DAVID AXELROD 1936-2017
Compositeur funk, producteur rock, arrangeur jazz, l’Américain avait plusieurs cordes à son arc. Elles l’ont lâché à 85 ans.
1967. Suite à leur hit “I Had Too Much To Dream (Last Night)”, The Electric Prunes se voient offrir par leur producteur un incroyable cadeau : c’est David Axelrod lui-même qui va composer leur nouvel album. L’Ennio Morricone du rhythm and blues, le Phil Spector du jazz ! L’homme qui, depuis 1957, a produit Jimmy Witherspoon, Cannonball Adderley, Lou Rawls, Bobby Rydell, The Dillards, Don Grady, Stan Kenton, David McCallum, David Rose, Billy Preston, Letta Mbulu...
Les Electric Prunes jouent garage-rock, mais restent ouverts à toute expérience psyché. Ce qui ne les a pourtant pas préparés aux partitions que leur apporte Axelrod. Ils ne savent pas les lire, sauf le claviériste, qui leur explique : il va falloir virer complètement freak-out, il y aura de la musique classique, des arrangements grégoriens, et il faudra chanter dans une autre langue. Car Axelrod leur a composé une messe en latin. Le chanteur prend les choses du bon côté : sa mère voyait jusqu’à présent d’un mauvais oeil leur garage-rock, avec une messe elle sera enfin fière. Tout le monde se met au boulot. Mais rapidement, Axelrod s’arrache les cheveux : le groupe est trop limité. Alors le compositeur-arrangeur boucle cette “Mass In F Minor” avec des musiciens plus techniques — sortie en janvier 1968. Guitares fuzz, orchestrations classiques, cornes et cordes acid-rock, le résultat s’avère plus ambitieux que foireux. Un concert inaugure cet opéra-rock. La performance est un désastre. Des fans garage insultent le groupe. Les Electric Prunes se séparent. Sauf que leur nom appartient à leur producteur, qui commande un autre Electric Prunes à David Axelrod. Le nouveau concept est vite trouvé : “Release Of An Oath” se basera sur Kol Nidre, liturgie juive, sans aucun des membres originels. Le disque a un défaut : il préfigure l’horrible prog-rock symphonique qui polluera les seventies. Et une qualité : grâce au génie d’Axelrod, il évite les écueils du genre (le pompier, déclamatoire). Il sort en novembre 1968, deux mois après le premier album solo de David Axelrod, “Songs Of Innocence”, onze mois avant le deuxième, “Songs Of Experience”, des albums-hommages à William Blake qui approfondissent le même mantra — rock, jazz, classique et funk forment un même maelström. Parallèlement, “Kyrie Eleison”, sur “Mass In F Minor”, a l’honneur d’être coopté sur la BO de “Easy Rider”. En 1970, Axelrod quitte son poste à Capitol Records, continue de produire d’autres artistes (Funk Inc, Betty Everett, Hampton Hawes, Sod, etc), se consacrant essentiellement à ses enregistrements solo — sept albums en dix ans. Un disque-concept sur l’écologie, une réinterprétation rock du “Messie” de Haendel, Axelrod devient une sorte de Jack Nitzsche pompeux, puis un Quincy Jones zarbi, puis un Dennis Coffey cinglé, ses disques s’apparentant de plus en plus à des BO de Blaxploitation intello — le meilleur : “Seriously Deep”, 1975. Il disparaît complètement des radars dans les années 80, seul son dealer ayant de ses nouvelles — quotidiennement. Ses disques végètent dans les bacs à soldes, et c’est comme ça qu’il sera réhabilité, puisque la terre entière se met à sampler ses vieux vinyles, de Dr Dre à Lil Wayne en passant par De La Soul, DJ Shadow, Lauryn Hill, Ghostface Killah, Cypress Hill, etc. Ce qui lui permet de réenregistrer encore deux albums, de voir les vrais Electric Prunes se reformer, avant de s’éteindre le 5 février dernier, à 85 ans.