Green Room
Jeremy Saulnier, jeune cinéaste indépendant américain
(comprendre : pas encore vendu à Marvel et à “Star Wars” !) partage avec Tarantino une passion commune pour “The Thing”. Pas mauvais goût, les gars ! Mais là où Tarantino a fait du huis clos lovecraftien de Carpenter un western tendu via ses “Huit fucking Salopards”, Saulnier, lui, vise plutôt le redneck movie. Au lieu de scientifiques aventureux contre des créatures lovecraftiennes, il met face à face une bande de punk rockers débonnaires et des skinheads furibards à tendance néonazies. Inutile de dire qu’on va baigner sec dans la sur-rock attitude... Saulnier a été repéré il y a deux ans avec son formidable “Blue Ruin”, toute petite production de 40 000 dollars financée sur budget participatif. Une histoire de vengeance larvée où un SDF à la ramasse rend justice dans le doute et les regrets de ses actes. Une série B quasi humaniste, brodage ciselé entre animosité salvatrice et émotion enfouie. Avec “Green Room”, Saulnier laisse la psychologie au vestiaire pour se focaliser entièrement sur la violence et ses effets. En gros : comment la gérer ? Se défendre, oui, mais de quelle manière ? Faut-il vraiment tendre sa joue droite quand la gauche est déjà sérieusement amochée ? Et surtout : comment rester vivant ? Quelque chose de l’ordre des “Chiens De Paille” de Sam Peckinpah, quand le frêle Dustin Hoffman devient une bête à tuer pour défendre l’honneur de sa femme et le paillasson de sa maison. Dans “Green Room”, une bande de jeunes punk rockers sympas va donc devoir se frotter à la violence totale. En acceptant d’aller donner un ultime concert dans une région paumée de l’Oregon (histoire de terminer leur tournée foireuse sur un semblant de succès), les musiciens atterrissent dans un bar destroy isolé en pleine forêt. Manque de bol, en retournant dans leur loge après leur remix de “Nazi Punks, Fuck Off” des Dead Kennedys qu’ils interprètent inconsciemment devant une horde de brutes néo-fachos au look de frères Rapetou, ils tombent sur un cadavre lié à un règlement de compte avec le patron du lieu. Un dur à cuire teigneux et froid, gérant cette bande de skinheads au garde-à-vous qui terrifierait le plus hargneux des djihadistes. Les filles et les gars de The Ain’t Rights (nom du groupe) vont devoir s’enfermer dans la fameuse green room (la pièce/ backstage où attendent les groupes avant de donner un concert). Un lieu clos que les nazis furibards vont essayer de pénétrer pour y sévir sévèrement. Et le prix de survie se fera dans les plaies, cris et chairs arrachées... Dans une ambiance sonore de punk hardcore agressif et de thrash metal teigneux, “Green Room” ne lâche jamais la tension. Pas une seconde ! Elevé au cinéma de siège qui tache et qui fait mal — on pense à “La Nuit Des Morts Vivants” de Romero et “Assaut” de Carpenter — “Green Room” est une expérience viscérale et tripale qui renvoie au meilleur de la série B des années 80. Mais aussi — via la trogne patibulaire des bad guys — à “Mad Max”, autre référence avouée de Saulnier. La violence, impressionnante de réalisme et totalement pulsionnelle, a des allures de stroboscope déglingué. Comme si les jets de sang finissaient par remplacer les jets de lumière. Pour défendre leur peau pas encore assez tannée, les rockers s’improvisent tueurs malgré eux. Comme le précise le réalisateur : “‘GreenRoom’n’ariend’unehorlogeriesuisse:ilseveutplutôtuncoup depoingdansl’estomac.” Quant à Patrick Stewart (le professeur Xavier des “X Men”), il compose à 75 ans un méchant ultra fielleux, sorte de serpent tentateur qui, sous ses airs de vouloir calmer le jeu, ne fait que raviver la tension dès que les armes (blanches ou à feu) se taisent et que les os ne se brisent plus. Comme dirait Bernard Blier dans la scène la plus culte des “Tontons Flingueurs” de Georges Lautner : “Fautreconnaître... C’estdubrutal!”(ensallesle27avril).