HORSE
Dans cette zone trouble du postpsychédélisme naviguent quantité de groupes passionnants. Parmi ceux-ci, Horse fut l’un des premiers à embrasser des thèmes occultes avec, à la clé, une superbe pochette. Cerise sur le gâteau, il a été récemment réédité par l’admirable label Rise Above, mené par Lee Dorian, leader des puissants Cathedral. Tout commence dans le Surrey, terre fertile en musiciens de talent puisque Eric Clapton, Jimmy Page et Jeff Beck en sont originaires. Rod Roach, à seulement onze printemps, s’est déjà fait un nom dans son collège. Normal, depuis deux ans, il forge sa corne sur les cordes de la guitare que lui a offerte son paternel. Le garnement dévale très vite le répertoire des Shadows, des Ventures mais aussi de Gene Vincent. Coïncidence heureuse, Gene est également l’idole d’un dénommé Adrian Hawkins, apprenti chanteur. Les deux garçons se lient et improvisent sans tarder dans la cave d’un camarade, mais Rod passe bientôt à l’échelon supérieur en rejoignant des orchestres professionnels comme The Echolettes ou The Carl King Projection. Ce dernier sera même l’un des derniers à faire trembler les murs du mythique Cavern Club de Liverpool... Pour Adrian, c’est la galère : il joue des reprises lors de fêtes étudiantes et réceptions de mariage. Pire, il ne parvient pas à tester ses compositions sur scène, du fait de partenaires réfractaires. C’est finalement en 1968 qu’il retrouve Rod, lequel officie alors comme musicien de séances. Les deux chevelus s’attellent à peaufiner les chansons d’Adrian. L’étape suivante est fort logiquement de chercher un bassiste et un batteur, qui seront respectivement Colin Stranding et Ric Parnell, fils de Jack Parnell, célèbre compositeur de génériques de séries et shows télé (Love Story, Benny Hill, The Muppet Show...). Le désormais quartette se rode dans les clubs interlopes de Londres et se démarque en cette époque British Blues Boom. Adrian est en effet plutôt câblé sur ces jeunes loups qui secouent la Côte Ouest des Etats-Unis, particulièrement Grateful Dead et Love. Il déclame des textes sombres, satiriques, parfois chargés politiquement — c’est l’époque de la guerre du Viêt-Nam — qui se combinent parfaitement au son lourd et virevoltant que Roach façonne à l’aide de son mur d’amplis Marshall. Horse est né et répète inlassablement dans une église. Avec l’aide précieuse d’un ami expert ès lumières stroboscopiques, nos rockers conçoivent un light-show spectaculaire. Grâce à cela, l’ambiance des concerts de Horse est décrite par de chanceux témoins comme “satanique”, Adrian inventant même spontanément le signe dit des “cornes”. Durant l’année 1969, les premières parties de choix s’enchaînent : Deep Purple, Joe Cocker, Hawkwind, David Bowie, Family, Slade... Tous les labels missionnent des scouts et très vite, Horse valide un contrat avec RCA, qui pose 5000 livres sterling en guise d’avance pour un enregistrement aux célèbres studios Olympic de Barnes. Nous sommes déjà en octobre et RCA pousse pour que l’album soit mis en boîte pour Noël. Léger problème, Adrian est malade, ce qui affecte la qualité de ses parties vocales. Bon an mal an, un peu d’herbe et de speed permettent d’abattre le boulot. Pour la pochette, Roger Wootton, designer (et leader) de Comus, se surpasse. Et puis, histoire habituelle, RCA retarde inexplicablement la sortie du disque... Pendant ce laps de temps, le fantasque Ric Parnell s’enfonce dans la dope et prend la tangente, direction l’Italie. Il est alors remplacé par Steve Holley. Ce premier opus, paru finalement en juin 1970, reste un classique souterrain de cette époque charnière entre psychédélisme et hard rock. Road Roach y étincèle particulièrement, envahissant les deux canaux de ses guitares frémissantes, perçantes, dopées par divers effets (wah-wah, distorsion), comme par exemple sur la virtuose “Gypsy Queen” ou “Lost Control”. Derrière lui, Parnell martèle avec souplesse et redoublements, dans un style très Mitch Mitchell. La voix d’Adrian est mixée plutôt en retrait et rappelle parfois Jack Bruce, même si une certaine hargne opératique se fait parfois entendre, comme sur l’emblématique “The Sacrifice”, chevauchée fondatrice du rock occulte. Par la suite, on distingue la ballade aux lumineux arpèges “And I Have Loved You”, la cavalcade “Freedom Rider”, la mélodieuse “The Journey” ou le crescendo majestueux de “Step Out Of Line”. Bien que prometteuse, cette galette ne sera absolument pas soutenue par RCA, qui refuse de dépenser le moindre penny supplémentaire pour la promotion. Finalement, Horse se disloque suite à une ultime et calamiteuse réunion avec ses managers. Rod et Adrian reviendront avec Saturnalia en 1973 pour un unique effort au son plus progressif, avec le renfort d’une chanteuse (Aletta Lohmeyer, ex-“Hair”) et produit par Keith Relf. Ric Parnell cognera ses fûts pour Atomic Rooster, puis on le retrouvera plus tard dans le film “Spinal Tap”, dans le rôle du batteur qui périt suite à une étrange combustion spontanée.