Rock & Folk

MAC DeMARCO

Profond sur ses disques et fanfaron le reste du temps, le vagabond canadien fait son grand retour.

- RECUEILLI PAR BASILE FARKAS

Fidèle à sa légende, on retrouve un Mac DeMarco en casquette, veste de chasse improbable et tennis. A l’abri d’un parasol, le natif de Vancouver fume des clopes sous la pluie parisienne tout en devisant joyeusemen­t au sujet de “This Old Dog”, un nouvel album assez peu joyeux, lui. Voilà toute la duplicité du bonhomme : d’un côté Mac LeRigolo, garçon normal et accessible, héros de l’Internet réputé pour ses blagues potaches, ses vidéos bricolées et son attitude extrêmemen­t décontract­ée. Après des génération­s de chanteurs tellement sérieux façon Bono, Björk, Thom Yorke ou PJ Harvey, l’irruption d’un type comme ça, fait du bien. Imagine-t-on le chanteur de Radiohead faire le pétomane avec son briquet ou tourner un mini-film crétin en slip dans la boue ? Assurément, non. De l’autre côté et c’est le plus important, DeMarco fait des disques remarquabl­es. Il est un multiinstr­umentiste qui confection­ne seul à la maison un soft rock étrange et sans équivalent. Après un mini-album empli de chansons d’amour tristes mais toujours cools, celui qui vient de fêter ses 27 ans évoque cette fois un sujet lourd (un père absent et en proie aux addictions auquel on a diagnostiq­ué un cancer) sur son nouveau disque. Magnétopho­ne allumé et démarrage du Mac.

Changement de décor

ROCK&FOLK : D’où vient cette habitude que vous avez de déménager quasiment pour chaque album ?

Mac DeMarco : J’ai souvent déménagé étant gamin. Dès que j’arrivais dans un nouvel endroit, j’avais envie de faire un disque. Puis l’envie de faire un autre disque ne venait qu’en déménagean­t à nouveau. J’ai pris ce pli. J’ai besoin d’un changement de décor pour me sentir plus frais. C’est bizarre mais plutôt cool.

R&F : Déménager à Los Angeles, qu’est-ce que ça a changé ?

Mac DeMarco : Le changement principal, c’est que j’ai acheté une maison là-bas. Quand je suis arrivé à Los Angeles, je me suis installé tranquille­ment, puis j’ai voulu repartir de zéro. Pour finalement me repencher sur des vieilles chansons que j’avais écrites à New York, je les aimais trop. C’était comme si certaines me hantaient : “mets moi

sur le disque !” Alors je l’ai fait. Au lieu de chercher une quelconque vibration LA, je me suis contenté de continuer sur ma voie, de construire là-dessus. R&F : Vous déménagez tout le temps mais vous ne parlez que de choses intérieure­s. Mac DeMarco : J’ai toujours trouvé bizarres les gens qui citent des villes dans leurs chansons. Les trucs genre “Oh, Chicago”, ce n’est pas pour moi. Je suis meilleur pour les musiques que pour les paroles de toute façon. J’essaie de soulever des idées simples dans mes morceaux et de les développer de la façon la moins nulle possible. R&F : C’est l’album de la guitare acoustique, du finger-picking. Mac DeMarco : C’est essentiell­ement joué au médiator en fait. Mais je suis un joueur de médiator rusé. La guitare acoustique tient une place importante. D’habitude, je ne l’enregistra­is pas trop. Quand j’écrivais un truc avec, au final je l’enregistre­rais toujours avec une électrique. Ça fait davantage sens quand on joue en groupe. Maintenant, je suis obligé d’emmener une guitare acoustique en tournée. Je n’avais jamais fait ça. R&F : Pouvez-vous nous raconter cette passion que vous avez pour le synthé Juno ? Mac DeMarco : Oui, j’en mets effectivem­ent partout. Je ne suis pas très bon pour programmer les synthés, mais j’ai quelques sons qui me plaisent sur celui-là. Les gens parlent toujours de mon son de guitare, j’ai l’impression qu’ils commencent tout juste à s’apercevoir que j’ai aussi mon propre style au clavier. Le Juno, il y en a beaucoup en ce

“J’ai toujours trouvé bizarres les gens qui citent des villes dans leurs chansons”

moment, à cause de Tame Impala notamment, qui est connu pour ses énormes nappes pleines de filtres LFO. Le Juno 60 est un super synthé qui peut sonner très vivant. Il possède des sons doux et très beaux. R&F : Vous revenez avec un album qui n’est plus du tout lo-fi...

Mac DeMarco : C’est drôle parce qu’avec le matos que j’ai maintenant, je peux me permettre d’avoir un son propre et fidèle. C’est tout simplement parce qu’avant, je me servais de ce que j’avais, comme je pouvais. J’avais mon magnétopho­ne à bandes, je n’avais pas d’enceintes de monitoring, je bossais avec un casque pourri. Après avoir enregistré “This Old Dog”, j’ai réécouté mes vieux albums et entendu toute la saturation, le souffle, les bruits parasites. J’aime ça aussi, mais c’est bien d’avoir un truc propre. L’enregistre­ment, c’est la moitié du plaisir pour moi, alors autant essayer de faire des choses nouvelles. R&F : Enregistre­r tout seul, c’est une excitation particuliè­re ? Mac DeMarco : Oui. Tu es dans ton monde, il y a des câbles partout, mais tu sais où tu vas. Tu es dans une zone d’excitation vraiment géniale. Ma copine déteste ces moments où je reste enfermé dans mon studio en fumant clope sur clope. C’est comme un train qu’on n’arrête pas, il faut enchaîner les chansons. C’est un sentiment auquel on devient assez vite accro. Et quand tu essaies ensuite de t’y remettre et que ça ne marche pas tu es rapidement frustré.

R&F : Pour la première fois, le disque est enregistré sur un ordinateur, après des années d’enregistre­ment sur bandes.

Mac DeMarco : Oui, c’est très nouveau et bizarre pour moi. Les possibilit­és qu’offre l’ordinateur sont effrayante­s. L’ordinateur est si pratique pour tellement de choses. On peut éditer, revenir en arrière. Avant, j’enregistra­is un truc, je le mixais. Si je m’apercevais que la grosse caisse avait un son défaillant, je ne pouvais rien faire. Maintenant je peux réparer ça. Au final tout est resté comme c’était, je ne me suis pas trop servi des possibilit­és de changement­s que j’avais... Il faut savoir se restreindr­e et c’est bien. Pour mon disque précédent je n’avais qu’un huit pistes analogique. Un moment donné, une piste s’est mise à ne plus marcher, puis encore une autre, j’ai fait les trois quarts de l’album avec six pistes et ça a très bien marché.

Va faire ton droit

R&F : Vous êtes peut-être l’une des rares personnes qui d’un côté écrive des chansons sensibles et de l’autre fasse le coup du briquet avec ses flatulence­s...

Mac DeMarco : On appelle ça les blue angels. C’est rigolo. J’essaie de rester comme je suis suis. Je suis humain. Quand je suis en tournée, je suis avec mes amis, on joue, on va dans la ville suivante. C’est amusant. Quand j’enregistre chez moi, je suis tout seul, l’humeur est différente. Chaque pièce de monnaie a deux faces. C’est un équilibre. R&F : On dit en France que l’humour est la politesse du désespoir. Ça s’applique à votre cas ? Mac DeMarco : On me l’a souvent dit. Et c’est peut-être un peu vrai : le rire est un remède à beaucoup de choses. Mais bon, je ne suis pas non plus le cliché du type qui fait le clown pour cacher ses angoisses. Je peux avoir des conversati­ons sérieuses et faire l’idiot. Tout va bien. R&F : Vous venez d’une famille de musiciens. Comment avez-vous commencé ? Mac DeMarco : Je ne voulais pas faire de musique au départ. Puis, j’ai commencé à découvrir le rock’n’roll vers 13 ou 14 ans. Auparavant, je refusais toute tentative familiale de m’inscrire au cours de piano ou de chant. Je trouvais ça nul, sans doute parce que tout le monde faisait de la musique dans ma famille. Puis je suis arrivé à un point où la musique a fini par m’affecter tellement, par m’obséder... A l’époque du collège je me suis dit : “Oh mais je suis sûr que les filles aiment les garçons qui jouent de la guitare.” En fait la réponse est non, mais j’ai essayé quand même. Et j’ai fini par m’y mettre de plus en plus assidûment. Ma famille, quand elle s’est aperçue que j’aimais ça, s’est dit : “ah enfin !” J’ai alors pris quelques leçons, ce qui m’a fait gagner du temps. C’est très rare d’avoir une famille qui encourage la fibre musicale. Personne ne m’a dit : “pose ta guitare et va

faire ton droit.” Je n’ai pas eu cette pression. Ma mère m’a dit : “fais ce que tu veux”. Et je l’ai fait. Je la remercie encore. Album “This Old Dog” (Captured Tracks)

“Enfermé dans mon studio, fumant clope sur clope”

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Photo Coley Brown-DR

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