Rock & Folk

TIMBER TIMBRE

Pour son quatrième album, le groupe canadien s’est plié à un drôle d’exercice : utiliser des sons qui ne lui plaisent pas a priori. Les expériment­ateurs expliquent.

- THOMAS E FLORIN Album “Sincerly, Future Pollution” (City Slang)

L’ascension vers le soleil prit à Taylor Kirk et ses Timber Timbre trois albums : l’homonyme de 2009, “Creep On Creepin’ On” de 2011, puis le sommet, “Hot Dreams” en 2014. Ce voyage imaginaire qui balayait, depuis les montagnes Rocheuses, les profondeur­s vertes de Laurel Canyon, avait pour seul équipage une musique de western lente et atmosphéri­que, d’une beauté un peu trop clinquante pour sembler faite de boue et de bois. Mais l’année 2016 plongea ces Canadiens dans le noir et depuis, les grands espaces ont laissé place à un drame confiné qui se joue quotidienn­ement sur nos écrans.

Mise en danger

Le contraste entre “Hot Dreams” et “Sincerly, Future Pollution” se campe dès la pochette : sur le premier, le blanc du ciel primait et seule la végétation de Californie venait lui donner du relief. Sur le nouveau, il n’y a que le noir d’une

skyline où seules quelques fenêtres offrent un peu de clarté. Pour la musique, le contraste est tout aussi saisissant. Les longues reverb et guitares twang jouées par ces obsédés des premiers Talk Talk se sont volatilisé­es au profit de la froideur des synthétise­urs et la répétition courte des échos. “Ainsi va le monde, comme disait Albert Vidalie cité par Antoine Blondin, une moitié renverse l’autre” et Timber Timbre compose avec, se mettant subitement en danger alors qu’il venait d’accéder à la reconnaiss­ance. Le 20 février dernier, pendant qu’une série d’hommes se présentent à l’entrée de l’interlope Sauna Mikonos, Taylor Kirk trône deux étages plus haut afin de s’expliquer, timidement mais par un vocabulair­e riche, sur le virement de cap radical qu’il a opéré avec son groupe : “Avec ‘Hot Dreams’, j’ai accompli tout ce que je voulais dans le cercle limité de ce que je considère être de bon goût en termes de sons et de produc-tion. Si ‘Hot Dreams’ est l’exemple de ça,

‘Future Pollution’ représente ce que je n’ai jamais voulu enregistre­r et tous les sons pour lesquels je

n’ai aucune affinité, désir, ni curiosité.” Voici peut-être un événement sans précédent dans l’histoire du rock’n’roll : pour la première fois, un artiste est allé de plein gré contre sa nature. Si l’accompliss­ement d’un idéal musical peut expliquer le besoin de mise en danger, ce nouveau départ puise ses racines dans la série d’événements qui ont marqué les deux dernières années : “On a l’impression qu’une tragédie chasse l’autre. J’ai toujours apprécié le fait d’être apolitique mais les évènements et le climat ont colorisé mon humeur. Je commence à me dire que j’ai peut-être une responsabi­lité et que si on ne parle pas de cette régression, nous en sommes complices.”

Portamento synthétiqu­e

Taylor Kirk vivait dans un fantasme. Mais le monde y a fait irruption. Si le terrain de son “Hot

Dreams” semblait être l’Ouest américain, quel serait celui de son nouvel album ? “Je ne sais pas s’il y a un endroit réel. Je pense que c’est plus un environnem­ent urbain, dense, crasseux, dystopique... Peut-être dans le futur.” La ville comme elle est décrite dans la chanson “Western Question” où l’occident se substitue au grand Ouest, où les hommes ne sont plus que des flux et les nations ne sont plus. Une chanson où, comme dans les bas-fonds de “Blade Runner”, une Latin

Drum Box côtoie une guitare claquant quelques chinoiseri­es. “Je voulais que l’album soit moins référencé que les précédents mais, quelque part, il y en a encore plus : du funk, de la musique exotique... Ce n’était pas conscient mais, vu le propos, c’est assez censé que cet album soit plus cosmopolit­e.” Etrangemen­t, ce monde crasseux fut créé dans l’un des seuls studios où les pièces sont baignées de lumière du jour : celui de La

Frette, aux portes de Paris. “C’est vrai, mais on a commencé l’enregistre­ment dans la crypte de la maison. Ce n’était pas fait exprès, c’est seulement que nous voulions ce type de prise, avec les micros proches des instrument­s, qu’on ne sente pas d’espace ou la salle. De temps en temps, nous mettions un musicien à l’étage, qui jouait avec nous en entendant dans son casque le son venant du soussol.” Ainsi, les Timber Timbre viennent de livrer un album où l’on entend guitare shred et portamento synthétiqu­e, soit tout ce que l’on n’aurait jamais imaginé sur l’un de leurs disques. Alors, avec le recul, quel regard portent-ils sur cet album défiant le bon goût ? “C’est la première fois que je n’entendais pas à l’avance les arrangemen­ts et la couleur qu’on allait apposer aux chansons. Les choses n’étaient pas évidentes : elles étaient laborieuse­s. Parfois, je me disais : C’est peut-être prétentieu­x, ce ne devrait pas être aussi difficile. J’en suis fier mais ce fut une véritable lutte.” Et dire que celle-ci ne fait que commencer.

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