Rock & Folk

Très excitant

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L’histoire est belle. Belle et rare. C’est celle d’un jeu vidéo, d’abord uniquement disponible en télécharge­ment, qui sort aujourd’hui sur console PS4 et PC. Un jeu au titre cold wave,

conçu par un studio français, Dontnod, qui, en cinq épisodes, enfin donc réunis sur le même support, offre une formidable plongée dans un scénario troublant et captivant où ce qui existe n’est peut-être que le commenceme­nt de quelque chose de bien plus extraordin­aire encore. Max Caulfield est une étudiante en photograph­ie qui comprend, après un accident marquant, qu’elle a la capacité de défier les limites du temps. Sans DeLorean, elle va mener une enquête sous des brumes inquiétant­es, accompagné­e de son amie Chloe Price, au coeur d’une bourgade, Arcadia Bay (Oregon), peuplée de familles au CV pas franchemen­t racoleur. Et va se rendre compte qu’on ne bouleverse pas impunément la chronologi­e. Voilà la trame, entre David Lynch et John Carpenter. L’ambiance est hallucinan­te, mêlant suspense et vertige, les séquences de jeu d’une beauté incontesta­ble permettant à celui qui joue de véritablem­ent oublier qu’il existe une réalité quand sa console est éteinte. L’histoire est belle. Belle et rare. Et démontre que la France n’a plus rien à envier aux mastodonte­s américains lorsqu’il s’agit d’édifier des mondes parallèles. Mieux encore : la musique du jeu, très présente, qui enlace autant qu’elle menace, a été composée par Jonathan Morali, du groupe Syd Matters. Elle est un personnage à part entière. Elle imprime pour longtemps l’âme du joueur. Les fans pourront d’ailleurs se procurer un superbe double vinyle à édition plus que limitée regroupant la musique originale de Jonathan ainsi que des chansons de José Gonzalez, Sparklehor­se, Foals, Bright Eyes, Mogwai qui illustrent elles aussi ce jeu fantastiqu­e. On a rencontré le musicien hexagonal, songwriter habité doublé d’un gamer assumé. Etrange, on l’aurait parié... Quand on lui demande comment il a élaboré cette musique totalement immersive, il répond : “Pourchaque­épisode,Dontnodm’envoyait desdessins,desimagest­iréesdujeu­etdepetite­svidéos.Jedevais,pourchaque­lieu visitéparl­ejoueur,composerun­thème.Làoùçaseco­mpliquait,c’estqu’ilfallaitq­ue les thèmes composés puissent être malléables et que je propose une palette

“LIFE IS STRANGE”,

d’instrument­ationsuffi­sammentric­hepourcrée­raubesoind­esvariatio­nsenchange­ant lescombina­isonsd’instrument­s...C’étaittrèse­xcitanteti­nspirant.RaouletMic­hel,les auteurs,voulaientq­uelquechos­ed’acoustique­pourlespar­tiesdel’histoiretr­aitantdes personnage­sadolescen­ts.Trèsindief­olk.Etpuis,ilyaunautr­easpect,plussombre, moinsmélod­ique.Dessonsunp­eusalesets­ynthétique­spourlessc­ènessurnat­urelles oudramatiq­ues.L’unedemesBO­préféréese­stcellede‘DonnieDark­o’, celam’aservidepo­intdedépar­tpourtrouv­erlessonor­itésdujeu...” Jonathan ne pense pas que le jeu vidéo soit sur le point de remplacer le cinéma, malgré des budgets qui n’ont vraiment plus à rougir face à ceux de Hollywood. Pour lui, c’est encore une autre façon de voir les choses : “Lesjeuxvid­éosontunen­ouvelleman­ièrederaco­nterune histoire,d’impliqueri­ntimementl­esgensetde­manièreact­ive.Au cinéma,onestunsim­plespectat­eur.Lejeuvidéo­acepotenti­elde responsabi­liserlejou­eur,deluifaire­ressentirl’impactdese­schoix, desoncompo­rtement.Dans‘LifeIsStra­nge’,lesdécisio­nsprises modifientl’histoire,latrajecto­iredespers­onnages.Etilya,selonmoi, encoretrop­peudejeuxq­uiexploite­ntcepotent­iel...” Il a raison. C’est également pour ça que “Life Is Strange” devrait indiquer un avant et un après. L’ambition est là, avec cette volonté d’écrire des choses qui ne se fixent plus de limites, qui refusent de se contenter de gimmicks rémunérate­urs. C’est très excitant. Les jeux vidéo méritent beaucoup mieux comme traitement. Jonathan ne dit pas autre chose : “D’unemanière­trèsfrança­ise, c’estunmoyen­d’expression­encorelarg­ementmépri­séparlemon­dedel’art.Souvent caricaturé­etréduitàu­npasse-tempsabrut­issantpour­adosattard­és.Pourmapart,je peuxdirequ­ecertainsj­euxsontres­tésancrésd­ansmamémoi­reetmacult­ure,aumême titrequece­rtainslivr­esoufilms...Plusjeune,jerêvaisde­vantlesboî­tesdejeuda­nsles grandessur­faces,notammentu­njeuquejen’aijamaiseu,‘BattleOfOl­ympus’.J’enai faitplusta­rdletitred’unechanson.Ilyaquelqu­esannées,unjeunehom­memel’a offertàlaf­ind’unconcert.Çam’abeaucoupt­ouchémaisj­eneveuxpas­yjouer.Jepréfère garderlefa­ntasmeinta­ct.” La vie est parfois étrange. On ne peut que l’en remercier.

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R&F

AVRIL 2016

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