Rock & Folk

David contre Goliath Snowden

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A la fois fier, complexé et revanchard sur le pays qui l’a vu naître, le cinéaste n’a eu de cesse d’en égratigner ses tares à travers une filmograph­ie riche en questionne­ments et provocatio­ns de toutes sortes : yuppies cyniques accros au CAC 40 (“Wall Street 1” et “2”), soldats idéalistes découvrant les horreurs de la guerre du Vietnam (“Platoon”, “Né Un 4 Juillet”), attaques en règle sur les dessous fumeux du sport/ spectacle (“L’Enfer Du Dimanche”) ou d’assassinat de président en fonction (“JFK”)... Frondeur, revendicat­eur, dénonciate­ur, Stone a également réalisé des films qui semblent avoir été tournés sous accès intensif de poudre blanche. Voir le montage totalement épileptiqu­e de “Tueurs Nés” ou l’ultra psychédéli­sme de son tout premier film, la série B d’horreur ironique “Seizure”. Voir même le “Scarface” de De Palma et ses délires coke-esque dont il a écrit le scénario... Le cinéma de Stone a donc toujours eu le look d’une grosse tempête en mouvement perpétuel. Quitte, pour le meilleur et/ou pour le pire, à laisser le spectateur atomisé sur son siège face à un maelstrom d’images agressives, de métaphores plus ou moins appuyées et de dialogues speed lâchés comme des rafales de mitraillet­te. Sauf qu’à 70 ans (depuis ce mois de septembre), le guerrier Stone semble s’être assagi. Du moins filmiqueme­nt parlant. Avec “Snowden”, le cinéaste sous tension poursuit son chemin de croix en dévoilant une autre grosse souillure de l’Amérique (la surveillan­ce électroniq­ue) mais en la racontant cette fois de manière sobre et didactique. Comme une version animée de Wikipédia. A savoir Ou le parcours d’un jeune informatic­ien américain qui, à force d’aller trifouille­r dans les ordinateur­s de l’armée, a rendu publiques en 2013 des tonnes d’informatio­ns secrètes de la NSA coupable d’avoir surveillé ses propres concitoyen­s sous prétexte de sécurité nationale. Considéré comme un traître à la patrie par les (ceux qui ont le pognon et le pouvoir de guerre) mais traité comme un héros par une grande partie du monde entier, le lanceur d’alerte est un personnage hors norme. Et un lointain cousin des Américains idéalistes, braves et naïfs des précédents films de Stone (le jeune trader Charlie Sheen dans “Wall Street”, le procureur Kevin Costner de “JFK”, le Tom Cruise va-t’en-guerre de “Né Un Quatre Juillet”) découvrant bouche bée une Amérique corrompue qu’ils dénoncent au péril de leur morale bafouée. Un acte de foi qu’ils se doivent d’accomplir malgré eux de façon presque christique. Comme Stone lui-même qui, pourtant, ne voulait pas s’attaquer à ce biopic avant de s’y sentir obligé. D’autant, précise-t-il dans une interview, que (un mec derrière un ordi)

Du coup, “Snowden” est probableme­nt son film le plus sobre depuis un bail. Avec les faits et rien que les faits. A savoir comment Snowden a-t-il eu accès au cyber renseignem­ent de la NSA ? Jusqu’à quel point a-t-il sacrifié sa vie privée pour se lancer dans ce combat à la David contre Goliath ? Dans quelles conditions a-t-il contacté le quotidien The Guardian qui a rendu publique cette affaire ? Stone, qui s’attelait depuis un bail à un autre parcours (celui de Martin Luther King), a longtemps hésité à tourner, dans la mesure où Snowden est une affaire toujours en cours. Ce qui allait contre les principes de ses précédents biopics qui se sont toujours attaqués à des histoires quasiment terminées. Que ce soit “JFK” (réalisé 28 ans après son assassinat à Dallas), “Nixon” (réalisé 21 ans après sa destitutio­n) ou “W” (sa bio de George Bush réalisée à la fin du mandat présidenti­el de ce dernier). Car Snowden, en asile temporaire en Russie jusqu’en 2017, fait et fera encore l’actualité. Le film de Stone est donc aussi passionnan­t à suivre que très engagé sur ses envies utopiques de liberté démocratiq­ue. Et se clôt magnifique­ment en forme de point de suspension quand l’acteur jouant le personnage-titre (l’excellent Joseph Gordon Levitt) devient le vrai Snowden. Comme si le film voulait faire passer un ultime message avant les prochaines élections américaine­s. En gros : méfiezvous plus que jamais de ceux qui vous dirigent !

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