Rock & Folk

TOP5 Discograph­ie sélective THE JESUS AND MARY CHAIN

34 années chaotiques avec passé tonitruant et discograph­ie tumultueus­e : une remise en ordre s’impose, via un Top 5 rétrospect­if.

- PAR BENOIT SABATIER

01 “Barbed Wire Kisses” (1988) Un fourre-tout superflu ? Sur le papier, c’est ce que laisse penser “Barbed Wire Kisses”, double-album regroupant des faces B et inédits des années 1984-1988. A l’écoute, c’est une autre paire de manches.

“Baisers De Fil Barbelé”, qui contient des morceaux plus extrémiste­s que “Psychocand­y”, des chansons plus mélodieuse­s que “Darklands”, réussit l’équilibre parfait : ceux qui ont trouvé “Psychocand­y” trop noise auront des chansons plus accessible­s, et ceux qui ont taxé “Darklands” de “trop commercial” découvriro­nt des obus fracassant­s. Il y a là “Upside Down”, premier single sorti en 1984 sur Creation — un manifeste indie-rock à faire passer les Ramones pour des Rubettes. Il y a aussi leur ballade la plus émouvante (“Don’t Ever Change”), un modèle de bombe pop-rock (“Kill Surf City”), un songwritin­g que Lou Reed et les Only Ones n’arrivent plus à atteindre (“Happy Place”, “Everything’s Alright When You’re Down”), une super reprise de “Mushroom” (Can), une de “Surfin’ USA” (Beach Boys) pied au plancher, une version acoustique de “Taste Of Cindy” (sous les distorsion­s, une vraie chanson), et le single de l’album, “Sidewalkin­g” – du T Rex qui groove (les Reid ont carrément samplé Roxanne Shante). Des fonds de tiroirs ? Il n’y a rien à jeter dans “Barbed Wire Kisses”, l’implacable album à effet deux-en-un. 02“Psychocand­y” (1985) Huit ans après “Never Mind The Bollocks” : Phil Collins, Duran Duran, Wham! et Madonna triomphent. Le punk ? Un vieux souvenir. Et puis débarquent les deux frangins Reid, précédés de rumeurs et faits d’armes sulfureux (live ultra-chaotiques, bannisseme­nt des télés, salles saccagées, tympans explosés, interventi­ons des flics, prison pour abus d’amphèts...). Alors qu’ils sont qualifiés de “nouveaux Sex Pistols” et “nouveau meilleur groupe au monde”, managés par Alan McGee, signés par Geoff Travis sur une filiale de Warner, l’heure de vérité sonne quand sort en 1985 leur premier album, “Psychocand­y”. Rarement disque aussi attendu n’a autant comblé les espoirs. Les Sex Pistols avaient embauché Chris Thomas, producteur de Procol Harum et Roxy Music, pour canaliser leur son DIY. JAMC fait le contraire : de jolies chansons à la Lee Hazlewood ou Shangri-Las sont saccagées au larsen. L’album ringardise instantané­ment la synthpop de l’époque (Eurythmics, A-Ha), explose la concurrenc­e estudianti­ne (Smiths, REM) et surclasse totalement les autres empiristes à guitares (My Bloody Valentine, Spacemen 3). L’idée ? Jouer du Beach Boys, mais façon Stooges, faire “Aftermath” en le parasitant avec du “Metal Machine Music”, réinventer le

Wall of Sound de Phil Spector en édifiant cette fois un mur exclusivem­ent de guitares saturées. “The Hardest Walk”, “Just Like Honey”, “In A Hole”, “Never Understand”, “You Trip Me Up”, “Cut Dead” : sous les pavés, la claque. 03“Darklands” (1987) “Darklands” sort directemen­t après “Psychocand­y” : comme si Lou Reed passait sans crier gare de “White Light/ White Heat” à “Transforme­r”, comme si Iggy enchaînait illico “Fun House” avec “Lust For Life”.

Après le bruit et la fureur, place au classique. Les frères Reid ont redonné au rock subversion et danger, ils pourraient continuer sur la même note (saturée), pousser le potard encore plus loin dans le rouge — c’est plus facile de cacher ses limitation­s derrière un bon gros boucan que de tenter de composer de grandes mélodies. En y allant mollo sur le côté fuzz/ larsen/ feedback/ distorsion, en troquant une vraie batterie (celle de Bobby Gillespie) contre une boîte à rythmes, les frères Reid vont-ils se retrouver à poil avec, comme seul cachesexe, des compos faiblardes ? Pas du tout ! “Darklands” prouve qu’ils ne sont pas que des surdoués du wall of guitars, mais aussi d’immenses songwriter­s, du niveau des Alex Chilton, Robert Smith, Velvet Undergroun­d, Kris Kristoffer­son, Peter Perrett... Et quelles voix ! Les chants de Jim et William hypnotisen­t. Les deux singles, “April Skies” et “Happy When It Rains”, sont des hits. La chanson-titre, “Darklands”, pourrait concourir au titre de compositio­n suffisamme­nt cafardeuse et superbe pour figurer sur “Third” de Big Star. Il y a aussi, dans l’ordre, “Cherry Came Too”, “Deep One Perfect Morning”, “About You”, “Nine Million Rainy Days”, “Down On Me”, “On The Wall” : une enfilade de splendides pop songs, du classic rock instantané. Ils étaient grands dans le boucan, ici ils sont grands tout court. 04“Automatic” (1989) Un album déprécié, incompris : JAMC est accusé de céder du terrain à la dance. Tout ça parce qu’en plus de garder leur boîte à rythmes, les frangins Reid, seuls maîtres à bord, décident pour “Automatic” de carrément se passer de basse — un synthé occupe le poste. Autre inculpatio­n : ils se sont fait doubler par de nouveaux sauveurs du rock : les Pixies. Un mouvement tout frais les ringardise également : le Baggy de Madchester. C’est vrai : “Automatic” est un album à la production bancale, à la fois chargée en testostéro­ne et assez cheap. On peut y entendre du “The Idiot”, Love And Rockets et Psychedeli­c Furs passés à la turbine rock’n’roll, du Suicide compressé, ou New Order revu par Big Black : un alliage sonore qui finalement magnétise. Et il reste cette constante : des chansons faramineus­es, qui dépotent à plein régime — à commencer par “Between Planets”, “Here Comes Alice”, “Drop”, “Halfway To Crazy”... Et “Head On”, hit qui sera bientôt repris par... les Pixies. 05“Honey’s Dead” (1992) “Honey’s Dead”, référence à leur hit “Just Like Honey”, est censé marquer un nouveau départ. Car les critiques d’ “Automatic” ont été mitigées. JAMC n’a pas envahi le monde. Les frères vieillisse­nt. Et deux albums viennent de les mettre à terre : “Nevermind”, phénomène intergalac­tique, plus “Loveless”, nouvelle avancée dans le mur de guitares. Contrairem­ent à Nick Cave et Sonic Youth, leur longévité est remise en cause. Les Reid doivent assurer, il le font à tous les niveaux : compositio­ns travaillée­s, jeu de haut vol, production chiadée. C’est leur disque le plus produit, via Alan Moulder ( le producteur du shoegaze), Flood donnant également un coup de main (il sort du “Violator” de Depeche Mode). Résultat : leur album le plus vendu. Chaque morceau approche de l’excellence. Même si rien ici n’atteint le génie des débuts. L’esthétique indie, via Oasis, Nick Cave, Radiohead, va accéder au mainstream. JAMC a tout fracassé trop vite, trop fort.

Jouer du Beach Boys, mais façonç Stooges

On était surpris (sourire). Et c’est aussi pourquoi on a voulu travailler sur cet album avec Youth (alias Martin Glover, bassiste de Killing Joke). D’habitude, on ne veut pas de producteur mais là, Youth a joué le rôle d’arbitre. Un rôle crucial. Alan McGee, qui est redevenu notre manager, est un très bon ami de Youth. Il nous a conseillé d’essayer avec lui. Parce qu’il est un grand fan de Jesus And Mary Chain et parce qu’il est réputé pour ses capacités à désamorcer les tensions en studio. On s’est rencontré, on s’est reniflé si j’ose dire, et ça l’a fait. On a enregistré dans différents endroits mais principale­ment dans le studio de Youth, en Espagne, en plein désert, pas loin de Grenade.

Ce n’est pas du vol, c’est de l’amour

R&F : C’est quand même triste d’en arriver là avec son propre frère. Il n’y a aucune chance que la vie, le temps parviennen­t à vous rapprocher un jour ?

Jim Reid : Ça ne se passe pas si mal ces derniers temps. Ça n’a plus rien à voir avec avant, quand le chaos l’emportait sur tout le reste... ça va, ça va... Et si William ne fait pas la promo avec moi, c’est parce qu’il vit désormais à Los Angeles. Et puis, la promo, il n’a jamais aimé, il ne s’est jamais vraiment trouvé à son avantage... Il préfère que je m’en charge. Quand on faisait les interviews à deux, en revanche, il n’arrêtait pas de parler. Bla-bla-bla... C’était très horripilan­t (rires). C’est mieux ainsi.

R&F : Ce nouvel album, avec ses 14 chansons, comment le décririez-vous?

Jim Reid : Je dirais qu’il comporte un peu de chaque élément ayant contribué à édifier le son du groupe. De nos débuts jusqu’à Munki. Et qu’il contient aussi des choses nouvelles. On le doit à Youth. C’est du Jesus And Mary Chain d’aujourd’hui ! Il y a comme d’habitude des montées et des descentes. Il y a des chansons vraiment euphorique­s et d’autres vraiment dépressive­s. Damage and Joy en somme... R&F : Sur Internet, des anonymes racontent que vous auriez piqué un riff à Black Sabbath... Jim Reid : Non, je ne vois vraiment pas (rires). Ah, peut-être ce truc sur “Amputation”... Et encore. Non... Le rock’n’roll c’est ça : des accords, des idées, du hasard. Mais moi, si je pique, c’est inconscien­t. Sur “Get On Home”, il y a un riff des Stooges ? Tu sais, plein de groupes ont emprunté des trucs à Jesus And Mary Chain, les Stooges ont emprunté à d’autres, les Stones ont emprunté à Chuck Berry, c’est exactement ça le rock. Ce n’est pas du vol, c’est de l’amour, c’est tout.

R&F : Pour pas mal d’adolescent­s, dans les années 80, votre groupe a beaucoup compté. Avez-vous conscience de l’importance de vos chansons sur une génération, pensez-vous appartenir aux groupes qui ont écrit l’histoire du rock ?

Jim Reid : J’espère qu’on a compté. Un peu... Mais on n’a jamais rien prémédité, ça n’a jamais été une obsession de marquer l’histoire. Bien sûr, dès que tu fais un disque, tu rêves d’être tout là-haut, à côté de tes héros. J’aimerais que Jesus And Mary Chain soit considéré comme l’équivalent des Sex Pistols, The Clash, Suicide... Je ne parle pas de nombre de disques vendus, hein ! Mais pour moi, Suicide est aussi important que les Beatles. Et si tu es parvenu à toucher le coeur de quelques personnes, tu as gagné. J’entends souvent des histoires de gens qui associent certains moments cruciaux de leurs vies avec notre musique et ça, ça n’a pas de prix, c’est juste incroyable.

Un accent terrible

R&F : Quand vous êtes revenu jouer “Psychocand­y” sur scène à Paris, en 2014, on a été impression­né par la qualité et la puissance du concert, vous qui n’aviez pas une réputation scénique extraordin­aire. Et puis, ce soir-là, un sentiment paradoxal s’est emparé des quadragéna­ires présents. Ils se sentaient à la fois jeunes à nouveau et tristes et vieux, parce que ce concert marquait les 30 ans de la sortie de votre premier album...

Jim Reid : Je crois que j’ai ressenti exactement la même chose durant toute cette tournée. On a joué des chansons qu’on n’avait jamais jouées sur scène ! C’était très étrange comme sensation. Je me revoyais avec ma guitare acoustique, cette gigantesqu­e guitare Jumbo, dans le salon de ma mère, avec William, essayant d’écrire des chansons, sans savoir même pourquoi, en buvant du thé. À l’époque, on n’avait pas de groupe, pas de projet, rien ! Et je suis là, sur scène, à jouer “Something’s Wrong” pour la toute première fois ! C’était presque vertigineu­x. Et plutôt émouvant...

R&F : Est-ce que ce “Damage And Joy” est un nouveau départ ou un simple one shot ?

Jim Reid : Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire d’autres albums... Notre principal souci était de savoir si nous étions encore capables de faire un disque. On l’a fait et ça n’a pas été aussi difficile que ça. Donc... Après, si personne n’a rien à foutre de cet album, on ne va pas non plus insister. R&F : La dernière fois qu’on vous avait croisé, c’était pour la promo de “Munki”. Vous attendiez votre dealer, vous aviez vomi avant de répondre aux questions, avec un accent terrible, presque incompréhe­nsible. Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux... Jim Reid : Quand je me défonçais et que je buvais comme un trou, mon accent en faisait aussi les frais (rires). J’espère que vous m’avez pardonné (rires).

“Plein de groupes ont emprunté des trucs à Jesus And Mary Chain”

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