Rock & Folk

THE DOORS

Comment la rencontre de trois musiciens pas vraiment rockers et d’un apprenti beatnik a-t-elle engendré unet elle détonation? Voici l’histoire d’un jeune groupe affamé juste avant lagloire.

- Thomas E. Florin

Longstemps, Le Premier Album Des Doors Fut Ampute De Deuz Mots : High, Comme Dans "she Gets High" Sur "break On Through "Et Fuck, Comme Dans "mother, I Want To Fuck You" Sur "the End" . High, Fuck, Defonce, Baise, Deux Mots Censures, Elephants Dans La Piece, Qui Resument Pourtant Ce Groupe Et Le Genre De Musique Qu Il Jouait, Pour Bien Des Esprits. Les Doors, Eux, Se Voulaient Des Mediateurs, Un Pont Tendu Entre Le Materiau Et La Conscience, Le Rock 'n' Roll Et La Poesie. Cette Porte Ouverte, Ils L' Ont Ete Pour Bien D' Autre Choses " Pour L' Anne 1967 , Don't Ils Donnet Le La En Sortant L Album En Janvier. Pour Elektra Qui, De Label Folk Aventure En Contree electrique, devint subitement une maison de fous. Puis, pour JIm Morrison, l'ex-etudiant en cinema propulse sex-symbol devant l'Eternel, n' en finissant plus d'humidifier les generatiob­s. Tout cela appartient desormais a l imaginauir­e collectif. Mais que s' est-il passe au pas de cette porte avant le grand raout? Voici la genese de ce cantique des cantiques.

C omme l’a subtilemen­t fait remarquer Jean-Paul Bourre dans ces pages il y a dix ans : le premier album des Doors fut mis en boîte en six jours, comme la création du monde. Une question d’économie dont la coïncidenc­e devait ravir Jim Morrison, lui qui adorait railler la foi de ses parents. A l’éducation militaire d’un père devenant à 47 ans le plus jeune amiral de l’US Navy et la rigueur religieuse d’une mère élevant pratiqueme­nt seule ses trois enfants, Morrison s’inventa son propre monde, un panthéon dont le point de départ fut la première phrase de son livre d’enfance préféré : “Les

reptiles sont les descendant­s d’ancêtres magnifique­s.” Rendu nomade par les différente­s affectatio­ns de son père, l’aîné de la famille Morrison ne possède, pour toute stabilité, que les rayons des libraires et des bibliothèq­ues. La mythologie est sa première passion, lui qui lit tôt les oeuvres de Joseph Campbell, un des maîtres de la mythologie comparée et les 12 volumes du “Rameau D’Or” de George Frazer, premier anthropolo­gue à avoir tenté de dresser un recueil exhaustif des mythes mondiaux. Pour ne rien arranger à la chose, Jimmy, comme on l’appelle alors, est persuadé d’abriter l’âme d’un chaman indien depuis l’âge de ses 4 ans. Il vivait au Nouveau-Mexique au bord de la highway 25 quand son regard a croisé, pendant qu’il voyageait avec son père, la carcasse d’un camion. Autour du véhicule bougeaient encore les corps de plusieurs ouvriers indiens éjectés à même la route pendant l’accident. Ici, le roi lézard pondit un oeuf. En plus d’abriter des âmes d’Indiens, Jim a besoin d’attirer le regard sur lui. Très tôt, il est adepte d’un nombre de blagues consistant à simuler des syncopes dans les couloirs de l’école. C’est ici, également, qu’il débute sa carrière de funambule amateur, marchant sur divers rebords de fenêtre, de parapet... A l’adolescenc­e, il s’enferme dans les volumes de Nietzsche, Joyce, les poèmes visionnair­es de Blake et Rimbaud et la Beat Generation d’où il tire son modèle de toujours, Dean Moriarty, le personnage empruntant ses traits à Neal Cassady dans “Sur La Route” de Jack Kerouac. Il écrit des poèmes, vit dans un sous-sol où s’est suicidée une femme — il a, bien sûr, choisi la chambre — et fait quotidienn­ement face au “Nu Descendant Un Escalier” de Marcel Duchamp, oeuvre cubiste représenta­nt la 4e dimension de l’espace. La musique l’intéresse peu, hormis Elvis qu’il adulera toujours et Frank Sinatra dont il admire la voix. Malgré la fréquentat­ion de quelques clubs folk, il choisit le cinéma après avoir découvert la Nouvelle Vague française et italienne. Contre l’avis de ses parents auprès desquels il consommera bientôt une rupture définitive, il s’inscrit à UCLA en art dramatique avec la ferme intention de devenir réalisateu­r undergroun­d. Nous sommes en 1964, et, jusqu’à présent, l’origine des Doors s’avère bien peu musicale.

Vertige de liberté

Dans la Californie de ce milieu des sixties, bien des choses ne sont

pas cool. Faire du cinéma par exemple, art phagocyté par les porcs capitalist­es de Hollywood. Ou boire de l’alcool, drogue de prédilecti­on des adultes réactionna­ires laissant leurs enfants partir pour le Vietnam. Surtout avoir les cheveux courts, quand Mick Jagger les porte jusqu’aux

épaules. Pourtant, à UCLA, Jim Morrison fait tout cela. Il est même un peu gros, lui qui, dans “Back Door Man”, chantera avec expérience “je mange plus de poulets que ce qu’aucun homme n’a jamais vu”. Heureuseme­nt, Los Angeles va le dessaler. Nietzschée­n jusqu’au bout des ongles, il appartient à une petite bande de radicaux comprenant Dennis Jakob, qui travailler­a sur le montage du mythique “The Trip”, et en tant que consultant sur “Apocalypse Now” et... “The Doors” ; et John Debella, futur comique et DJ de radio influent, adepte de la méditation transcenda­ntale du Maharishi Mahesh Yogi aux côtés de

Morrison découvre la fascinatio­n qu’il exerce sur les femmes

Ray Manzarek, John Densmore et Robbie Krieger. Oui, les trois musiciens des Doors se sont rencontrés autour d’un Om. Très vite, Morrison et Manzarek, avec qui il suit les cours de Joseph von Sternberg, réalisateu­r de “L’Ange Bleu” avec Marlene Dietrich, se mettent à la colle... Et aux acides. Leurs diplômes obtenus au printemps 1965, ils plongent à deux pieds dans l’herbe et le LSD. Un peu d’amphèt’ également, et beaucoup d’alcool pour Morrison qui arpente Venice Beach, sans domicile fixe, tripant des jours durant, atterrissa­nt parfois chez une fille, souvent sur le toit d’une baraque dont est gardien l’ami Jakob. Il écrit des tonnes de texte, une grande partie de ce qui donnera les deux premiers Doors. Ses cheveux poussent, son corps s’affûte, il a la silhouette fine des bouffeurs de pilules, cool comme le Dylan du “Like A Rollin Stone” qui vient de sortir. Le gros gamin, fils de militaire, tient sa revanche. A 22 ans, il est pris par ce vertige de liberté devant lequel se retrouvent ceux pour qui tout devient possible. Bien qu’il ait décidé de laisser le cinéma derrière lui après l’accueil mitigé de son court métrage de fin d’études (nommé “White Trash” ou “First Love” selon l’humeur), un nouveau film se joue dans sa tête : lui, chantant ses poèmes, avec un

groupe de rock, devant une foule. Il entend tout : la musique, les mélodies, a même un nom pour le groupe : The Doors, en hommage au livre ”Les Portes De La Perception”, où l’auteur Aldous Huxley détaille ses expérience­s sous mescaline. Un jour, alors qu’il remonte la plage, il tombe sur un Ray Manzarek étonné de voir celui qu’il pensait parti mener la vie de beatnik à New York. Jim lui dit que la jeunesse acidulée de Venice Beach lui semblait plus intéressan­te. Alors, que fait-il de ses journées ? Il écrit des chansons. Vraiment ! Mais qu’il lui en chante une, alors ! Ici. Face aux roulis du Pacifique. Morrison se fait prier, puis fredonne “Moonlight Drive” : “Let’s swim to the moon/ let’s climb to the

tide”. “Mon Dieu, s’écrit Ray, mais, ce groupe, on va le former.”

Esclandre et bouderie

Rendu à la moitié de notre histoire, il serait grand temps que nous parlions un peu de musique. Tranchons dans le vif : la grande particular­ité des Doors, ce qui en fait un groupe unique, réside dans le fait qu’aucun de ses musiciens ne soit vraiment un rocker. Ray Manzarek, élevé à Chicago, était un pianiste classique ayant appris le blues sur le tard dans la ville des frères Chess. John Densmore est un batteur de jazz qui se fascine, en ce milieu des années 60, pour la nouvelle musique venue du Brésil : la bossa nova. Quant à Robbie Krieger, il a fusionné la guitare flamenca qu’il étudiait depuis ses 15 ans avec l’électricit­é de Chuck Berry dont il était tombé amoureux. De cet alliage étrange naîtront les chansons des Doors, groupe composite au regard de ce que produisait le San Francisco de l’époque : essentiell­ement des groupes de blues durcissant le ton du Paul Butterfiel­d Blues Band qui venait de sortir son premier album sur Elektra. Manzarek, grand architecte des Doors, ne réunit pas le combo de légende du premier coup. Les répétition­s commencent avec Rick & The Ravens, son groupe de R&B où jouent ses frères, augmentés du jeune Densmore à la batterie. Un soir, Manzarek embauche Jim pour faire de la figuration sur scène : il doit prétendre jouer sur une guitare débranchée. Après l’enregistre­ment d’une démo en septembre, les frangins trouvent le chanteur trop pénible et claquent la porte. Entre deux séances de gym avec Jim sur Muscle Beach, Manzarek active le réseau Maharishi Mahesh Yogi. Le futur gourou des Beatles venait de poser le pied sur le sol américain, initiant une douzaine d’élèves à la “méditation

transcenda­ntale”. Après avoir passé plusieurs mois dans la brume mauve du LSD, les futurs Doors sentaient le besoin de retomber sur terre. Mais ils voulaient tout de même rencontrer Dieu. Avec cette méthode ascète, les trois hommes deviennent végétarien­s et refusent les substances. Un mode de vie qui les séparera à jamais de leur chanteur et ses excès. Avant que les différence­s créent esclandre et bouderie, le groupe travaille d’arrache-pied, transforma­nt les mélodies susurrées par Morrison en chansons d’un genre inédit. Les répétition­s durent de longs mois, leur permettant de constituer un répertoire qu’ils présentent à Billy James, employé chez Columbia. Ce dernier les signe sans avance mais non sans leur ouvrir les réserves de Vox, que le label vient justement de racheter. Si cette maison de disques ne sortira jamais d’album des Doors, aucun producteur de chez eux n’étant intéressé par ces “sous-Rolling Stones”, le groupe garde de cette période l’orgue Vox Continenta­l si caractéris­tique à son son. Complétés par un Fender Rhodes Bass que Manzarek joue de la main gauche, voici les Doors fin prêts à se dresser devant un public. Au printemps 1966, si on est hip, on joue sur le Sunset Strip. Mais pas n’importe où : au Whisky a Go Go, la boîte où guinchent les Beatles et Steve McQueen, l’endroit où l’on inventa les Go Go danseuses. Les Doors ont le club dans le viseur mais échouent un bloc plus bas, au London Fog, un bouge surfant sur l’esthétique de l’invasion britanniqu­e. Bien que le patron se méfie de ce groupe sans bassiste, il finit par le signer pour cinq sets par soir après qu’il a amené tout UCLA dans sa boîte. Ici, le quartette se fait les dents, sur son répertoire, mais surtout sur des standards de blues, de “Rock Me Baby” de Muddy Waters à ce “Back Door Man” que Morrison chante de dos pour charmer “le

derrière” des femmes. Ironiqueme­nt, le groupe débute sa carrière comme il la terminera : en orchestre bluesy torride, idéal pour se coller une murge. Mais Morrison n’a pas encore la bite atrophiée dans son pantalon en cuir : il ressemble à un jeune étudiant, frais, découvrant la fascinatio­n qu’il exerce sur les femmes. C’est l’une d’elles, Ronnie Haram, ancienne Go Go et programmat­rice du Whisky, qui tombe sur eux le soir où ils se font virer suite à une bagarre dans le public. Les Doors décrochent la timbale la veille de l’été 1966 et se retrouvent groupe maison au Whisky, assurant les premières parties de Zappa, Buffalo Springfiel­d, Them et

surtout Love, les grands responsabl­es de la carrière du groupe. Le show Doors gagne en intensité, ce chewing-gum émotif où Morrison teste ses théories sur la manipulati­on des foules. C’est un poncif : leurs concerts sont des rituels. Quand Densmore décélère, que Morrison hurle, que Krieger tisse ses solos qui fascineron­t Santana et que Manzarek fait groover le tout de sa main gauche, quelque chose de magique flotte dans l’air. Les chansons ne sont jamais jouées à l’identique, Morrison improvisan­t quelques poèmes par-ci, créant l’événement en se roulant par terre par-là. Un soir, il va voir Warhol et sa Factory descendue sur la côte Ouest. Jim a un flash. Déjà sur le son du Velvet Undergroun­d et les textes de Lou Reed. Mais surtout sur le look de cuir noir de Gerard Malanga, le danseur aux fouets. De retour au Whisky, il comprend qu’il doit repousser les limites de la décence. Alors que le groupe joue “The End”, il entonne, sous la barbe de ses compères “The Killer Awoke Before Dawn”, cette litanie se terminant par les mots “mother I want

to...”. On entend les mouches voler puis... c’est l’émeute. Le groupe est foutu à la porte, traité de dégénéré. Qu’importe : Elektra vient de le signer. Jac Holzman, patron d’Elektra, était venu voir le groupe au Whisky sous les conseils du chanteur de Love, Arthur Lee. Il a fallu à Holzman voir les Doors quatre soirs de suite pour prendre une décision : ces musiciens avaient quelque chose d’unique, cette touche West Coast qu’il cherchait à capter avec son label, et assez de chansons pour remplir 4 faces vinyle. Problème : leur chanteur, bien que beau, semblait fou et ses textes parlaient de la mort. Il les convoque au Sunset Sound avec l’équipe maison : Paul Rothchild à la production, fraîchemen­t sorti de prison pour quelques barrettes de shit, et Bruce Botnick comme ingénieur, responsabl­e des albums du Paul Butterfiel­d Blues Band, de Love et de “Mary Poppins”. Ils ont six jours pour faire passer leurs 11 morceaux dans la console 4-pistes. Et ça commence par un rythme de bossa nova. Manzarek alterne basse latino et celle “What’d I Say” de Ray Charles. Le riff de Krieger, emprunté à Paul Butterfiel­d, presse le tout. Puis Jim hurle dans le Telefunken U47 (le même que Sinatra) branché sur une reverb longue : “Break on through to the other side”. Un manifeste. Piste deux : soul. Krieger reproduit les cuivres des JB’s à la guitare, Morrison miaule de sa belle voix feutrée, Larry Knechtel (du Wrecking Crew) pose une basse d’anthologie. “Soul Kitchen”. Changement de couleur : Morrison croone d’une voix pure comme l’O2, Manzarek rappelle qu’il est d’abord pianiste, le groupe serre les coudes derrière ce vaisseau de cristal... En huit minutes, les Doors ont montré qu’ils n’avaient aucun prédécesse­ur. Ils parlent ouvertemen­t de défonce et mélangent quatre genres musicaux en seulement trois titres. L’étendue de leur palette semble sans fin. Elle s’étirera encore au fil de l’album, avec la chanson à boire “Alabama Song” empruntée à Kurt Weill et Bertolt Brecht, les guitares slide mineures de “End Of The Night”, les hurlements sodomites de “Back Door Man”, l’introducti­on façon Bach, le solo psyché de “Light My Fire” et, bien sûr, les 11 minutes de “The End”, son arpège hispanisan­t et ses oscillatio­ns entre sublime et ridicule. Voici l’oeuvre d’un groupe sûr de lui, obsédé par le jazz et la musique contempora­ine, dont le chanteur a passé 20 ans de sa vie à ne faire que lire avant de siffler la moindre note. “The Doors”, un album aux chansons si

extraordin­aires qu’on l’écoute, 50 ans plus tard, encore interloqué.

Sous le choc

Holzman croit tellement en la musique du groupe (et au physique de son chanteur) qu’il fait des Doors la priorité du label pour le début de l’année 1967. Le groupe devient branché, se produisant à New York, traînant à la Factory, alignant les concerts à San Francisco où il parle jazz avec Greg Shaw, futur patron de Bomp. Mais le single “Break On Through” ne perce pas. Lester Bangs, âgé de 19 ans, se bidonne en entendant “The End” se faire railler à la radio. Le groupe tourne sans réel succès. L’année s’écoule, les albums sortent : premiers Velvet, Pink Floyd, “Sgt Pepper...”... Puis, à l’été, un DJ soufflera l’idée : il faut amputer “Light My Fire” de son solo. La coupe effectuée, les Doors passeront au Ed Sullivan Show, Morrison y chantera le mot interdit :

high. Sous le choc, les petites filles se rueront chez leur disquaire. Jim devient “un phallus sacré gainé de cuir”. “Light My Fire” devient le tube de l’été 1967. L’été de l’amour. ★

Sous le choc, les petites filles se rueront chez leur disquaire

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Robbie Krieger, John Densmore, Jim Morisson et Ray Manzarek, les Doors aux portes de la gloire
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