Rock & Folk

DEPECHE MODE

Le groupe de Martin Gore ppoursuit sa triomphale­p routine avec un album spirituel en préambule d’une tournée des stades.

- Jérôme Soligny

Il faudra, un jour, raconter l’histoire de ce groupe qui n’en est plus un pour beaucoup d’observateu­rs. Ceux qui volettent à la périphérie des choses et des gens, ont un avis sur tout et le toupet de l’exprimer surtout quand on ne leur demande rien. Quarante ans exactement après sa germinatio­n du côté de Basildon, dans l’Essex, Depeche Mode continue d’exister. A sa façon. Lorsqu’ils en éprouvent le besoin ou plutôt l’envie, Martin Gore, Dave Gahan (les deux Américains qui habitent respective­ment à Santa Barbara et New York) et Andy Fletcher (qui réside en Angleterre) se retrouvent pour écrire et enregistre­r ensemble. Depuis plus d’une décennie, c’était affaire de survie comme nous l’a expliqué Gahan à plusieurs reprises, la genèse des chansons du groupe est un véritable travail en commun. Martin Gore n’est plus l’unique créateur du matériau qui, tous les quatre ans, pousse le trio à faire la tournée des stades. Sur “Spirit”, quatorzièm­e album, le batteur Christian Eigner et le claviérist­e Peter Gordeno (deux membres additionne­ls — de scène — qui ne jouent donc pas sur les disques) ont suggéré des choses qui ont été retenues. Sur “Delta Machine”, l’album précédent, le musicien/ programmeu­r/ ingénieur du son Kurt Uenala avait participé à l’écriture de plusieurs titres. Penser que Depeche Mode était incapable d’évoluer ou que Gore n’ouvrirait pas la musique du groupe était une erreur. Comme les plus grands, le trio est victime d’idées reçues qui gangrènent sa réalité. Et puisque, dans le même temps, il choisit de s’adresser de moins en moins à la presse (au profit des réseaux sociaux, pourvoyeur­s de messages rapides, mais superficie­ls sur le plan du contenu explicatif), le fossé entre ce qu’est vraiment Depeche Mode et la perception du public est devenu un abîme. U2 et Coldplay sont dans le même cas.

La sale étiquette va longtemps coller au groupe

Ce décalage ne date pas d’hier. Au début des années 80, Depeche Mode a été associé à une vague pop électroniq­ue, légère pour ne pas écrire

superficie­lle. En France, un territoire en passe de devenir majeur pour eux, on a hâtivement utilisé l’expression garçons coiffeurs, pour parler de ces musiciens qui, au départ, préféraien­t les synthétise­urs aux guitares, les mélodies travaillée­s aux ambiances lugubres. La sale étiquette va longtemps coller au groupe, pourtant impossible à catégorise­r puisque animé de soubresaut­s dès l’allumage. Si Martin Gore a bel et bien eu la mainmise sur Depeche Mode en matière d’écriture jusqu’à “Exciter” en 2001, il convient de rappeler que “Speak & Spell”, le premier album, était le bébé de Vince Clark, leader malgré lui qui, de peur que la gloire le happe, préféra s’éclipser peu après sa sortie. De même, la contributi­on d’Alan Wilder, membre officiel (très porté sur les arrangemen­ts) à partir de “Constructi­on Time Again” en 1983 — et pourvoyeur de formidable­s décors sonores jusqu’à “Song Of Faith And Devotion” dix ans plus tard — a fortement imprégné la discograph­ie du groupe. Son départ inaugura une troisième ère. Aussi, Depeche Mode, bien qu’emporté par son élan, ne s’est jamais laissé griser au point d’être abusé et a toujours misé sur le collaborat­if. Daniel Miller (Monsieur Mute), puis Gareth Jones, David Bascombe, Flood, Tim Simenon, Mark Bell, Ben Hillier et cette fois James Ford, se sont penchés, en tant que producteur­s/ partenaire­s, sur le berceau d’albums le plus souvent appréhendé­s de manière différente. Alors qu’il aurait été si simple de répéter la formule magique trouvée au milieu des années 80, “Black Celebratio­n”, “Music For The Masses” et “Violator” ont reflété une indéniable témérité artistique et contribué à amplifier le succès commercial de Depeche Mode, notamment aux USA, où il rivalise, depuis, avec U2.

Même bénitier

Imaginer un seul instant que tout n’a toujours été que fun et insoucianc­e pour ces millionnai­res en dollars est également aller bien vite en besogne. D’abord, sur le plan financier, Mute n’a jamais cessé de responsabi­liser ses artistes en les faisant participer, sous forme d’avances, aux frais d’enregistre­ment. Le pourcentag­e était bien meilleur en cas de succès. Heureuseme­nt pour Depeche Mode, il a vite été massif et ne s’est jamais démenti. Mais personne n’ignore que Dave Gahan a dangereuse­ment fricoté avec l’héroïne et, au point où il en était, avec la mort : en 1996, de battre son coeur s’est arrêté un instant, au Sunset Marquis à Los Angeles (où il y a pourtant tellement mieux à faire) suite à une overdose. En 2009, il a subi un traitement contre le cancer consécutif au retrait d’une tumeur maligne et, la même année, des ennuis de cordes vocales ont entraîné l’annulation de concerts de Depeche Mode. Pour autant, Gahan n’a pas serré le frein à main. Depuis 2003, il a également publié deux albums solo et participé aux quatrième et cinquième de Soulsavers. Surtout, en tant que père concerné, il s’inquiète à propos de l’avenir du monde en général et de celui de ses enfants en particulie­r. Ces préoccupat­ions qu’il a en commun avec Martin Gore (et tout être vivant doté d’un cerveau, même de taille moyenne) alimentent les chansons de “Spirit”. Passionné des choses de l’esprit, Dave Gahan ne l’a toutefois jamais été autant que Martin Gore qui, dans bon nombre de textes pour Depeche Mode, a abordé de manière plus ou moins frontale le thème de la croyance et la dépendance de l’homme aux religions. Après avoir considéré un temps qu’il n’était que le messager de chansons que Dieu soufflait à Gore, Gahan chante désormais, avec plus de conviction que jamais, des vers qui les montrent grenouilla­nt de bon coeur dans le même bénitier, notamment dans “Where’s The Revolution”, premier single extrait de l’album disponible mimars.

Habillé en oiseau

La foi n’est pas la seule à avoir instillé l’oeuvre de Depeche Mode. Tandis qu’elle boostait la verve de Martin Gore et notamment certains des tubes les plus fédérateur­s du groupe (“Personal Jesus”, pour ne citer que celui-là), la guitare (instrument rock’n’roll par excellence) contre toute attente s’est insinuée jusqu’à devenir une composante majeure du son du groupe lors de l’élaboratio­n de ses albums. Sur scène, également, Gore assume sa dépendance à la 6-cordes — celle à l’alcool ne serait plus qu’un mauvais souvenir — et, bien fier d’enrichir ainsi une facture sonore qui reste principale­ment électroniq­ue, il y joue de la Gretsch comme si sa vie en dépendait. Habillé en oiseau ou pas. En vérité, la vie de Martin, à l’instar de la carrière de Depeche Mode, installé comme peu d’autres groupes aujourd’hui (Coldplay, U2, toujours eux...) ne dépend plus de rien, et sûrement pas des autres. Le succès de la prochaine tournée, les ventes de billets le prouvent, sera colossal. Comme la fois d’avant et certaineme­nt la suivante. Le public n’a pas écouté l’album ? Pas besoin. Les nouveaux titres seront cernés par des classiques, c’est l’essentiel. Les gens se déplaceron­t pour eux. Dans pareille circonstan­ce, la promotion n’est même plus une formalité : elle est broutille, perte de temps. Traité comme il se doit en pages Disques, “Spirit” est un bon cru. Qui souffle le chaud et le froid, la menace et l’espoir. Depeche Mode reste un grand groupe. Il faudra, un jour, en raconter l’histoire.

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