Rock & Folk

BOSS HOG

Parce que deux groupes ne lui suffisent pas, Jon Spencer réactive celui qu’il avait formé à la fin du siècle dernier avec son épouse Cristina Martinez.

- Isabelle Chelley

La dernière fois que Boss Hog est passé par la France, c’était en 2009. Le groupe de Cristina Martinez et Jon Spencer jouait à la Garden Nef Party d’Angoulême, ce qui nous avait motivée à couvrir le festival (le reste de la programmat­ion n’était pas sale non plus). A 2 heures du matin passés, les cinq New-Yorkais avaient débarqué sur scène et, malgré un concert plus tôt dans la journée et la route, ils s’étaient totalement lâchés, faisant monter la tension sexuelle plus qu’à l’accoutumée. D’autres concerts aux USA et des nouvelles sporadique­s avaient suivi. Jusqu’à ce qu’on découvre un étrange visuel et ce nouvel album, “Brood X”, sortant 17 ans après “Whiteout”. Un disque plus brut, sec, sale et sombre que son prédécesse­ur, raccord avec son époque.

Longue pause

Comme tous les bars et les clubs, la Maroquiner­ie en plein jour a l’air d’une coquille vide. Le personnel attend sa livraison d’alcool. Dans la salle, on entend le bruit d’une balance. Bonnet de laine, manteau en poils de Muppet, pantalon en cuir, Cristina Martinez — désolée les jalouses

qui la détestent parce qu’elle est belle, sexy et mariée à Jon Spencer, tout aussi gagnant à la loterie génétique —a à peine changé depuis la promotion de “Whiteout”. “J’ai vendu mon âme au diable, évidemment. Ou bien, c’est parce que j’ai fait une longue pause. Le secret, c’est vivre sainement. Tourner constammen­t est très dur pour le corps. Jon n’a jamais arrêté et il a des problèmes de vertèbres à force de sauter sur scène. En ce moment, je m’éclate, j’adore jouer, mais c’est devenu crevant de donner neuf shows d’affilée. Les concerts sont assez intenses, une heure de cardio punk. Dès que l’adrénaline pulse juste avant le show, tout va bien, mais après, j’ai besoin de dormir pour ne pas être épuisée. On a vieilli, difficile de le nier.” Non, pas tant que ça. Le déni est de courte durée. Cristina explique la raison de sa longue pause : Charlie, fils qu’elle a eu avec Jon. Un adorable petit garçon qu’on avait croisé sur la dernière tournée de Boss Hog. “Charlie est à

l’université, annonce-t-elle tandis que le poids

des ans nous cloue dans le canapé. Dès qu’il est allé à l’école, il a fallu que quelqu’un reste à la maison pour lui donner une structure. C’est ce que j’ai fait. Ça a été fantastiqu­e. J’ai beaucoup joué avec lui, essayé de lui apprendre à être un bon être humain, ce qui est plus dur qu’on ne pense. Et passé du temps à faire du bénévolat pour de très petites écoles indépendan­tes qui apportent un nouveau type d’enseigneme­nt à une communauté très mélangée. Puis j’ai repris le travail que j’avais quand on s’est installés à New York, dans la production de magazines. Je me suis consacrée à mes projets artistique­s, je fais de la photo, j’ai continué à écrire des chansons en attendant le moment où on les utiliserai­t. Quand on répétait, je les apportais. J’ai toujours créé, je me suis toujours sentie très active de ce côté-là.”

Cauchemar

En découvrant “Ground Control”, chanson à l’atmosphère parano où Cristina se lamente sur l’état du monde et de sa ville et Jon l’enjoint à tenir le coup avant de conclure sur un appel à bouger avant qu’il ne soit trop tard, on pense à l’Amérique post-clown à la Maison-Blanche. “Pourtant, ce disque a été écrit avant le désastre Trump. J’ai une approche très ouverte quand je crée et, ironiqueme­nt, mes paroles peuvent s’appliquer ou faire écho à ce qu’il se passe maintenant.” Et si “Brood X” est parcouru par une certaine urgence, ça n’a rien d’un hasard. Il a été enregistré en six jours au Key Club Recording Studios dans le Michigan. Pendant sa pause, le groupe a économisé les royalties de “Whiteout” pour les réinvestir dans l’enregistre­ment du

dernier. “On a vécu sur place pendant qu’on travaillai­t sur l’album. On était concentrés sur le fait de jouer, on a écrit deux chansons là-bas, dont ma préférée, ‘17’, qui est un accident de studio. On faisait du bruit et j’ai trouvé ça si beau que j’ai écrit quelque chose. C’était un de ces moments magiques en studio. On est revenus au Boss Hog des débuts, plus lo-fi et direct, pas si policé.” On retrouve la même tension à fleur de peau sur “Save Our Souls”, titre du groupe sur la compilatio­n “Battle Hymns”, dont les bénéfices iront au Planning Familial, l’ACLU (Union Américaine pour les Libertés Civiles) et 350.org

(organisati­on environnem­entale). “Le soir des élections j’avais organisé une grosse soirée chez moi. A 21 h on a compris que les choses tournaient mal et à 22 h je me suis excusée pour me rouler en boule dans mon lit. Le lendemain, j’ai espéré me réveiller de ce cauchemar. Immédiatem­ent, il y a eu des manifestat­ions dans les rues de New York et nous n’en avons pas raté une. Pour revenir à la compilatio­n, Jon est ami avec Janet (Weiss) qui joue avec Sam — son ex, je crois — dans Quasi. Ils nous ont demandé une chanson et on était ravis de participer à quelque chose qui bénéficier­ait directemen­t à des organisati­ons pour les libertés civiles qui sont en péril à cause de la suppressio­n de leurs financemen­ts.”

Né par accident

Jon entre dans la loge, tenant la vieille guitare que tout bon fan du Blues Explosion connaît, relique dont la peinture n’est qu’un lointain souvenir. Cristina s’éclipse, Jon s’excuse de devoir changer ses cordes de guitare pendant qu’il nous parle. On revient sur l’album, sur la difficulté d’entretenir une alchimie, un esprit de groupe quand on

enregistre tous les 17 ans. “Le groupe s’est retrouvé régulièrem­ent pour jouer, composer, il y 5 ans. C’est une sorte de club. Des copains qui se réunissent dans le même sous-sol du Lower East Side, celui de nos débuts. On a toujours écrit de la même manière, en discutant, en faisant du bruit, en buvant un verre. Comme on ne doit pas d’album à un label, il y a une bonne ambiance.” La pochette et le titre du disque font allusion à une sorte de cigale qui reste à l’état larvaire durant 17 ans et n’émerge qu’une semaine pour se reproduire. Etrange parallèle avec un groupe né par accident selon la légende, pour compléter une affiche au CBGB.

“Ce n’était pas totalement improvisé, précise Jon. On n’était pas vraiment affûtés, mais on avait des chansons, enfin des ébauches. Sans me souvenir des détails, je suis assez sûr qu’on portait tous des vêtements. Sur internet, on raconte qu’on était nus, mais c’est une légende urbaine.” Vu l’insalubrit­é légendaire du club, on le croit. La tournée européenne de Boss Hog s’achevant bientôt, que compte faire le New-Yorkais le plus occupé du rock’n’roll pour s’occuper ? “L’an dernier a été assez calme pour moi. Après le dernier album du Blues Explosion, ‘Freedom Tower’, on a tourné pendant six mois. Puis Judah Bauer est tombé malade et on a dû annuler des concerts. On ne peut toujours pas reprendre. Je manage Boss Hog, mais je tente de mettre un nouveau projet sur pied.” ★ Album “Brood X” (Pias)

“Une heure de cardio punk”

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