Sur le tube de Marvin Gaye Roland TR-808
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Ces drôles d’années 1980 où l’on croyait tout recréer avec des machines auront tout de même laissé à la postérité quelques réussites, comme cette boîte à rythmes mythique créée par un visionnaire surdoué disparu le 1er avril dernier : Ikutaro Kakehashi.
En 1954, il ouvre Kakehashi Musen, une boutique d’appareils électriques et de réparations, à Osaka. Les affaires vont bien et, en 1960, il change le nom de sa société en Ace Electronic Industries, qui compte alors une vingtaine d’employés. Passionné d’électronique et de musique, il va bientôt fabriquer ses propres prototypes de claviers. En 1963, Kakehashi commence à s’intéresser aux instruments électromécaniques de percussions, comme le Sideman de Wurlitzer. L’année suivante il met au point le R1 RhythmAce, qui n’obtient pas beaucoup de succès. Après avoir mis au point une diode matrix qui détermine la place de chaque instrument dans un pattern (modèle ou gabarit), une version mise à jour, baptisée le FR1 RhythmAce, est lancée en 1967 et obtient un excellent accueil. Le fabricant américain Hammond Organ le choisit pour l’installer dans sa dernière ligne d’instruments. Kakehashi se rapproche d’Hammond International — le distributeur pour le monde entier des orgues Hammond — et Ace Electronic devient leur importateur et distributeur exclusif au Japon. En 1968, Ace et Hammond s’associent pour créer Hammond International Japan et, l’année suivante, Kakehashi rachète une société de fabrication de pianos et d’orgues basé à Hamamatsu (à environ 200 km à l’ouest d’Osaka) qui devient un soustraitant de Hammond et le fournisseur des petits orgues électroniques bon marché, inspirés des comboorgans Vox Continental et autres Farfisa FAST, commercialisés sous la marque Ace Tone. Le haut de gamme d’Ace Tone est occupé par l’orgue GT-7, dont le futur Hammond X5 va fortement s’inspirer. Mais la plupart des investissements de Kakehashi ont été effectués en ponctionnant dans ses parts de Ace Electronic et il est depuis quelques années actionnaire minoritaire de sa propre société. Tout va pour le mieux tant que son actionnaire principal est Sakata Shokai, dont le patron Kazuo Sakata est aussi un passionné de musique, mais en 1971 un groupe industriel rachète cette société et donc Ace Electronic. Les cadres de ce nouvel actionnaire n’ont aucune affinité avec l’industrie musicale, et Ikutaro Kakehashi, trouvant la situation intolérable, quitte Ace et Hammond International en mars 1972. À peine un mois plus tard, le 18 avril 1972, Kakehashi fonde la société Roland. Sans produits ni clients, il va utiliser son excellente réputation pour persuader les fournisseurs de composants de le facturer à 90 jours et se lancer dans une course incroyable consistant à concevoir, fabriquer et exporter une nouvelle boîte à rythmes avant le terme de l’échéance... Pendant que son équipe commence à travailler, Kakehashi part au Canada, aux États-Unis et en Europe, faire le tour des anciens distributeurs d’Ace Electronic pour les convaincre d’investir dans un produit qui n’existe que sur le papier. Il revient avec assez de précommandes pour lancer la fabrication d’une boîte à rythmes baptisée TR-77, dont le boîtier en placage de bois ainsi que le lutrin amovible pour les partitions ne laisse guère de doute sur son utilisation... Hammond adopte l’appareil et le renomme même Hammond-RhythmUnit, mettant Roland sur les rails du succès. Au cours des années 1970, la société produit des pédales d’effets pour guitares, des synthétiseurs, des chambres d’écho, des amplis, etc. En 1980, Roland présente la TR-808 RhythmComposer, une des premières boîtes à rythmes programmables, conçue au départ comme un outil aidant à la création de démos et de maquettes. À la différence de la Linn-M1 (cf. R&F n° 545) apparue quelques mois plus tôt — qui utilise des sons de batteries acoustiques samplés — les sonorités électroniques de la TR-808 n’emballent pas vraiment la plupart des musiciens. Toutefois, la capacité de cet appareil à produire des sons à une fréquence extrêmement basse, avec une grosse caisse monstrueuse va aider à créer la légende. Les premiers à l’utiliser sont Yellow Magic Orchestra. Très polyvalent, cet instrument va être adopté par des styles de musique qui naissent en même temps que lui : le hip-hop et, plus tard la techno. Mais, la TR-808 — fabriquée jusqu’en 1984 — se retrouve aussi en 1982 sur le tube de Marvin Gaye, “SexualHealing”, sur les albums de The Cure, Cocteau Twins et, bien sûr, Run DMC et Beastie Boys produits par Rick Rubin ou, plus récemment, Daft Punk. Comme pas mal d’anciens appareils analogiques, on a tenté de numériser le TR-808 mais sans vraiment réussir à retrouver le punch de l’original, qui est aujourd’hui un objet très convoité.