire que la décision devrait appartenir aux concernées.
Le dieu Dollar Vaste problème également que celui abordé dans “Home”. Il ne s’agit pas uniquement du classique retour à la maison après une tournée, mais d’un enfant kidnappé — inspiré par l’histoire vraie d’un brave Américain découvrant un beau jour que son voisin gardait des enfants dans la cave. “Worship Song (N°2)” est consacré au dieu Dollar : “J’ai rajouté le 2 parce qu’à mon avis il doit y avoir au moins une meilleure chanson sur le sujet, plaisante
t-il. Personnellement je n’ai manqué de rien. Mais dans mes voyages et à travers mes rencontres, j’ai vu beaucoup de hauts et de bas. Le seul dénominateur commun c’est la dépendance à l’argent pour survivre. Il y a peu d’endroits dans le monde où on peut survivre sans argent. Et on en fait un dieu, de plus en plus, une obsession qui contrôle la vie des gens.” Donc, “oui, un album un peu plus noir que les précédents”, à la
fois très rock et où Hanni laisse libre cours à “beaucoup d’influences moyen-orientales, notamment dans les lignes de guitare”, mais “sans que ce soit étudié. Je ne veux pas faire de recherche, pour éviter un résultat robotique et sans âme.” La pochette est saisissante : ce dessin hyper réaliste d’un serpent à demi maîtrisé par un homme dont on ne voit que le bras “illustre le rapport de proximité immédiate avec le danger : au début on se dit, c’est le bras qui contrôle mais, en réalité, le serpent est si imprévisible et si proche qu’au moindre faux mouvement, il peut te faire la peau.”
BUSTY CD “Moonlight” (Innovative Leisure/ Because)
Sortie le 20 janvier 2015