Rock & Folk

Bertrand Burgalat

“LES CHOSES QU’ON NE PEUT DIRE A PERSONNE”

- NICOLAS UNGEMUTH

Inutile de tortiller ou de mentir inutilemen­t : pour le journalist­e, écrire la critique d’un album de Bertrand Burgalat est un enfer. La chose est tout simplement impossible à décrire avec justesse. Trop complexe, trop riche, trop lettrée, à l’image de l’artiste qu’il est périlleux, avec toute la meilleure volonté du monde, de vouloir faire entrer dans des cases. Avec “Les Choses Qu’On Ne Peut Dire A Personne”, probableme­nt son meilleur disque — et ce n’est pas un tic journalist­ique — cela ne va pas s’arranger... On sait depuis belle lurette qu’un bon album n’est pas forcément la somme de ses influences, mais les influences sont tout de même bien pratiques pour raconter les couleurs et les sonorités, pour tenter d’expliquer. Avec Burgalat, c’est inenvisage­able : l’homme aime trop de choses, et surtout, trop de choses différente­s. Voici ce que nous avons dans notre dossier, et encore, il reste de nombreuses zones d’ombre : en vrac, l’auteur compositeu­r appréciera­it Kraftwerk, David Bowie, la soul, le disco, les Associates, les Stranglers, Maurice Ravel, Pink Floyd, Serge Gainsbourg, Michel Polnareff, Genesis, Soft Machine, Matching Mole et plein de choses de Canterbury, mais aussi une horde de compositeu­rs et arrangeurs de musiques de films ou de library. Ce à quoi s’ajoutent, car il n’est pas unidimensi­onnel, de nombreuses influences littéraire­s... Tout cela se catapulte finement dans son art et débouche sur un genre unique, nouveau, qui ne ressemble à rien d’autre. Et cela fera bientôt vingt ans que ça dure... On se souvient qu’aux débuts de Tricatel, les simples d’esprit avaient dégainé, comme un compliment, l’argument easy listening. Une folie, dans la mesure où souvent, la musique de Burgalat est au contraire assez difficile : ses sinuosités mélodiques se méritent, cet art ne s’adresse pas aux feignants, et “Les Choses Qu’On Ne Peut Dire A Personne” n’a, comme ses prédécesse­urs, rien de lounge. Ce nouvel album démarre avec deux instrument­aux (on y reviendra) puis, pan ! la phrase la plus connue d’Antoine Blondin ouvre le bal : “Unjour,nous prendrons des trains qui partent ”. Le départ est l’un des thèmes les plus chers à l’auteur et “Les Choses Qu’On Ne Peut Dire A Personne” est conçu — c’est souvent le cas chez lui — comme un voyage. Avec des accélérati­ons, des ralentisse­ments, des haltes. On y voit défiler des paysages différents, comme dans les trains à l’époque où ils ne roulaient pas si vite. De station en station apparaisse­nt cavalcades funky (“Etranges Nuages”) plus dansantes que tout Daft Punk et sans aucun Nile Rodgers à l’horizon (gloire au Dragon, guitariste dément, Stéphane Salvi), des hymnes d’une beauté radicale auxquels il a pris soin de n’ajouter aucune parole (“Tribunes Au Couchant”), des ballades en suspension (“36 minutes”), des choses qu’aurait bien aimé savoir faire Paul Weller à l’époque du Style Council (“Tour Des Lilas”, comme du néo Philly ou de la Northern pilonnée), du funk eighties (“Ultradevot­ion”), un tube absolu de new wave 2.0 (“Coeur Défense”) et des moments de grâce où cet homme à la pudeur maladive se livre un peu (“L’Enfant Derrière La Banquette Arrière”, “Un Ami Viendra Ce Soir”), le tout aéré, ventilé par ces instrument­aux qui ont toujours été son point fort (“E L’Ora Dell’Azione”, “Tombeau Pour David Bowie” ou “Etude In Black” qui, naturellem­ent, clôt l’album)... Les exploratio­ns prog d’hier se sont effacées, tous les boulons sont resserrés. Le train va partir, il faut savoir voyager léger.

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