Rock & Folk

Nick Cave & The Bad Seeds

“ONE MORE TIME WITH FEELING”

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La vraie question n’est pas de savoir ce que vaut ce film. Le problème est plutôt : fallait-il le tourner ? On rappelle l’horreur : en juillet 2015, Arthur, un des deux jumeaux que Susie Bick a donnés à Nick Cave meurt d’un accident de falaise tout près de la maison familiale, à Brighton. Arthur avait quinze ans. Cave, qui n’a pas chômé, avec ses Bad Seeds, depuis 1984, est alors en train d’enregistre­r un seizième album, “Skeleton Tree”, paru en septembre 2016. Plusieurs textes étaient alors terminés, mais la mort du gamin va hanter ceux qu’il reste à écrire. Comme si ça ne suffisait pas, Nick Cave décide de faire appel à Andrew Dominik pour qu’il filme la fin de l’enregistre­ment et ses errances psychologi­ques de père visiblemen­t abasourdi par ce coup de pute du destin. A partir de là, tous les avis sont permis. “One More Time With Feeling” est livré en pature à l’appréciati­on de la presse, des fans de la première heure, des amateurs de passage. On peut louer son côté thérapie en public. Ou s’en indigner. On peut imaginer ce qu’on aurait fait à la place de Nick Cave et Susie Bick (qui intervient également dans le documentai­re). Ou pas, car pour avoir ne serait-ce que l’ombre de l’esquisse du début de l’idée de ce que ces parents ont éprouvé, il faudrait avoir vécu l’abominatio­n qui les a ébranlés. Un truc qu’on ne souhaite pas à son pire ennemi. On peut, certains ne s’en privent pas, faire diversion. S’en tenir à l’artistique. Rappeler que Andrew Dominik n’est pas la moitié d’un réalisateu­r australien de moins de cinquante ans et que “The Assassinat­ion Of Jesse James By The Coward Robert Ford” et “Killing Them Softly”, deux de ses précédents longs-métrages, dépotent un max. Mais voilà : la perception qu’on a d’une oeuvre d’art, lorsque la cruauté de la vie en est le déclencheu­r ou l’accélérate­ur de particules, est irrémédiab­lement faussée. Alors de tous les sentiments qu’inspire “One More Time With Feeling”, la compassion est probableme­nt le plus adapté, le plus juste. N’en reste pas moins que le film, beau et digne, fonctionne, et la relation d’amitié qui existait déjà entre Dominik et les Cave contribue à en faire une oeuvre attachante. Dès le départ, le deal a été clair. Le réalisateu­r pouvait filmer ce qu’il souhaitait, quand il voulait et poser toutes les questions qui lui passaient par les tripes. Le résultat, augmenté de bricoles que Nick Cave a filmées à l’iPhone et de séquences musicales tournées aux Air Studios, est dense, mais pas pesant. Le noir et blanc, de mise, ne paraît jamais de rigueur. Sur le plan purement commercial, pour ne pas avoir à en assurer la promotion, Nick Cave a choisi de financer “One More Time With Feeling” lui-même. Ce type réfléchit à deux fois depuis qu’il est en âge de penser. Il ne va pas arrêter aujourd’hui. L’ambition affichée n’était pas de faire un quelconque profit, mais de crever l’abcès et d’entamer, pour autant que ce soit possible et nécessaire (Cave a trois autres enfants), une reconstruc­tion. Depuis sa première à Venise en septembre dernier, “One More Time With Feeling” est encensé partout et a tiré les ventes de “Skeleton” vers le haut. Un lot de consolatio­n ? Non, mais que le malheur des purs, qui fait souvent le bonheur des rats, puisse inspirer du respect à travers l’art est un signe que tout n’est peut-être pas perdu et que la rébellion morale, n’en déplaise, doit être organisée. Depuis le maquis du coeur.

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