A fond les souris
A L’Assaut De L’Empire Du Disque STEPHEN WITT Castor Music
On mésestime parfois dans l’Histoire de la musique l’importance primordiale de la technologie dans les mouvements artistiques et socio-culturels qui la traversent. Le passionnant “Les Fous Du Son” de Laurent de Wilde nous avait déjà expliqué comment des hommes et leurs avancées techniques avaient bouleversé le son et par là même tout notre environnement musical et c’est en quelque sorte son pendant geek que nous présente maintenant Stephen Witt avec son indispensable enquête sur la révolution numérique “A L’Assaut De L’Empire Du Disque” au sous-titre éloquent “Quand Toute Une Génération Commet Le Même Crime” question de rappeler que oui, on est tous concernés par le téléchargement illégal sur internet et ses conséquences économiques et donc sociales. Tous concernés certes mais on parie que les lecteurs de Rock&Folk le sont peut-être encore plus que les autres, vu la propension irrésistible de tout vrai amateur de rock à se procurer sa came et donc à télécharger à fond les souris. C’est le récit détaillé du grand chamboulement créé par l’arrivée du mp3 que nous raconte ce livre, construit autour des portraits d’emblématiques protagonistes : Brandenburg en chef de file des psycho- succès que l’on sait. Pendant ce temps-là, inconscients du tsunami qui allait s’abattre sur eux, les grands patrons de “l’empiredudisque” croyaient eux, dur comme fer, que “cen’étaitpasenappelantlesflicsqu’onsedébarrassait duproblèmedupiratage.Ons’endébarrassaitensortant ‘Thriller’” et ils travaillaient donc sur les catalogues, les carrières, la musique elle-même, en négligeant l’aspect technique des formats et du piratage. C’est ainsi que ces quelques génies de la musique ou de la vente, qui avaient survécu à tout, ont donc un jour vu arriver Napster, véritable “juke-boxnumériqueinfini” qui a explosé tous les modèles et lancé une course au téléchargement qui a permis à Dell Glover, employé d’une stratégique usine de pressage, de devenir l’ennemi numéro 1 des maisons de disques, Hadopi locaux, FBI et autres. Ne vous y trompez pas, c’est bien d’une guerre sur tous les fronts qu’il s’agit, guerre d’un vieux système économique contre le nouveau, guerre des formats, mp2, AAC et mp3, guerre des ingénieurs contre la psychoacoustique, guerre culturo-philosophique entre les partisans d’un internet libre et ceux qui y perdent leur chemise, une véritable guerre des mondes dont nous sommes tous les soldats, ou les pions. Ce texte réussit haut la main deux exploits : passionnant sur tous les aspects techniques, toujours clairement exposés ici, quoique, avouons-le, parfois un peu complexes, le livre est tout aussi captivant quand il décortique les multiples tenants et aboutissants de cette marqueur vital. Le rock est né dans la protestation et la subversion contre un ordre conservateur et raciste et cette défiance a longtemps nourri les messages de rébellion sociale, sexuelle et culturelle que le rock transmettait. Hélas, le rock, devenu partie intégrée d’une industrie de loisir, a depuis longtemps perdu cette dimension sulfureuse — n’oublions jamais que Madame Figaro a sorti autrefois un numéro spécial rock, tout est dit — et seule une frange ou plutôt une crête y mêle encore activisme et positions politiques. Les punks furent officiellement les derniers sauvages du rock à effrayer le bourgeois et leur “remiseen causedel’ordreétabli” porteuse d’une “révolteculturelle fondamentale” annonçait la couleur du no future qui se précise en effet sous nos yeux chaque jour davantage. Que les punks aient été parmi les premiers à se préoccuper d’écologie dans les années 80 n’est que la suite logique de leur critique de la société industrielle que les règnes de Reagan et Thatcher exacerbaient alors et qui a poussé des groupes punk comme Dead Kennedys à se positionner dès lors aux côtés de militants de la cause animale pendant que des anarcho-punks plus ou moins virulents — et plus ou moins obscurs — envahissaient l’écologie de leur contreculture révolutionnaire et essaimaient des mouvements de pensée radicale dont nous voyons encore aujourd’hui les suites. C’est du moins la thèse des auteurs d’ “Ecopunk - Les Punks, De La Cause Animale A L’Ecologie Radicale”, Fabien Hein et Dom Blake dont la démonstration permet de discerner enfin les racines punk dans tous ces mouvements radicaux écologistes ou antispécistes dont l’influence, sur fond de réchauffement climatique, ne cesse heureusement de grandir. Punk’s not dead.
In The Seventies BARRY MILES Castor Music
Nos lecteurs connaissent bien Barry Miles qui a souvent été loué dans ces pages et dont les nombreux livres ont toujours été reçus avec l’attention que mérite un aussi éminent journaliste, galeriste, manager, auteur et témoin privilégié de toute la contre-culture et le rock depuis les années 60. Sûr qu’être pote, travailler ou vivre avec des artistes comme McCartney, Burroughs ou Ginsberg lui a permis de croiser et de participer aux plus brillants et aux plus barrés moments des années folles du Swinging London et d’un New York en pleine mutation. Il en avait déjà raconté une grande partie dans ses biographies, dans ses livres sur les hippies, dans son fantastique “Ici Londres” (“London Calling”) ou son “In The Sixties” mais Miles, pour qui les années 60 ont culturellement commencé en 1963 et se sont finies en 1977, revient ici sur les sixties mais celles de 1970, si vous arrivez à suivre, qui l’ont vu cohabiter et collaborer étroitement avec Ginsberg et Burroughs, loger au Chelsea Hotel, y côtoyer Patti Smith et Warhol ou coucher avec la copine de Brautigan et assister, toujours flegmatique, aux côtés des Clash (qu’il a, un temps, envisagé de manager) aux derniers feux de cette culture underground, héritée des hippies mais devenue punk, qui allait finalement bientôt s’effacer devant l’industrialisation de la culture des années 80.