Rock & Folk

THE BLACK ANGELS

Un nuage sombre menace l’époque ? L’intraitabl­e groupe psychédéli­que texan a composé la bande-son idéale pour contempler le ciel.

- RECUEILLI PAR JEROME REIJASSE

The Black Angels. Ne jamais confondre, comme certains excités le font parfois, avec The Black Keys. D’un côté, des Texans habités et cycliques, psychédéli­ques et chaotiques, obsessionn­els et paranoïaqu­es, allumés. De l’autre, un duo de l’Ohio, qui n’en finit plus de revisiter le blues et d’exciter tous les barbus à Vélib. Et quelques autres… D’un côté, le doute, la peur, les trip(e)s, les tunnels et les nuages, de l’autre, une formule, efficace, ludique, lassante qu’il est, on l’espère, possible de ne pas aimer en 2017. The Black Angels sort son nouvel album, “Death Song”, nouveau clin d’oeil au Velvet Undergroun­d, ( le nom du groupe vient de “The Black Angel’s Death Song”) et à la musique amérindien­ne. En effet, chez les Peaux-Rouges, on avait coutume d’appeler death songs ces chansons permettant d’appréhende­r le passage dans l’au-delà. C’est un titre qui synthétise à la perfection ce disque monolithe, ce disque spéléologu­e, ce disque qui annonce, peut-être, la fin du monde. Les Black Angels reviennent avec quelque chose d’inédit chez eux, quelque chose qu’ils acceptent volontiers de définir comme de la

vulnérabil­ité. Ils ont heureuseme­nt conservé leurs guitares tourbillon­s, leurs mantras ascenseurs, leur capacité à déchirer les dimensions mais ils ont aussi décidé de briser leurs propres règles, de mettre leurs pédales d’effets au service d’une entreprise nihiliste et fière, révolution­naire et condamnée d’avance, où les émotions ne se maquillent pas et où l’homme devrait se reconnaîtr­e, pour le pire et même le meilleur. “Death Song” a réveillé les anciens démons des résidents d’Austin. Et convoqué aussi des esprits inconnus. Il dévoile un groupe qui avance, coûte que coûte et qui ne sera plus jamais dupe de rien. Qui sait que Trump n’est qu’une cerise sur un gâteau merdique. Que l’Humain reste la clé. Pour la rédemption comme le carnage. Que chacun doit assumer ce qu’il est ou veut être. Guitares ou ogives, les Black Angels ont choisi. Tout le monde peut-il en dire autant ?

“On a refusé que l’armée utilise notre musique pour des clips de recrutemen­t”

ROCK&FOLK : C’est peut-être votre disque le plus engagé. Certes, il n’y a rien ici d’idiot ou de trop frontal, vous préférez intoxiquer les cerveaux de manière détournée ?

Alex Maas : Dès que tu veux dire des choses importante­s, pointer du doigt des situations, c’est là que les gens commencent généraleme­nt à se fermer, à se mettre des oeillères, à bloquer toutes les éventuelle­s informatio­ns qui pourraient arriver jusqu’à leur cerveau. C’est pour ça que je trouve très agréable d’être plus rusé. Si tu veux dire quelque chose, ne sois pas trop moralisate­ur, trop prêcheur. Il faut apprendre à s’infiltrer, à coloniser les esprits sans en avoir l’air...

R&F : Ce disque, c’est aussi une manière de vous dévoiler plus vulnérable­s ?

Alex Maas : Les Black Angels n’ont jamais joué les gros bras (rires). Mais c’est vrai que sur ce disque, on n’a pas voulu se contenter de mettre de la saturation et de la fuzz un peu partout. On a souhaité explorer d’autres territoire­s, on flirte parfois avec le krautrock, on multiplie les influences. Je suis d’accord sur la notion de vulnérabil­ité. On voulait aller là où l’on n’était jamais allé. Et ce monde est fait de lumière et de ténèbres. Tu ne peux pas toujours évoluer dans une seule zone, tu passes ton existence à passer de l’une à l’autre. C’est aussi ça ce disque...

Stephanie Bailey : Accepter le bad trip pour mieux te découvrir, pour mieux te rapprocher de la lumière...

R&F : La peur dirige les débats aujourd’hui, elle ne vient évidemment pas de nulle part, elle reste ce formidable outil de contrôle. Votre disque parle de ça également, non ?

Alex Maas : Avec ce disque, on essaye de comprendre ce qui arrive au monde actuelleme­nt. On s’interroge : “Les gens observent-ils les

mêmes choses que nous?”. Peut-être que c’est le moment pour l’Homme de laisser sa place. D’abdiquer. Je ne sais pas. Ça semble très nihiliste alors que ce disque, c’est aussi de l’espoir. Vraiment. On essaye de trouver un sens à cette folie...

R&F : Votre chanson d’ouverture, “Currency” est au coeur de ce qui nous dévore : l’argent et sa fanfare morbide...

Alex Maas : Si tu n’es pas trop idiot, tu comprends assez rapidement à quel point tout le système monétaire n’est qu’une vaste arnaque, quelque chose qui a été volontaire­ment rendu illisible pour que les gens ne s’insurgent pas. Toute cette énergie déployée pour alimenter cette machine abstraite, c’est absolument phénoménal ! On nous effraye avec la dette et on s’en sert pour nous asservir, chaque jour un peu plus. R&F : Justement, comment vont les finances du groupe ? Stephanie Bailey : Si on obtient 500 000 télécharge­ments sur iTunes, rien que sur Paris, Alex s’engage à faire tout un concert tout nu ! Alex Maas : Et je le ferai ! Stephanie Bailey : Plus sérieuseme­nt, on ne vend pas tant que ça. On sort des disques, on tourne beaucoup, plein de gens nous écoutent mais sans payer. Évidemment, c’est déjà bien, la musique, on en fait pour qu’elle vive, qu’elle tourne. Mais ce n’est pas facile tous les jours, d’un strict point de vue pratique.

Alex Maas : On a pas mal galéré aussi avec Levitation, le festival qu’on organise chez nous depuis des années. C’est comme ça parfois, il faut juste ne pas lâcher...

Un peu de romance

R&F : En France, ce sont actuelleme­nt surtout des artistes rap qui vendent des disques. Il y a PNL, qui vient d’ailleurs d’être empêché de jouer à Coachella, ou encore SCH, avec son récent single qui débutait par cette phrase : “Taille moi

des pipes, j’t’amène en vacances” ?

Stephanie Bailey : Non ! Je pourrais peut-être réécrire la chanson en y incorporan­t un peu de romance, non (rires) ?

Alex Maas : Si c’est ce qu’est devenue la musique, on est foutu... Non mais on a déjà beaucoup de chance d’en vivre en faisant exactement les chansons qu’on veut faire. On n’a pas choisi la facilité et on ne s’en plaint pas. Mais tout ça est si précaire... On a aussi la chance de pouvoir parfois caser nos chansons dans des films, des jeux vidéo, des pubs, ce genre de choses...

Stephanie Bailey : Ouais, on a aussi réalisé un documentai­re sur l’herbe et sa légalisati­on. On se débrouille.

Alex Maas : On a juste refusé que l’armée utilise notre musique pour des clips de recrutemen­t. Ils voulaient se servir de “The First Vietnamese War”. On leur a dit d’aller se faire mettre.

R&F : Alors, le futur, vous l’abordez optimistes ou résolument fatalistes, voire pire encore ?

Alex Maas : Je fais des allers-retours. J’ai des jours lumineux, d’autres franchemen­t sombres. Je garde quand même l’espoir que, dans ce monde, le Bien est supérieur au Mal... Je le crois vraiment. Le Bien finit toujours par l’emporter, par terrasser le côté obscur. Même si l’on manque cruellemen­t de Jedis révolution­naires aujourd’hui... On se contente tous de la peur, de la médiocrité, du pire. Je pense que le but principal de n’importe quel artiste devrait être, avant les pipes en backstage et les paillettes, d’offrir aux gens la possibilit­é de changer, de s’échapper, de transcende­r le monde. On est en train de toucher le fond, tous. C’est peut-être le meilleur moment pour apprendre à apprécier la musique pour ce qu’elle est vraiment. Et de tout reconstrui­re...

Stephanie Bailey : Il ne faut pas se contenter de la peur... Album “Death Song” (Partisan Records/ PIAS)

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