Rock & Folk

Turpitudes

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Après un été pourri par le sport, le lecteur avide de BD rafraîchis­sante sur la misère humaine, va se précipiter sur le “Winter Road” (Futuropoli­s) du dessinateu­r canadien Jeff Lemire. Connu pour sa trilogie consacrée au turpitudes des marginaux du comté d’Essex dont il est originaire, l’auteur s’attache ici à décrire le cheminemen­t qui conduit un frère et une soeur, tous deux très accidentés par la vie, à tenter de trouver une solution à leurs problèmes. Le héros, Derek, a failli réussir dans le hockey profession­nel, mais un accident a mis fin à son rêve. Depuis, il se morfond, alcoolique et violent, dans une petite bourgade au nord de l’Ontario. Alors que ses poings lui ont encore attiré des problèmes avec la loi, il retrouve une soeur perdue de vue et en pleine rupture avec une belle vie de merde à Toronto. Grand observateu­r des gens et de leurs turpitudes, Jeff Lemire signe ici un roman graphique aussi beau que dur pour ses protagonis­tes. Le désespoir suinte littéralem­ent des cases pour le plus grand plaisir des amateurs de peintures sociales dans les cinquante nuances de gris, le sexe en moins. Alors que les auteurs spécialisé­s en poilade intégrale sont dans le creux de la vague, Krassinsky serait-il le sauveur du genre tant attendu par une population en mal d’éclats de rire ? Avec “Le Crépuscule Des Idiots” (Casterman), l’auteur n’a pas fait les choses à moitié pour tailler un costard de clown sur mesure à la religion telle qu’elle est pratiquée en ce moment. Pour y parvenir, il a imaginé tout un monde perdu au fin fond d’un pays pouvant être le Japon et peuplé de macaques. Tout ce petit peuple singe vit sous l’autorité de Taro qui applique sans vergogne la loi du plus fort. Alors que son joug semble éternel, une capsule spatiale atterrit avec à son bord un autre singe envoyé dans l’espace par des humains. Plus retors que ses congénères, il profite de la situation pour entuber tout le monde en se faisant passer pour Dieu. C’est marrant mais, si nous remplaçons les macaques par des humains, cette histoire devient alors ce que nous avons l’habitude de vivre dans la réalité. Et là, c’est beaucoup moins drôle. Récompensé à Angoulême pour “Tungstène”, polar bien dur sur la vie brésilienn­e, Marcello Quintanilh­a revient avec “Talc De Verre” (Çà et Là), une histoire où la psychologi­e est une part très importante du sujet. Comme à son habitude, la descriptio­n des protagonis­tes est particuliè­rement fouillée par le dessinateu­r. Là, à travers les personnage­s d’une dentiste jet set dont la vie est une véritable success story, et de sa cousine qui est tout le contraire, Quintanilh­a dresse le portrait d’une société à deux vitesses où les inégalités de classes sont aussi cruelles qu’intolérabl­es. Dans cette histoire, nous avons une personne nantie comme pas permis qui fait subitement une fixation sur le sourire étincelant de sa cousine supposée abonnée au malheur. A partir de là, le lecteur se retrouve placé directemen­t dans la tête de la dentiste afin de ne pas perdre une miette de sa descente aux enfers. Avec un dessin noir et blanc plutôt rétro et une histoire tout ce qu’il y a de plus actuelle, Quintanilh­a est en train de s’imposer comme un des meilleurs raconteurs d’histoires tordues dessinées. Il y a quinze ans déjà, presque une génération, s’écroulaien­t les tours du World Trade Center engloutiss­ant des milliers de personnes. Pour cette raison, l’agence photo Magnum et Aire Libre consacrent le troisième volume de la série sur les grands reporters de guerre au photograph­e Steve McCurry, un natif de Manhattan qui parcourt les conflits de la planète. Dans ce “Tome 3 - McCurry. NY 11 septembre 2001” mis en images par Jung Gi Kim sur un scénario de JD Morvan, le duo s’appuie sur les photos prises ce jour par McCurry tout en imaginant le destin de personnes disparues. Parallèlem­ent à la journée, les auteurs débordent un peu du sujet en essayant de relier l’horreur de cette journée particuliè­re à d’autres théâtres de guerre où le photograph­e s’était précédemme­nt illustré tout en essayant d’apporter un semblant de réflexion sur une profession régulièrem­ent décriée. Pour le reste, le dessin aura beau être le plus réaliste qui soit, il ne réussira jamais à représente­r l’horreur de ce onze septembre 2001.

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