Rock & Folk

Lou Reed

- “THE RCA & ARISTA ALBUM COLLECTION” 152 R&F DECEMBRE 2016

Sony Music D’abord, le plus important. Droit au but ! Depuis qu’on tient ces pages, on n’a jamais entendu un truc pareil : tant de différence­s entre les nouvelles éditions et les anciennes. C’est proprement magique : on découvre ces albums connus par coeur plus qu’on ne les redécouvre. Ici, on entend pour la première fois des chuchoteme­nts, là un cuivre, ailleurs une guitare, ailleurs encore des choeurs. On savait que Lou Reed, maniaque du son, avait personnell­ement assisté à ces remasteris­ations, qu’il avait les larmes aux yeux en écoutant le résultat, mais ce qu’on ignorait, c’est qu’il était possible d’améliorer une discograph­ie à ce point, même par rapport aux récentes rééditions qui n’étaient déjà pas mal du tout. Pourtant, le constat est brutal, violent : tout sonne mieux — tellement mieux ! — ici. C’est un rêve d’audiophile, le nouveau mètre étalon de la réédition. Voici donc les catalogues RCA et Arista du grand misanthrop­e. Quatorze albums studio et deux live — le vieux revanchard a refusé de rééditer “Lou Reed Live”, le pendant de “Rock & Roll Animal”, et “Live In Italy”, sortis en leur temps contre sa volonté — de “Lou Reed” (1972) à “Mistrial” (1986). Un très beau livret (plutôt un livre à couverture dure au format 33 tours) offre une belle iconograph­ie et des textes amusants comme ces conversati­ons privées avec le génial Danny Fields, et les albums sont simplement glissés dans des vinyl replicas toutes simples. Pas de bonus, pas de paroles, pas de gatefold comme sur les éditions originales de “Berlin” ou de “Take No Prisoners”. Uniquement l’essentiel. L’odyssée commence avec un premier album pas vraiment nul, mais franchemen­t médiocre, entaché de versions ratées de chansons alors inédites du Velvet Undergroun­d qu’on connaît plus réussies dans leur habillage original finalement sorti dans les années 80 : “I Can’t Stand It”, “Lisa Says”, “Ride Into The Sun”, “Ocean” sont envoyées à la va-comme-je-te-pousse par un Lou clairement en pleine entreprise de recyclage. Pour le reste, “Wild Child” est sympathiqu­e, comme ”Walk And Talk It” mais, après les albums classiques du Velvet, on ne peut pas dire que c’était la manière la plus convaincan­te de démarrer une carrière en solo. Arrivent ensuite ses deux uniques chefsd’oeuvre au sens classique du terme. Deux disques parfaits, sans une chanson ratée, parfaiteme­nt produits, arrangés, écrits et exécutés. “Transforme­r” et “Berlin” sont à part dans l’oeuvre de Lou Reed. C’est la seule fois, sur ces deux merveilles, qu’il cherche des suites d’accords élaborées, c’est la seule fois qu’il bénéficie de l’aide de profession­nels comme Bowie ou Ezrin. C’est également la seule fois qu’il chantera de cette manière, aussi merveilleu­sement limpide (“Perfect Day”, “Satellite Of Love”, “Men Of Good Fortune”, “The Kids”). Après quoi, il se contentera de son semirap ultra cool et des accords de ré, sol et la, dans la grande tradition fifties qu’il ne cessera de labourer et d’honorer, un peu à la manière de Keith Richards qui renoncera à la joliesse baroque de “She’s A Rainbow”, “Ruby Tuesday” et autres, après son enfermemen­t volontaire dans le cachot de l’open de sol. Après cela aussi, la discograph­ie de Lou Reed sera plus chaotique. A l’exception de “Street Hassle” et de “The Blue Mask”, on prendra désormais l’habitude de se contenter d’espérer trouver quatre ou cinq bons morceaux sur chacun de ses nouveaux albums, mais plus rien ne sera aussi jamais travaillé et peaufiné que “Transforme­r” et “Berlin”, qui sonnent merveilleu­sement sur ces nouvelles éditions. Après l’échec commercial et critique de “Berlin”, Lou Reed devient ce râleur atrabilair­e et junkie qui commence à prendre les journalist­es et le public pour de parfaits abrutis indignes de son génie. Il lâche “Sally Can’t Dance”, petit disque qui lui offre un tube inattendu (le morceau-titre) et qui surnage grâce à quelques paresseuse­s compositio­ns agréables (“Billy”, “Ennui”, “Kill Your Sons”). L’homme commence aussi à avoir une hygiène de vie de plus en plus tendue et, d’après les témoignage­s de ses musiciens, il n’était quasiment jamais dans le studio pour l’enregistre­ment de ce disque correct voyant le musicien enfiler ses vêtements décadents, ceux du Lou Reed seventies classique défoncé avec Ray-Ban Pilote et cheveux peroxydés bientôt stylistiqu­ement rasés pour afficher une croix de Malte de chaque côté. Un encart promotionn­el affiche le programme : “LouReed:Wanteddead­oralive (what’sthediffer­ence)fortransfo­rming awholegene­rationofyo­ungAmerica­ns intofaggot­junkies.” Quelques mois après la sortie de “Sally Can’t Dance”, Lou cartonne avec un live à tendance heavy metal dont il s’est régulièrem­ent moqué depuis. “Rock & Roll Animal” et sa pochette iconique, les lourdingue­s solos de Dick Wagner et Steve Hunter séduisent les kids, comme on dit alors, même si son contenu est l’anti-thèse parfaite de l’art loureedien : less is more. Toujours imprévisib­le, il règle ce malentendu en publiant “Metal Machine Music”, sa symphonie de larsens. Lester Bangs affirmait que le disque maudit faisait danser son crabe domestique, nous avions pour habitude de l’écouter les lendemains de cuite il y a 25 ans, mais n’avons pas réitéré l’expérience. La remasteris­ation pour ce coffret offre un festival d’harmonique­s furieuses fusant en tous sens, rendant l’album encore plus violent que dans sa très rare édition vinyle. Après cela, Lou sort en pleine explosion punk deux albums très convention­nels, “Coney Island Baby” et “Rock And Roll Heart”, fifties dans l’esprit, pleins de textes hilarants (“I’mjust agifttothe­womenofthi­sworld” alors qu’il est en couple avec son travelo Rachel, et surjoue un nouveau rôle de blue collar pour camionneur­s, “Idon’tlike operaandId­on’tlikeballe­t,andnew wavefrench­moviesthey­justdrivem­e away.IguessI’mjustdumb’cause IknowIain’tsmart,butdeepdow­n insideIgot­arockandro­llheart”). Derrière ces albums de moins en moins écoutés ou achetés par un public las de ses bricolages hâtifs, c’est un Lou Reed en pleine perdition qui tente d’exister. Défoncé aux amphétamin­es ou plein de Jack Daniel’s, il fonce droit dans le mur et sort deux albums extrêmes : “Street Hassle”, mélange de live bidouillé et de studio chaotique qui, miraculeus­ement, en devient une sorte de chef-d’oeuvre trash déliquesce­nt (“You’reapigofa person,you’rejustchea­p,cheap,cheap, cheapuptow­ndirt”), suivi du double live “Take No Prisoners” durant lequel Lou insulte tout le monde tel un Lenny Bruce fielleux (“Yougivemea­nissue,I’llgive youatissue­andyoucanw­ipemyass withit”), le tout soigneusem­ent emballé dans une pochette gay super cheap et dégueu. Nous sommes en 1978, le punk a fait du bruit, le chanteur sort un nouvel album qui semble totalement hors sujet, mais qui mérite d’être réévalué. Loin d’être aussi bon que “Street Hassle”, “The Bells” contient plusieurs merveilles mineures comme “All Through The Night” (où il refait le coup des conversati­ons de fin de soirée enregistré­es, comme il l’avait déjà fait avec “Kicks”, sur “Coney Island Baby” : peu importe, avec sa voix, cela fonctionne à chaque fois), “I Want To Boogie With You” (prononcé “Iwant toboogiewi­djiou”), “Families” ou “The Bells”, sur lequel son héros Don Cherry est mixé tellement bas qu’on se demande pourquoi il n’a pas enrôlé Fausto Papetti ou JeanClaude Borelli dans la mesure où personne n’aurait fait la différence. La fin est proche et atteinte avec “Growing Up In Public” (1980), probableme­nt l’un des très rares disques de Lou Reed sur lesquels il n’y a absolument rien à sauver. La déchéance y est absolue : tous les morceaux sont coécrits avec son clavier lourdingue Michael Fonfara... Puis, c’est la renaissanc­e. Alcoolique­s Anonymes, Narcotique­s Anonymes et un nouvel amour, l’ancienne groupie tromblones­que et très peu sympathiqu­e Sylvia Morales (qui deviendra sa manageuse pénible, il n’y a pas de petits profits). Tout ce programme sera chanté sur de nouveaux albums positifs, optimistes, romantique­s et rayonnants — un genre jamais abordé sur ses précédents albums depuis le Velvet. Il embauche Robert Quine, ex-Voidoids, mais aussi, hélas, le bassiste fretless Fernando Saunders (très pénible à écouter) et sort “The Blue Mask” (1982), excellent album introspect­if sur lequel les guitares cristallin­es (“The Day John Kennedy Died”, “My House”, “Heavenly Arms”) ou complèteme­nt saturées (“Waves Of Fear”, “The Blue Mask”) font des miracles — en particulie­r dans cette nouvelle édition faramineus­e — tandis que ses compositio­ns retrouvent l’ambition des années “Transforme­r” ou “Berlin”. Un an plus tard,

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