Rock & Folk

Emerveillé et agacé Les 8 Salopards

Dire que Tarantino est est forcément douteux. génie du cinéma contempora­in

- 106 R&F FEVRIER 2016

Oser la moindre réflexion sur ses films et on risque d’avoir une fatwa au même titre que d’aller faire un doigt d’honneur au Yoda en pleine convention “Star Wars”. Car là où illustres aînés (au hasard : Ford, Fellini, Kurosawa) ont eu une vie avant de faire des films, Tarantino n’aura vécu que le cinéma avant d’en faire ! En gros : peut-on être considéré comme un as du septième art si on ne se contente que de recracher sa cinéphagie, malgré les références distinguée­s et les révérences appliquées ? Tout admiratif qu’on soit de l’univers de ReservoirD­ogsMan, on peut aussi avoir un rapport ambigu avec son cinéma. En comprenant ceux qui aiment ses films et en respectant ceux qui les détestent. On peut — dans le même mouvement — être émerveillé et agacé par la façon dont il gère ses mixages cinéphagiq­ues. Voir “Kill Bill” par exemple. En s’inspirant (selon un blog de fou furieux) de 87 films différents (dont les deux plus voyants sont “Lady Snowblood” et “Le Jeu De La Mort”), fait-il preuve d’originalit­é pure ? Voir aussi “Inglorious Basterds”. La BO en est superbe, on est d’accord. Mais en écoutant dans ce film la magnifique partition que Jacques Loussier avait composée pour “Le Dernier Train Du Katanga” (film de mercenaire­s sauvages des sixties), celle-ci, du coup, ne correspond plus forcement aux images. Un peu comme si on peignait les moustaches de Salvador Dalí sur la Joconde. Car la force (et la faiblesse) de Tarantino, ce qui le passionne à juste raison, est de faire passer son amour du cinéma en réutilisan­t à sa façon plans, ambiance, musique et séquences de films méconnus qu’il adore. Histoire de les faire connaître au plus grand nombre, certes, mais avec l’inconvénie­nt que cela peut aussi agacer les puristes ayant la même culture déviante que lui et qui savent d’où viennent ces emprunts. Sachant qu’au final, sa filmograph­ie plaît à 85 % de ses fans hardcore trouvant ses films géniaaaaux, grooovy ou coooool sans pourtant connaître l’histoire du cinéma d’avant “Pulp Fiction”, son premier succès mondial. Passons l’agacement de son côté yin, restons admiratif de son côté yang. Genre “Jackie Brown”, probableme­nt son meilleur film. Une vraie ode sincère au cinéma de Blaxploita­tion où ses travers précités s’effacent au profit d’un sublime portait de femme incarnée par Pam Grier, notre très chère Coffy,PanthèreNo­ireDeHarle­m des seventies, revivalisé­e le temps de ce grand film. Ou, dans une moindre mesure, “Les Huit Salopards”, son re-western (après “Django”), tourné avec culot en pellicule 70 mm, format non usité à Hollywood depuis près de cinquante ans. Avec dans le cadre, une bande de cinglés qui, coincés dans une auberge, s’affrontent dans un jeu de massacre ultra théâtral, ironique, sanglant et vicelard. Comme une rencontre entre un huis clos à suspense à la Agatha Christie et les envolées sanglantes d’un gore italien de Lucio Fulci. Magnifique­ment filmé, joué par une galerie de trognes comme les aime Tarantino (Kurt Russel qui singe John Wayne, Samuel Jackson en chasseur de primes goguenard, Jennifer Jason Leigh en prisonnièr­e destroy, Walton Goggins en shérif ambigu...), débordant de métaphores et paraboles sur le racisme et certaines idéologies douteuses made in Oncle Sam, “Les Huit Salopards” semble être une des oeuvres les plus matures de Tarantino. D’autant que le récit est plus linéaire que d’habitude et les références moins lourdement frontales. Voir Ennio Morricone qui, après avoir vu certains de ses thèmes pompés pendant vingt ans par le cinéaste, compose ici enfin un superbe thème original. Une première dans la filmograph­ie du Quentin ! Seul souci de taille et talon d’Achille de Tarantino : une surdialogu­isation constante entre ces salopards, qui s’invectiven­t à coups de phrases répétitive­s, adroitemen­t élimée aurait pu ramener le film à une durée honorable (genre deux heures au lieu de trois). Du chouette cool/groove/ fun, certes, mais avec des putain de longueurs (actuelleme­ntensalles)...

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