Autre dimension Jodorowsky’s Dune
L’histoire du cinéma est riche en rebondissements...
Saviez-vous que Frank Sinatra devait jouer “L’Inspecteur Harry” ? Que Tom Cruise a failli être “Iron Man” à la place de Robert Downey Jr ? Que Stallone a failli sortir de sa première période has-been dans “Pulp Fiction” avant d’être remplacé par Bruce Willis ? Que Sean Connery, lassé de faire du cinéma, a refusé d’être Gandalf dans “Le Seigneur Des Anneaux”...!? Il en va de même pour certains films ambitieux qui n’auront jamais vu le jour. On aurait rêvé que Paul Verhoeven vienne à bout de ses “Croisades” avec Schwarzenegger. Ou d’un “ET 2” sérieusement envisagé par Spielberg. Et même d’une nouvelle version d’ “Autant En Emporte Le Vent” par Sergio Leone. Certains de ces films tués dans l’oeuf ont mêmes fini par exister. “Dune”, par exemple... L’adaptation du roman fleuve de Frank Herbert a finalement été réalisée il y a plus de trente ans par David Lynch. Lynch, admiré par la planète entière pour ses films cauchemardesques et tordus (à l’époque “Eraserhead” et “Elephant Man”) se paume totalement dans les méandres du roman de science-fiction le plus vendu dans le monde et signe un gros space-opéra un peu zinzin mais trop boursouflé et kitch aux entournures. Surtout dans ses décors en carton pâte vintage qui ont fait vieillir le film à la vitesse grand V. Après son bide dans les salles américaines, “Dune” est recousu en version longue pour la télévision, mais sans l’accord de Lynch qui le signe Alan Smithee, pseudonyme commun utilisé à Hollywood par des réalisateurs frustrés par des problèmes de production. Malgré son budget pharaonique (45 millions de dollars, somme énorme en 1985), “Dune” manque néanmoins d’emphase et de folie stylistique qu’Alejandro Jodorowsky aurait pu apporter. Car il s’en est fallu de peu que le Chilien mystique ne fasse son “Dune” à lui au milieu des années 70. Ce formidable documentaire de Frank Pavich revient sur la genèse de ce projet démentiellement pharaonique à une époque où le terme blockbuster n’était pas encore usité. “Ilfautcréerunautremondeet changerlamentalitédupublic”, telle était l’ambition principale de Jodo qui avait déjà réussi à nous faire passer dans d’autres dimensions parallèles à coups de “Montagne Sacrée” et d’ “El Topo”, deux classiques des midnight movies. Pour son “Dune” psyché, Jodo avait carrément convoqué Orson Welles, Mick Jagger, David Carradine, Salvador Dalí (et sa muse Amanda Lear !) au casting, Pink Floyd à la musique et — surtout — le dessinateur Moebius, le peintre suisse Giger et le scénariste Dan O Bannon. Trois noms mythiques qui allaient avoir leur importance dans le nouvel âge d’or de la science-fiction à venir via “Blade Runner”, “Alien” et “Star Wars”. Comme l’explique bien le documentaire, plusieurs idées visuelles et scénaristiques ont donc été recasées dans les films précités qui ont vu le jour dans les décombres atrophiées de ce “Dune” mort-né. Avec humour, mais également pas mal de mélancolie et de regrets, “Jodorowsky’s Dune” montre à l’écran les preuves de ce non film où Jodo en personne nous fait découvrir le livre. Celui qui se vendrait aujourd’hui plus cher que les versions manuscrites de la Bible ou du Necronomicon. En l’occurrence une énorme brochure regroupant (entre autres) quelques-uns des 3000 dessins conçus par Moebius pour le story-board, des peintures de Giger ainsi que le design de certains costumes et décors où — effectivement — on reconnaît toute la science-fiction cinématographique des décennies à venir. Terrorisé par le côté gourou/ foufou du réalisateur (prêt à payer 100 000 dollars la minute de tournage à Dalí pour qu’il interprète l’empereur de la galaxie !), Hollywood recule. Puis tente de recaser le roman d’Herbert à Ridley Scott (qui sortait d’ “Alien” et de “Blade Runner”) avant qu’il n’arrive dans les pattes de Lynch. Qui, hélas, n’aura pas atteint l’autre but de Jodorowsky. A savoir : “faireressentirauspectateurleseffetsduLSD”(ensallesle16mars).