Childish Gambino
“AWAKEN, MY LOVE !”
bout de trente secondes en une ritournelle chantée par des anges, puis après deux minutes en P-funkerie hendrixienne aux choeurs clintoniens. “Jesuisamoureuxquandonfume cettela-la” : tels sont les premiers vers de ce single ouvrant l’album et se référant à la marijuana en utilisant un mot d’argot aussi poétique que musical. Cette voix brisée qui surnage au-dessus d’un magma groovy appuyé par une impitoyable rythmique donne soudain envie de monter le volume jusqu’à des sphères déraisonnables. Tout au long des presque 50 minutes de cet album délirant, on survole un paysage fait de psyché soul et de tourneries funky. Pas de machines à sampler, d’Auto-Tune ou de séquences robotiques dans ces habiles compositions, non : de simples musiciens de talent qui jouent comme si leur vie en dépendait les titres écrits par Donald Glover et son fidèle acolyte Ludwig Goransson. L’intro de “Redbone” est du pur Parliament/ Funkadelic avec une touche de R&B. Ça tombe bien : Gambino y sample un échantillon de “Good To Your Earhole”, titre obscur de Funkadelic tiré de l’album de 1975 “Let’s Take It To The Stage”. Sur “California”, un des morceaux les plus solaires du disque, la voix trafiquée de Donald trompe l’auditeur en lui faisant croire qu’il va écouter de la trap décadente, puis glisse une tournerie mutante où la basse énorme de Ludwig dirige le jeu, suivie de la guitare chirurgicale de Ray Suen. La performance vocale rythmée sur des arrangements équilibristes achève de faire de cette fausse ode au Sunny State un des joyaux de l’album. Parfois, Glover calme le jeu et pousse sa voix dans les aigus sur des rythmiques plus alanguies. De la soul psychédélique revue et corrigée par Art Of Noise ou quelque chose d’approchant, comme ces splendides “Terrified” et “Baby Boy”. Il n’y a pas ici une once de revival, on est dans un passage de flambeau entre les générations, pas dans la contemplation du passé. Gambino a quasiment abandonné le rap dans ce nouvel album, qui marque une rupture après “Camp” et “Because The Internet”. “The Night Me And Your Mama Met” est comme une version 2017 de “Maggot Brain”, en plus bref mais aussi décalé/ décalqué. Gros consommateur d’herbe, Donald Glover n’oublie pas de chanter juste, atteignant des sommets d’émotion avec “Stand Tall”, à l’habillage léger et qui démarre avec un couplet déchirant avant de traverser plusieurs styles pour conclure l’album six minutes plus loin, dans un feu d’artifice funk puis un stop brutal presque en milieu de jam, après une promenade dans le monde de Childish Gambino. Visite très fortement recommandée.
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OLIVIER CACHIN