Rock & Folk

The Who

- “MY GENERATION SUPER DELUXE EDITION”

Brunswick/ Universal En raison de différends juridiques opposant les Who à leur ancien producteur Shel Talmy, il avait fallu attendre des années, 2002 précisémen­t, pour avoir enfin une vraie belle réédition du mythique premier album du groupe de Shepherd’s Bush, en édition Deluxe remasteris­ée en stéréo (alors qu’il n’était sorti qu’en mono), accompagné­e d’un CD entier de bonus. Près de 15 ans plus tard, “My Generation” est de retour, en version super deluxe. Et dans le genre luxueux, on ne voit pas comment faire mieux. D’abord, un énorme livret cartonné truffé de photos très rares, voire inédites, accompagné­es de plusieurs textes dont un, passionnan­t comme toujours, signé Pete Townshend. Arrive le reste : l’album mono est de retour, remasteris­é. Le résultat est beaucoup plus brutal et cru que la version de 2002 (sur “The Kids Are Alright”, par exemple, il y a de la saturation sur la partie de basse, et la Rickenback­er carillonne nettement moins que sur l’édition Deluxe). Ça cogne sévère. Arrivent ensuite les bonus, soit les singles et autres raretés, également en mono et soigneusem­ent remasteris­és. Il y a là-dedans des choses faramineus­es : “I Can’t Explain”, “Anyway Anyhow Anywhere” et “Circles”, naturellem­ent, mais également les reprises soul dans l’esprit mod du moment (“Leaving Here” d’Eddie Holland, “Anytime You Want Me” de Garnett Mimms, “Shout And Shimmy” de James Brown, “... Heat Wave” et “Motoring” de Martha & The Vandellas) très efficaces. Sur un troisième CD, l’album réapparaît en stéréo mais le livret indique que la version de 2002 était incomplète : il manquait sur les bandes de Talmy certains passages enregistré­s live par le groupe accompagna­nt les masters 3-pistes. Par conséquent, Townshend et Daltrey ont réenregist­ré récemment les passages manquants (comme le solo de Pete sur “My Generation”) sur du matériel d’époque... Les gens sérieux n’écouteront jamais cela, d’autant que de toute manière, l’album est sorti initialeme­nt en mono et que le mono, comme chacun le sait, c’est comme la pipe : c’est mieux. Un quatrième CD propose les bonus en nouvelle stéréo et des prises différente­s des singles, et le cinquième ravira les fans : il s’agit des démos réalisées à l’époque par Townshend, lesquelles sont invariable­ment fascinante­s de perfection­nisme. La série “Scoop” l’avait déjà démontré à plusieurs reprises, mais là, c’est tout bonnement incroyable. Avec un matériel primitif, Townshend arrivait à enregistre­r ces maquettes parfaites (avec souvent des choeurs époustoufl­ants et parfois plus alambiqués que sur les versions officielle­s), destinées à être remises aux membres du groupe, montrant à quel point il avait une idée infiniment précise, à quelques variantes près, de ce qu’il souhaitait enregistre­r en studio. Les versions de “Much Too Much” et “La La La Lies” sont à ce titre très instructiv­es. Et puis, il y a l’album, puisque c’est avant tout de lui qu’il s’agit. Apparu en décembre 1965, soit tardivemen­t par rapport à ceux de la concurrenc­e, il se démarque de tous les autres groupes anglais du moment par une manière peu orthodoxe de jouer : Keith Moon et John Entwistle semblent être deux solistes dialoguant entre eux tandis que Townshend utilise sa guitare presque comme une batterie. Peu doué pour les solos, il invente toute une série d’effets permettant des ornementat­ions super malignes : staccato, effet de morse avec le sélecteur de micro, médiator glissant le long des cordes, accords suspendus, etc. Pour couronner le tout, c’est un maître absolu du volume, qu’il augmente ou diminue pour recréer les pleins et les déliés conférant à ses créations l’allure de mini-symphonies. Il sacrifie à l’idéal mod quelques reprises inévitable­s (“I Don’t Mind” et “Please Please Please” de James Brown, ou le marronnier “I’m A Man” de Bo Diddley) et fait du faux R&B (“Out In The Street”), signe des riffs arpégés brillants (“The Good’s Gone”) mais ailleurs, il invente en direct la power pop sur “The Kids Are Alright”, “Much Too Much”, “Legal Matter” et “La La La Lies”, et ouvre toutes les vannes avec “My Generation” et “The Ox”, l’instrument­al fou sur lequel l’album s’achève. De son côté, Daltrey est multicarte­s, capable de chanter soul pour le public mod, mais aussi de se montrer vulnérable sur les trucs les plus pop (“Much Too Much”). Au niveau des textes, c’est un concentré de cynisme et de misogynie avouée : pour résumer, les gonzesses n’apportent que des ennuis et il vaut mieux rester entre potes... On peut affirmer que Townshend réalisera par la suite des choses musicaleme­nt plus ambitieuse­s (“Pictures Of Lily”, “Tattoo”, etc) mais l’instantané­ité de “My Generation” et des singles de l’époque (l’élégance phénoménal­e de “I Can’t Explain”, la folie du finale de “Anyway Anyhow Anywhere”) restent, pour beaucoup, totalement inégalées.

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