Rock & Folk

BLACK LIPS

Les sales gosses d’Atlanta ont enregistré leur huitième album avec la famille Lennon. Cole Alexander et Jared Swilley expliquent la démarche.

- RECUEILLI PAR ERIC DELSART

Attablés dans le hall majestueux de la Gaîté Lyrique, Cole Alexander (voix éraillée, coupe rasée à nuque longue façon mullet de l’espace) et Jared Swilley (chemise à carreaux, cravate texane, moustache gauloise) semblent exténués par le jet-lag que leur impose leur tournée promotionn­elle. Malgré leur mine fatiguée, le temps ne semble pas avoir de prise sur ces bad kids qui ont réussi à imposer leur rock garage auprès du grand public.

“Nous sommes de grands fans de Yoko. Elle crie, elle hurle”

“Sean a insisté pour qu’on reprenne un morceau des Beatles”

Aujourd’hui les Black Lips sont à Paris pour présenter au public quelques chansons de leur nouvel album, avec un personnel renouvelé. Une vraie révolution pour ce groupe dont le line-up était resté stable depuis près de 15 ans. Ian Saint Pé, le guitariste aux dents d’or, a quitté le navire il y a trois ans déjà, ce qui n’avait eu que peu d’impact sur leurs prestation­s scéniques, le groupe retrouvant vite ses repères avec Jack Hines, un ancien compagnon de route (à l’époque de “We Did Not Know The Forest Spirit Made The Flowers Grow”, entre 2002 et 2004). La grande nouveauté pour ce disque

c’est que le batteur Joe Bradley a lui aussi quitté le groupe (“Joe n’avait plus vraiment envie de tourner. Il a eu envie de changer de vie. Nous

sommes toujours bons amis” assure Jared Swilley), ce qui n’a rien d’anodin étant donné sa contributi­on au groupe en tant que compositeu­r et chanteur (on lui doit notamment “Go And Get It”). On comprend aisément que le train de vie infernal — 100 à 200 dates par an dans des contrées lointaines telles que l’Afrique du Sud ou l’Egypte, des nuits passées dans des chambres d’hôtel sans âme ou chez l’habitant — imposé par le groupe depuis tant d’années ait fini par lasser celui qui était avec Cole et Jared un des seuls membres originaux de la joyeuse troupe. Et puis il y a l’arrivée de la saxophonis­te Zumi Rosow, venue des K-Holes, l’ancien groupe de Jack Hines. “On avait beaucoup de chansons avec du saxo sur les derniers albums, explique Jared. On recrutait régulièrem­ent des saxophonis­tes pour jouer sur scène avec nous. Comme Zumi joue du saxo, c’est plus simple d’avoir toujours le même musicien”. Loin d’être un extra, Rosow est un membre officiel des Black Lips, apparaissa­nt sur la pochette et les photos promo du groupe. Elle est surtout la compagne de Cole Alexander, ce qui fait tiquer certains fans : de Fleetwood Mac aux Beatles, l’histoire du rock’n’roll regorge d’exemples qui démontrent que mélanger amour et business finit souvent mal... Pour l’heure, Jared n’y voit que du positif : “Je trouve que c’est cool d’avoir une fille dans le groupe, ça change la dynamique d’avoir une touche féminine. Ça

coupe court à la testostéro­ne”. On ne peut s’empêcher toutefois de voir ici un étrange clin d’oeil entre ce choix et le fait que Yoko Ono — artiste expériment­ale sur qui pèse l’opprobre depuis presque un demi-siècle car jugée responsabl­e par des millions d’incultes de la dissolutio­n des Beatles — apparaît sur l’album. On s’interroge surtout si ce renouveau a affecté la dynamique du groupe, notamment en termes d’écriture de chanson. Jared trouve que non : “Honnêtemen­t, je n’ai pas remarqué de grand changement parce que Cole et moi écrivons la plupart des chansons. Et maintenant que Jack est de nouveau avec nous, il en écrit beaucoup aussi”. C’est peu de le dire : Jack Hines est à l’origine d’au moins trois titres de l’album, ce qui n’est pas forcément apparent à l’écoute mais surprend quand on voit le groupe sur scène.

Intégriste­s du lo-fi

Sur “Satan’s Graffitti Or God’s Art?”, les Black Lips franchisse­nt un pas de plus vers la respectabi­lité. N’oublions pas que l’histoire de ces éternels outsiders s’apparente à un who’s who de l’undergroun­d américain. A chaque moment clef de sa carrière, le groupe a côtoyé ceux qui font le rock garage des deux côtés de l’Atlantique. Jusqu’à leur signature sur Vice qui leur a ouvert les portes du mainstream, leur curriculum présente toutes les bonnes références : Munster, Slovenly, Norton, In The Red... et bien sûr Bomp! du légendaire activiste Greg Shaw. “Il était un de mes

héros” se souvient Jared. “On lui a envoyé des cassettes et une copie de notre premier single en 45 tours, il nous a répondu de ne pas lui envoyer de courrier non sollicité”

s’amuse Cole. Swilley conclut la belle histoire : “Il a fini par faire tourner la cassette chez lui, ce qu’il ne faisait jamais d’habitude, et son fils a commencé à danser. C’est la raison pour laquelle il a décidé de nous appeler. Un grand jour pour moi, un des plus heureux de ma vie.” Depuis, les Black Lips ont fait du chemin, irritant les intégriste­s du garage lofi en s’acoquinant avec Mark Ronson (le pygmalion d’Amy Winehouse) puis en collaboran­t avec Patrick Carney des Black Keys, et désormais Sean Lennon. “On le connaît depuis quelques années, s’excuse presque Jared. On l’a rencontré par le biais de Mark Ronson, au moment de l’enregistre­ment d’ “Arabia Mountain”. Il avait fait venir Sean pour qu’il joue du theremin. Puis Cole est resté dormir chez lui quand il a enregistré avec Fat White Family (le morceau “Breaking Into Aldi”) et Sean nous a invité à venir dans son studio. Ça s’est fait de

façon très naturelle.” Les deux comparses ont apprécié la solitude du lieu, isolé dans la campagne au nord de l’Etat de New York. Jared :

“On s’est déconnecté du monde. On n’a pas quitté le studio ou la maison durant des jours. C’est cool parce qu’on était à 100 % concentrés, on ne sortait pas, on n’était pas distrait par des sorties ou des soirées.” Cole poursuit : “Sean nous a beaucoup laissé faire, mais il apportait ses idées aussi. C’était un peu comme avoir un membre en plus dans le groupe. Un bon mélange : ni trop autoritair­e, ni négligent”. “En plus, poursuit Jared, il peut jouer d’à peu près n’importe quoi et il est doué pour les arrangemen­ts. Il joue beaucoup sur l’album. Contrebass­e, piano, clavier...”. L’album a aussi été l’occasion pour les Black Lips d’approfondi­r leurs liens d’amitié avec Fat White Family (“Saul Adamczewsk­i joue des synthétise­urs sur presque tous les morceaux” confirme Cole) mais aussi d’accueillir un invité de prestige en la personne de Yoko Ono. “Nous sommes de grands fans de Yoko, s’enthousias­me Cole. Il y a beaucoup de cris dans notre musique, ça faisait sens de la faire venir pour ce genre de choses. Elle crie, elle hurle, elle chante. Elle maîtrise plusieurs techniques vocales.” Jared enchaîne : “C’est Sean qui a proposé de la faire venir, nous n’allions évidemment pas dire non. C’est un tel honneur, c’est une telle icône. C’est assez surréalist­e.”

Conseil beauté

Les Lennon, voilà ce qui s’approche le plus des Kennedy ou de la famille royale dans le rock. Être adoubé par eux — et par la reine-mère en personne — a au moins autant de valeur que d’entrer dans un quelconque Hall Of Fame. Comme un signe d’allégeance, les Black Lips ont ainsi sacrifié au rituel de la reprise : “Sean a insisté pour qu’on reprenne un morceau des Beatles, ce n’est pas nous qui lui aurions suggéré sourit Jared. Il a choisi ‘It Won’t Be Long’. On a essayé de le jouer mais ça sonnait trop similaire à l’original alors on l’a tordu pour le rendre plus louche.” On les quitte en leur demandant le secret de leur insolente jeunesse. Jared s’en amuse : “Les gens nous disent souvent ça, ce que je trouve bizarre. Je veux dire, on fait beaucoup la fête.” Mais livre néanmoins un précieux conseil beauté aux jeunes groupes : “Rester hydraté, essayer de dormir quand on peut, utiliser une bonne lotion, mettre de la crème sous le soleil. C’est la recette du succès.”

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