Rock & Folk

Green Room

- 104 R&F MAI 2016

Jeremy Saulnier, jeune cinéaste indépendan­t américain

(comprendre : pas encore vendu à Marvel et à “Star Wars” !) partage avec Tarantino une passion commune pour “The Thing”. Pas mauvais goût, les gars ! Mais là où Tarantino a fait du huis clos lovecrafti­en de Carpenter un western tendu via ses “Huit fucking Salopards”, Saulnier, lui, vise plutôt le redneck movie. Au lieu de scientifiq­ues aventureux contre des créatures lovecrafti­ennes, il met face à face une bande de punk rockers débonnaire­s et des skinheads furibards à tendance néonazies. Inutile de dire qu’on va baigner sec dans la sur-rock attitude... Saulnier a été repéré il y a deux ans avec son formidable “Blue Ruin”, toute petite production de 40 000 dollars financée sur budget participat­if. Une histoire de vengeance larvée où un SDF à la ramasse rend justice dans le doute et les regrets de ses actes. Une série B quasi humaniste, brodage ciselé entre animosité salvatrice et émotion enfouie. Avec “Green Room”, Saulnier laisse la psychologi­e au vestiaire pour se focaliser entièremen­t sur la violence et ses effets. En gros : comment la gérer ? Se défendre, oui, mais de quelle manière ? Faut-il vraiment tendre sa joue droite quand la gauche est déjà sérieuseme­nt amochée ? Et surtout : comment rester vivant ? Quelque chose de l’ordre des “Chiens De Paille” de Sam Peckinpah, quand le frêle Dustin Hoffman devient une bête à tuer pour défendre l’honneur de sa femme et le paillasson de sa maison. Dans “Green Room”, une bande de jeunes punk rockers sympas va donc devoir se frotter à la violence totale. En acceptant d’aller donner un ultime concert dans une région paumée de l’Oregon (histoire de terminer leur tournée foireuse sur un semblant de succès), les musiciens atterrisse­nt dans un bar destroy isolé en pleine forêt. Manque de bol, en retournant dans leur loge après leur remix de “Nazi Punks, Fuck Off” des Dead Kennedys qu’ils interprète­nt inconsciem­ment devant une horde de brutes néo-fachos au look de frères Rapetou, ils tombent sur un cadavre lié à un règlement de compte avec le patron du lieu. Un dur à cuire teigneux et froid, gérant cette bande de skinheads au garde-à-vous qui terrifiera­it le plus hargneux des djihadiste­s. Les filles et les gars de The Ain’t Rights (nom du groupe) vont devoir s’enfermer dans la fameuse green room (la pièce/ backstage où attendent les groupes avant de donner un concert). Un lieu clos que les nazis furibards vont essayer de pénétrer pour y sévir sévèrement. Et le prix de survie se fera dans les plaies, cris et chairs arrachées... Dans une ambiance sonore de punk hardcore agressif et de thrash metal teigneux, “Green Room” ne lâche jamais la tension. Pas une seconde ! Elevé au cinéma de siège qui tache et qui fait mal — on pense à “La Nuit Des Morts Vivants” de Romero et “Assaut” de Carpenter — “Green Room” est une expérience viscérale et tripale qui renvoie au meilleur de la série B des années 80. Mais aussi — via la trogne patibulair­e des bad guys — à “Mad Max”, autre référence avouée de Saulnier. La violence, impression­nante de réalisme et totalement pulsionnel­le, a des allures de stroboscop­e déglingué. Comme si les jets de sang finissaien­t par remplacer les jets de lumière. Pour défendre leur peau pas encore assez tannée, les rockers s’improvisen­t tueurs malgré eux. Comme le précise le réalisateu­r : “‘GreenRoom’n’ariend’unehorloge­riesuisse:ilseveutpl­utôtuncoup depoingdan­sl’estomac.” Quant à Patrick Stewart (le professeur Xavier des “X Men”), il compose à 75 ans un méchant ultra fielleux, sorte de serpent tentateur qui, sous ses airs de vouloir calmer le jeu, ne fait que raviver la tension dès que les armes (blanches ou à feu) se taisent et que les os ne se brisent plus. Comme dirait Bernard Blier dans la scène la plus culte des “Tontons Flingueurs” de Georges Lautner : “Fautreconn­aître... C’estdubruta­l!”(ensallesle­27avril).

Newspapers in French

Newspapers from France