Un peu potache
Dire de Billie Holiday qu’elle a connu des moments de mouise qu’on ne souhaiterait même pas à son pire ennemi est un doux euphémisme, comme le rappelle l’avant-propos de Francis Marmande en ouverture de bal du superbe (Casterman) réalisé pour le centenaire de la naissance de la chanteuse par le dessinateur José Muñoz et le scénariste Carlos Sampayo. L’histoire commence trente ans après la mort de Lady Day : un journaliste se voit confier la rédaction d’un article sur la chanteuse et il n’a aucune idée de ce qu’a pu être cette mystérieuse personne. A partir de cette entrée en matière, Muñoz et Sampayo rendent un hommage aussi esthétique que sans concession aucune dans le contenu des cases. Même si la dame nous a laissé des enregistrements merveilleux, cette BD rappellera à chaque page le prix qu’a dû payer l’artiste pour entrer dans l’Histoire. En France, quand on évoque le Sud, les gens pensent à la chanson de Nino Ferrer, aux cigales. Aux Etats-Unis, toute référence à cette simple orientation géographique est susceptible de déclencher le bronx pour une raison principalement liée au crétinisme congénital d’une immense partie de la population qui donne un relief à cette ancienne portion de territoires ex-confédérés. A la lecture du premier tome de (Urban Comics), le lecteur féru de voyages en territoires rock’n’roll vivra cette BD, non pas comme une simple mise en cases mais surtout et avant tout, comme une étude ethnologique des moeurs des autochtones réalisées par Jason Aaron (“Wolverine”, “Ghost Rider”...) et Jason Latour (“Django Unchained”, “Sledgehammer 44”...), deux authentiques sudistes qui expliquent très bien dans ces quelques dizaines de planches pourquoi il est préférable de dessiner l’endroit plutôt que d’y habiter. Yasmine Surovec semble partisane inconditionnelle des chats malgré les tonnes de galères que semblent déclencher ces étranges animaux poilus. Dans son (Hugo & Desinge), genre de plaidoyer tendant à minimiser les mauvais côtés des félins domestiques, la dessinatrice passe en revue l’éventail de situations généralement pénibles auxquelles il faut s’attendre quand on fréquente les matous. Si la plupart des pages risque de faire ressurgir nombre d’évènements désagréables causés par ces sacs à puces ambulants, d’autres, au contraire, en souligneront les nombreux avantages comme, par exemple, cette source de chaleur plutôt agréable sur l’estomac après une rupture brutale avec son ex. Parmi les points forts du bouquin, on retiendra les pages consacrées à l’énumération des problèmes causés par la bestiole et on imaginera avec effroi tous les dégâts susceptibles d’être infligés à une collection de vinyles. Joe Sacco est considéré comme le premier dessinateur d’investigation à avoir publié ses reportages intégralement sous forme de petites cases — que ce soit son séjour dans la bande de Gaza, la Bosnie ou les migrants débarquant sur l’île de Malte. Autant dire que le bonhomme est pris très au sérieux par le monde qui l’entoure. Cependant, comme toutes les personnes de bon goût, il est également un inconditionnel des comix des années soixante comme Weirdo ou Zap. En gros, encore un jeune qui ne s’est pas trop fait prier pour aller se noyer dans la marmite de Crumb. C’est donc toute une collection d’histoires courtes à l’humour pas forcément universel qui attend le lectorat dans
(Futuropolis) ou Joe Sacco redonne vie à des personnages comme Richard Nixon comme si le conflit vietnamien était toujours en cours et lui en partance sous acide pour le trente-huitième parallèle. D’un autre côté, si le contenu de “Bumf” fait un peu potache, il faut sans doute voir ces planches comme une sorte de soupape de sécurité nécessaire à l’équilibre de l’auteur quand il donne dans le sujet sérieux.
Amour Exemplaire”