Lou Reed
Sony Music D’abord, le plus important. Droit au but ! Depuis qu’on tient ces pages, on n’a jamais entendu un truc pareil : tant de différences entre les nouvelles éditions et les anciennes. C’est proprement magique : on découvre ces albums connus par coeur plus qu’on ne les redécouvre. Ici, on entend pour la première fois des chuchotements, là un cuivre, ailleurs une guitare, ailleurs encore des choeurs. On savait que Lou Reed, maniaque du son, avait personnellement assisté à ces remasterisations, qu’il avait les larmes aux yeux en écoutant le résultat, mais ce qu’on ignorait, c’est qu’il était possible d’améliorer une discographie à ce point, même par rapport aux récentes rééditions qui n’étaient déjà pas mal du tout. Pourtant, le constat est brutal, violent : tout sonne mieux — tellement mieux ! — ici. C’est un rêve d’audiophile, le nouveau mètre étalon de la réédition. Voici donc les catalogues RCA et Arista du grand misanthrope. Quatorze albums studio et deux live — le vieux revanchard a refusé de rééditer “Lou Reed Live”, le pendant de “Rock & Roll Animal”, et “Live In Italy”, sortis en leur temps contre sa volonté — de “Lou Reed” (1972) à “Mistrial” (1986). Un très beau livret (plutôt un livre à couverture dure au format 33 tours) offre une belle iconographie et des textes amusants comme ces conversations privées avec le génial Danny Fields, et les albums sont simplement glissés dans des vinyl replicas toutes simples. Pas de bonus, pas de paroles, pas de gatefold comme sur les éditions originales de “Berlin” ou de “Take No Prisoners”. Uniquement l’essentiel. L’odyssée commence avec un premier album pas vraiment nul, mais franchement médiocre, entaché de versions ratées de chansons alors inédites du Velvet Underground qu’on connaît plus réussies dans leur habillage original finalement sorti dans les années 80 : “I Can’t Stand It”, “Lisa Says”, “Ride Into The Sun”, “Ocean” sont envoyées à la va-comme-je-te-pousse par un Lou clairement en pleine entreprise de recyclage. Pour le reste, “Wild Child” est sympathique, comme ”Walk And Talk It” mais, après les albums classiques du Velvet, on ne peut pas dire que c’était la manière la plus convaincante de démarrer une carrière en solo. Arrivent ensuite ses deux uniques chefsd’oeuvre au sens classique du terme. Deux disques parfaits, sans une chanson ratée, parfaitement produits, arrangés, écrits et exécutés. “Transformer” et “Berlin” sont à part dans l’oeuvre de Lou Reed. C’est la seule fois, sur ces deux merveilles, qu’il cherche des suites d’accords élaborées, c’est la seule fois qu’il bénéficie de l’aide de professionnels comme Bowie ou Ezrin. C’est également la seule fois qu’il chantera de cette manière, aussi merveilleusement limpide (“Perfect Day”, “Satellite Of Love”, “Men Of Good Fortune”, “The Kids”). Après quoi, il se contentera de son semirap ultra cool et des accords de ré, sol et la, dans la grande tradition fifties qu’il ne cessera de labourer et d’honorer, un peu à la manière de Keith Richards qui renoncera à la joliesse baroque de “She’s A Rainbow”, “Ruby Tuesday” et autres, après son enfermement volontaire dans le cachot de l’open de sol. Après cela aussi, la discographie de Lou Reed sera plus chaotique. A l’exception de “Street Hassle” et de “The Blue Mask”, on prendra désormais l’habitude de se contenter d’espérer trouver quatre ou cinq bons morceaux sur chacun de ses nouveaux albums, mais plus rien ne sera aussi jamais travaillé et peaufiné que “Transformer” et “Berlin”, qui sonnent merveilleusement sur ces nouvelles éditions. Après l’échec commercial et critique de “Berlin”, Lou Reed devient ce râleur atrabilaire et junkie qui commence à prendre les journalistes et le public pour de parfaits abrutis indignes de son génie. Il lâche “Sally Can’t Dance”, petit disque qui lui offre un tube inattendu (le morceau-titre) et qui surnage grâce à quelques paresseuses compositions agréables (“Billy”, “Ennui”, “Kill Your Sons”). L’homme commence aussi à avoir une hygiène de vie de plus en plus tendue et, d’après les témoignages de ses musiciens, il n’était quasiment jamais dans le studio pour l’enregistrement de ce disque correct voyant le musicien enfiler ses vêtements décadents, ceux du Lou Reed seventies classique défoncé avec Ray-Ban Pilote et cheveux peroxydés bientôt stylistiquement rasés pour afficher une croix de Malte de chaque côté. Un encart promotionnel affiche le programme : “LouReed:Wanteddeadoralive (what’sthedifference)fortransforming awholegenerationofyoungAmericans intofaggotjunkies.” Quelques mois après la sortie de “Sally Can’t Dance”, Lou cartonne avec un live à tendance heavy metal dont il s’est régulièrement moqué depuis. “Rock & Roll Animal” et sa pochette iconique, les lourdingues solos de Dick Wagner et Steve Hunter séduisent les kids, comme on dit alors, même si son contenu est l’anti-thèse parfaite de l’art loureedien : less is more. Toujours imprévisible, il règle ce malentendu en publiant “Metal Machine Music”, sa symphonie de larsens. Lester Bangs affirmait que le disque maudit faisait danser son crabe domestique, nous avions pour habitude de l’écouter les lendemains de cuite il y a 25 ans, mais n’avons pas réitéré l’expérience. La remasterisation pour ce coffret offre un festival d’harmoniques furieuses fusant en tous sens, rendant l’album encore plus violent que dans sa très rare édition vinyle. Après cela, Lou sort en pleine explosion punk deux albums très conventionnels, “Coney Island Baby” et “Rock And Roll Heart”, fifties dans l’esprit, pleins de textes hilarants (“I’mjust agifttothewomenofthisworld” alors qu’il est en couple avec son travelo Rachel, et surjoue un nouveau rôle de blue collar pour camionneurs, “Idon’tlike operaandIdon’tlikeballet,andnew wavefrenchmoviestheyjustdriveme away.IguessI’mjustdumb’cause IknowIain’tsmart,butdeepdown insideIgotarockandrollheart”). Derrière ces albums de moins en moins écoutés ou achetés par un public las de ses bricolages hâtifs, c’est un Lou Reed en pleine perdition qui tente d’exister. Défoncé aux amphétamines ou plein de Jack Daniel’s, il fonce droit dans le mur et sort deux albums extrêmes : “Street Hassle”, mélange de live bidouillé et de studio chaotique qui, miraculeusement, en devient une sorte de chef-d’oeuvre trash déliquescent (“You’reapigofa person,you’rejustcheap,cheap,cheap, cheapuptowndirt”), suivi du double live “Take No Prisoners” durant lequel Lou insulte tout le monde tel un Lenny Bruce fielleux (“Yougivemeanissue,I’llgive youatissueandyoucanwipemyass withit”), le tout soigneusement emballé dans une pochette gay super cheap et dégueu. Nous sommes en 1978, le punk a fait du bruit, le chanteur sort un nouvel album qui semble totalement hors sujet, mais qui mérite d’être réévalué. Loin d’être aussi bon que “Street Hassle”, “The Bells” contient plusieurs merveilles mineures comme “All Through The Night” (où il refait le coup des conversations de fin de soirée enregistrées, comme il l’avait déjà fait avec “Kicks”, sur “Coney Island Baby” : peu importe, avec sa voix, cela fonctionne à chaque fois), “I Want To Boogie With You” (prononcé “Iwant toboogiewidjiou”), “Families” ou “The Bells”, sur lequel son héros Don Cherry est mixé tellement bas qu’on se demande pourquoi il n’a pas enrôlé Fausto Papetti ou JeanClaude Borelli dans la mesure où personne n’aurait fait la différence. La fin est proche et atteinte avec “Growing Up In Public” (1980), probablement l’un des très rares disques de Lou Reed sur lesquels il n’y a absolument rien à sauver. La déchéance y est absolue : tous les morceaux sont coécrits avec son clavier lourdingue Michael Fonfara... Puis, c’est la renaissance. Alcooliques Anonymes, Narcotiques Anonymes et un nouvel amour, l’ancienne groupie tromblonesque et très peu sympathique Sylvia Morales (qui deviendra sa manageuse pénible, il n’y a pas de petits profits). Tout ce programme sera chanté sur de nouveaux albums positifs, optimistes, romantiques et rayonnants — un genre jamais abordé sur ses précédents albums depuis le Velvet. Il embauche Robert Quine, ex-Voidoids, mais aussi, hélas, le bassiste fretless Fernando Saunders (très pénible à écouter) et sort “The Blue Mask” (1982), excellent album introspectif sur lequel les guitares cristallines (“The Day John Kennedy Died”, “My House”, “Heavenly Arms”) ou complètement saturées (“Waves Of Fear”, “The Blue Mask”) font des miracles — en particulier dans cette nouvelle édition faramineuse — tandis que ses compositions retrouvent l’ambition des années “Transformer” ou “Berlin”. Un an plus tard,