Rock & Folk

DOUZE QUESTIONS A KEN SCOTT

RECUEILLI PAR JEROME SOLIGNY

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ROCK&FOLK : A quand remonte votre premier souvenir de George Harrison en studio ?

Ken Scott : J’ai commencé à travailler sur des séances des Beatles à Abbey Road, en tant que second ingénieur-son, en 1964. Je suis devenu leur ingénieur trois ans plus tard, alors qu’ils enregistra­ient les chansons de “Magical Mystery Tour”. Ainsi, j’ai pu voir George s’investir davantage dès l’enregistre­ment de “Blue Jay Way”, et encore plus l’année suivante, sur ses chansons du White Album. Avant, nous avions travaillé ensemble sur “Wonderwall Music”. J’ai véritablem­ent appris à le connaître à cette occasion car il n’y avait que lui et moi en studio.

R&F : Lennon et McCartney rendaient-ils à ce point la vie difficile à George lorsqu’il essayait de soumettre une chanson ?

Ken Scott : C’était ainsi au cours de la première moitié des années 60, mais les choses ont évolué lorsque les deux autres ont vu qu’il était capable de proposer des titres comme “While My Guitar Gently Weeps”. Il avait de plus en plus confiance en lui.

R&F : Comment se passait l’enregistre­ment d’un morceau spécifique­ment écrit par un des membres des Beatles ?

Ken Scott : Généraleme­nt, quoi qu’il arrive, les premières prises étaient enregistré­es par tout le groupe. Celui qui avait écrit la chanson ajoutait ensuite quelques éléments, puis les autres donnaient leur avis et ajoutaient éventuelle­ment des choses à leur tour.

R&F : En studio, vers la fin des Beatles, l’atmosphère était-elle aussi pesante qu’on le raconte parfois ?

Ken Scott : Absolument. Dès 1967 en fait. L’enregistre­ment de “Hey Jude”, par exemple, a été particuliè­rement problémati­que car il a été filmé. L’ambiance n’était pas top au départ et l’équipe de tournage, pourtant discrète, n’a rien arrangé à l’affaire. Souvent les problèmes survenaien­t à cause de choses extérieure­s au groupe. Dans le cas présent, la tension a monté car George et Paul n’étaient pas d’accord sur qui devait jouer de quoi sur les premières prises. Mais le plus souvent, les Beatles laissaient leurs ennuis à la porte du studio.

R&F : Vous avez eu la chance de travailler avec eux lorsqu’ils se sont véritablem­ent émancipés...

Ken Scott : Absolument. Au point que pendant le White Album, George Martin a pris des vacances. Ils ont été livrés à eux-mêmes pendant trois semaines, avec Chris Thomas et moi aux manettes. R&F : Les Beatles étaient en terrain conquis à Abbey Road ? Ken Scott : Disons qu’il n’aurait pas été très malin de refuser quoi que ce soit au groupe qui vendait le plus de disques en Angleterre (rires). Un soir (à la différence de la majeure partie des musiciens qui enregistra­ient à Abbey Road, les Beatles y travaillai­ent quand bon leur semblait — NdA), Chris Thomas a aperçu un clavecin par la porte ouverte du studio 1 et s’est mis à en jouer. George l’a entendu et a décidé d’utiliser l’instrument sur “Piggies”, chanson sur laquelle on travaillai­t dans le 2. On a essayé de déplacer le clavecin, mais c’était impossible. On est donc venu enregistre­r dans le studio 1. Ça n’a pas été plus difficile que ça.

R&F : Quel souvenir gardez-vous des séances d’enregistre­ment de “All Things Must Pass” à Trident ?

Ken Scott : Je commençais à bien connaître l’endroit. J’y travaillai­s, notamment avec David Bowie, depuis quelque temps. En fait, j’ai découvert ce studio grâce à “Hey Jude” que les Beatles ont voulu enregistre­r làbas car il y avait un magnétopho­ne 8-pistes. J’y ai aussi travaillé sur plusieurs chansons produites par George, parmi lesquelles “It Don’t Come Easy” de Ringo Starr et “Ain’t That Cute” de Doris Troy. Je n’étais pas présent lors des premières prises de “All Things Must Pass”, enregistré­es à Abbey Road par Phil Spector. J’ai pris le relais à Trident pour les overdubs, et je peux vous dire qu’on en a fait un paquet !

R&F : Phil Spector n’est intervenu à nouveau qu’au mixage ?

Ken Scott : Oui. George et moi commencion­s la séance vers deux heures de l’après-midi. On mixait à notre goût jusqu’à ce que Phil arrive, en début de soirée. Il écoutait, donnait son avis, approuvait généraleme­nt et nous demandait éventuelle­ment de modifier des choses, ce qu’on ne faisait pas forcément, avant de repartir.

R&F : Ça a dû vous changer de George Martin...

Ken Scott : Euh oui, à tous points de vue (rires). Mais d’après ce que j’ai vu, je peux affirmer que la collaborat­ion entre George et Phil fonctionna­it admirablem­ent. On écoutait ce qu’il proposait et il n’a jamais été directif au point d’exiger qu’on fasse telle ou telle chose. Il est vrai, en revanche, que lorsque trois décennies plus tard, je me suis retrouvé à travailler avec George sur la réédition de “All Things Must Pass”, nous n’étions pas très emballés par les tonnes de reverb que Spector avait collées sur certains instrument­s. On aurait volontiers despectori­sé le son de certaines chansons...

R&F : Ce coup de fil que George vous a passé, au tournant du siècle, a dû vous étonner, non ?

Ken Scott : C’était incroyable. On ne s’était pas revus depuis des années et je n’étais même pas au fait de tout ce qu’il avait publié. Je me suis retrouvé à Friar Park où j’étais déjà allé lors de l’enregistre­ment de “All Things Must Pass”, et ça m’a fait vraiment drôle car c’était juste après l’attaque qu’Olivia et lui ont subie : ce type qui s’était introduit chez eux durant leur sommeil ! Et nous étions assis dans la pièce où ils se sont fait agresser... J’ai trouvé ça surréalist­e ! Cette proximité avec George m’a réellement touché. Parfois, on se baladait dans Friar Park, il avait son ukulélé et il se mettait à chanter “This Song”, rien que pour moi. Dans ces moments-là, je regardais le ciel en me disant : “Pourquoi est-ce à moi que ça arrive ? Il y a des gens qui paieraient une fortune pour être à ma place.”

R&F : Vous a-t-il mis dans la confidence au sujet de sa maladie ?

Ken Scott : Effectivem­ent. Il m’a expliqué qu’il souhaitait mettre de l’ordre dans ses enregistre­ments pour sa famille. Il savait que ses jours étaient comptés. Il ignorait si et avec quelle virulence le cancer reviendrai­t, mais il se sentait vieillir, comme nous tous, et ne voulait pas être pris de court. Il connaissai­t un nombre considérab­le d’ingénieurs du son et il a fallu qu’il me choisisse moi... Je n’en suis jamais revenu.

R&F : Ken, votre top 3 des meilleures chansons de George Harrison, quel est-il ?

Ken Scott : Mmm, disons “Something”, “While My Guitar Gently Weeps” et “I Live For You”, un des inédits des séances de “All Things Must Pass” que nous avons ajoutés à la réédition 2001. ★

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