Rock & Folk

ALL THEM WITCHES

Etablie à Nashville,, cette bande de sorcières répandp ses incantatio­ns auprès d’une foule d’adeptes de plus en plus imposante.

- Bertrand Bouard

“Je ne crois pas que notre musique soit directemen­t influencée par la drogue”

Elle est arrivée de Suède le matin même.La petite vingtaine, bonnet rouge et piercing au nez, premier séjour à l’étranger programmé pour coïncider avec la venue de ce groupe américain au nom ésotérique. “Un ami à moi m’a affirmé qu’il allait

devenir énorme”, sourit-elle avec le ton de l’évidence. A l’intérieur de la Maroquiner­ie, archi comble, personne pour la contredire. Les têtes dodelinent à l’unisson des riffs lourds, les corps oscillent au fil des échappées psyché et bluesy, parfois ponctuées des spoken words du chanteur/ bassiste, Michael Parks, 27 ans. Echos du Floyd début seventies, du Sabbat Noir, de Kyuss, surtout, pour cette aisance à alterner tempos lents, hypnotique­s, et brusques accélérati­ons avec, ici et là, un souffle mélodique renversant (“Dirt Preachers”).

Les joies du stoner

La table basse de la loge de la salle parisienne est parsemée de bouteilles de bières, vin rouge, un petit sachet de shit se discerne aussi. “Pas mal de gens nous rangent dans la catégorie stoner, mais je ne crois pas que notre musique soit directemen­t influencée par la drogue, même si ça aide parfois, pose Parks une petite heure avant le concert, assis en tailleur sur le sol. On boit mais on ne détruit pas nos chambres d’hôtels, et on s’en

tient aux trucs naturels.” Goguenard, casquette de trucker vissée par-dessus ses bouclettes brunes, Allan Van Cleave (Fender Rhodes) renchérit : “On ne prend pas de coke.” Le groupe arrive directemen­t — en bus — de Nottingham où il a joué la veille, et mettra le cap dès la fin du concert parisien pour Cologne. Le public est présent partout, sans réel relais médiatique. Le bon vieux bouche-à-oreille, désormais décuplé par les réseaux sociaux. All Them Witches s’est formé à Nashville voici cinq ans, mais ses membres proviennen­t des quatre coins des Etats-Unis. Le guitariste Ben McLeod a grandi dans le nord de la Floride, à Saint Augustine, Parks à Shreveport, dans le nord de la Louisiane, puis au Nouveau-Mexique, Allan et le batteur Robby Staebler arrivent de la ville industriel­le de Columbus, dans l’Ohio. Tous ont mis le cap, vers la fin du lycée, sur la capitale du Tennessee, pour “monter un vrai groupe et tourner, une idée qui semblait valable quand on vient d’une petite ville”, dixit McLeod. Une discussion dans un bar de Nashville entre ce dernier et Staebler est suivie de jams éloquentes, et le batteur de proposer à Parks, son collègue dans une boutique de fringues, de se joindre au duo. Le son du groupe arrive presque immédiatem­ent. “Quand on se retrouve, la musique surgit de manière très naturelle”, explique Parks. Nashville est un endroit plutôt incongru pour qui veut s’adonner aux joies du stoner, et le groupe, de fait, y évolue dans une relative marginalit­é qui va être sa voie de sortie : sitôt un premier album mis en boîte, All Them Witches s’en va répandre ses sortilèges sur les routes. Il ne les a plus vraiment quittées depuis, particuliè­rement populaire à New York, Chicago, ou sur la côte Ouest, dans les vieux bastions psychés comme San Francisco.

Violente rupture

Le deuxième album, “Lightning At The Door” arrive en 2014, suivi d’une signature chez New West, pour lequel le groupe livre “Dying Surfer Meets His Maker”, enfanté en cinq jours dans une cabane du Tennessee. Une vraie révélation. Superbe équilibre entre ombre et lumière, textures acoustique­s et densité électrique, asphyxie et goulées d’air, le tout pensé comme un véritable trip et empreint d’une spirituali­té diffuse. Les quatre ont d’ailleurs tous baigné dans une éducation chrétienne, avec laquelle ils ont plus ou moins violemment rompu. On perçoit aussi au fil de ces plages un désir de s’émanciper d’un certain matérialis­me, celui que les sociétés occidental­es désignent en horizon absolu à leurs enfants. Robby, le batteur, arrête quelques secondes de faire résonner ses baguettes sur ses cuisses. “C’est ce que tu as ressenti ? Dans le mille. La musique est une façon de se libérer de toutes ces pesanteurs matérielle­s. Quand on joue,

on ne possède plus rien.” Le prochain album arrive en février. On en saura un peu plus, alors, sur les hauteurs auxquelles ces intrigante­s sorcières peuvent s’envoler.

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