Rock & Folk

BERTRAND BURGALAT

LE PATRON DU LABEL TRICATEL SORT UN SUPERBE NOUVEL ALBUM. RENCONTRE AVEC UN HOMME LUCIDE AUX DIGRESSION­S DROLATIQUE­S.

- RECUEILLI PAR JEROME REIJASSE

“Le disque que j’aimerais entendre”

Bertrand Burgalat revient avec “Les Choses Qu’On Ne Peut Dire A Personne” (formidable trouvaille de Chalumeau), nouvel album labyrinthe, qui regarde le monde droit dans les yeux et qui préfère, aux slogans débiles et tellement d’époque, la magie du sang et des coeurs qui battent encore. Ces 19 chansons doivent moins à une formule accessible en un clic qu’au désir de faire encore, malgré les barrages, malgré les désespoirs. Malgré la mort. Burgalat n’est en fait ni ce dandy parisien malin, ni ce producteur indépendan­t et fier, il ne fait pas de la pop, il ne pense pas aux ascenseurs lorsqu’il compose, il ne faut pas se méprendre. Ce disque est là pour le confirmer. Burgalat est un homme qui sait que la peur n’empêche pas le danger et que seul le courage peut valider une existence. Il n’y a pas de pourquoi, de comment, de direction à suivre, d’horizon à atteindre. Il y a l’énergie, l’engagement, la sincérité, ce besoin viscéral de construire des passerelle­s entre les chansons donc, et la réalité. Pour rien. Parce qu’il ne peut en être autrement. Les chansons aident à tenir, encore un peu, elles évoquent un souvenir brûlant, elles déchirent l’horreur même parfois, elles respirent quand on suffoque. Elles ont nagé dans le Styx, elles ont accepté de s’incarner, sans jamais s’expliquer. Les muses de Burgalat sont joueuses, facétieuse­s, elles n’aiment pas les drapeaux blancs et convient à un voyage de vertige, où se dessine une France qui n’a jamais existé, la seule qu’il est encore possible d’aimer. Ici, il n’est donc pas question de nostalgie, ce serait trop facile, vraiment paresseux. C’est l’histoire d’un homme qui a largué les amarres et qui attend la vague scélérate en chantant, avec une pudeur et une poésie indiscutab­les, et, dans les yeux, quelque chose qui pourrait ressembler à de la foi. A l’heure où Dieu s’est fait la malle, sur Ryanair ou EasyJet. Burgalat est à la fois montagne et Batignolle­s, rire d’enfant et tristesse tatouée, amour et solitude, père et son père, là et au-delà, insuline et coca zéro, malade et vivant. Burgalat a connu De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac et tous les autres. Il ne craint plus rien.

ROCK&FOLK : Avant ce disque, vous aviez publié un livre sur votre maladie, “Diabétique­ment Vôtre”. A-t-il été, d’une manière ou d’une autre, la vraie première étape de cet album ?

Bertrand Burgalat : Non, je n’ai pas l’impression. Mais peut-être que c’est la même démarche : Pourquoi fait-on les choses ? Ce livre sur le diabète, je l’ai fait parce que j’avais l’impression qu’il fallait que quelqu’un dise ces trucs-là. Et j’espérais que quelqu’un d’autre le ferait à ma place... J’entendais trop d’inexactitu­des, d’approximat­ions, de mensonges et comme personne ne le disait, je l’ai fait. Et ce disque, c’est un peu la même chose. Je ne dis pas que ces chansons devaient absolument être chantées mais souvent, j’aimerais bien que ces choses-là soient chantées à ma place. Finalement, je l’ai fait moi parce qu’il n’y a pas d’interprète­s qui s’intéressen­t à ce que je fais. A l’arrivée, je ne suis pas si mécontent de le faire parce que souvent aussi, quand d’autres personnes les chantent, la mélodie perd un peu de son truc...

R&F : Mais ça veut dire quoi ? Que vous voyez toujours plus comme un producteur, un compositeu­r, que vous êtes interprète presque par défaut ?

Bertrand Burgalat : Oui mais en même temps, j’en suis très fier. Je ne le fais pas à moitié. J’interprète vraiment. Moi, ce qui m’intéresse, c’est que ces morceaux-là existent. Que ce soit moi qui les chante ou quelqu’un d’autre, pour moi, ça n’a pas d’importance. Il faut simplement que ces choses voient le jour. Oui, il faut quand même qu’il y ait une nécessité. A chaque fois, faire un nouveau disque, c’est compliqué. D’être son propre label, c’est... c’est difficile de se motiver. Je suis le patron du label, c’est à moi de me dire: “Vas-y, ça va être super ton disque!”.

R&F : Ça a toujours été votre principale force et votre principale faiblesse, Tricatel ?

Bertrand Burgalat : Oui... Mais ce n’est pas une faiblesse parce que, finalement, ces disques-là, je pense que je n’aurais jamais pu les faire ailleurs, autrement. R&F : Christophe, lui, fait depuis longtemps des disques ambitieux, en n’en faisant qu’à sa tête, sur une major. Bertrand Burgalat : Oui, mais je n’ai pas le talent de Christophe pour trouver régulièrem­ent des caves qui me financent... Et je ne pense pas

avoir la force de persuasion pour mobiliser les gens autour de ce que je fais. Je pense que ça, c’est un talent aussi. Je ne dis pas que les gens qui font ça n’ont pas de talent ! Quand je dis ça de Christophe, c’est sans jugement sur sa musique. Il fait de temps en temps des trucs absolument formidable­s. Mais aussi, il a eu un vrai succès à un moment...

R&F : Vous ne pensez pas que certaines de vos chansons auraient pu être votre “Aline”, si elles avaient bénéficié de la machine de guerre d’un gros label, en termes de marketing et de promotion ?

Bertrand Burgalat : Moi, je fais tout mon possible. C’est à dire que je fais de mon mieux pour faire des morceaux les mieux possible. Je n’ai jamais transigé sur rien. C’est à dire que j’essaye de trouver le maximum de fric, de moyens pour que le truc soit bien enregistré, que tout le monde soit payé, je fais de mon mieux. J’essaye déjà de ne pas me mentir à moi-même pour ne pas mentir au public non plus, j’essaye d’être sincère et de faire le disque que j’aimerais entendre. Le demisuccès, l’indifféren­ce parfois, voire le mépris, pendant des années, je ne l’ai ni théorisé, ni cherché. Et je n’en ai pas joui du tout.

R&F : Là, on entre dans cette fameuse subjectivi­té inhérente à l’art. Et si on vous rétorquait que si Bertrand Burgalat en est là aujourd’hui, c’est parce qu’il le mérite, tout simplement ? Bertrand Burgalat : Vous avez tout à fait raison. Il y a beaucoup de merdes qui marchent dans tout ce qui sort et ça a toujours été le cas. Et ce n’est pas parce que ce que l’on fait ne marche pas que ce n’est pas de la merde. Et s’il suffisait de faire de la merde pour que ça marche, il y aurait beaucoup de milliardai­res du disque actuelleme­nt. A chaque fois, je n’essaye pas d’ajuster le tir, en disant: “je vais faire un truc plus

commercial”. Mais je me dis que c’est une incitation pour moi d’essayer d’aller plus loin, d’essayer d’être encore plus direct par rapport à ce que je veux exprimer et de progresser. Et moi, j’aime la subjectivi­té, je ne crois pas du tout au bon goût. Mais je sens une très bonne énergie sur ce disque. C’est mon moment comme disait Chirac en 1995 ! Quand on fait un disque, il ne faut pas être prétentieu­x. Il faut être à la fois humble et présomptue­ux. Il faut dire : “Je vais essayer de faire quelque

chose de différent, d’apporter quelque chose.” Il y a aussi cette notion d’engagement. Tu dois être là. Il faut être présent, sincère, dans ce que l’on fait. Et si on n’a pas cette ambition-là au départ, comment ça va être pour l’auditeur ? “Ah ben, j’ai fait un petit truc sympa...”. Non.

R&F : Malgré les épreuves, vous n’êtes pas du tout cynique ?

Bertrand Burgalat : J’essaye de ne pas m’assécher. C’est déjà un miracle que j’aie encore du goût et l’énergie pour faire de la musique. J’essaye de faire des choses avec l’espoir que ce soit le plus réussi possible. La première victoire, c’est de faire de la musique. Quand même, malgré les vicissitud­es. La deuxième, c’est d’arriver à avancer, de ne pas rester sur une recette. Une autre victoire, c’est d’avoir la possibilit­é de sortir ton disque et d’avoir des personnes qui s’intéressen­t à ce que tu fais... Un morceau comme “L’Enfant Sur La Banquette Arrière” (dont

il a aussi écrit les paroles — Ndr), je pense que j’ai mis dedans toutes les chansons que j’aurais voulu faire. Chaque ligne, chaque vers est une chanson en fait. Je me suis dit que plutôt que de délayer le truc, de le condenser au maximum, ce serait encore mieux, pour en faire un truc comme une espèce de bombe à fragmentat­ion.

Angoisse de mort

R&F : Est-ce que ce disque vient d’une peur de la mort également ? Votre maladie, entre autres, dicte-t-elle vos créations ?

Bertrand Burgalat : Je pense qu’il est bizarremen­t moins imprégné de ça que les précédents. Mes disques qui paraissent les plus solaires sont probableme­nt les plus mélancoliq­ues et les plus angoissés par la mort. Cette angoisse était évidemment aussi liée au diabète. C’est à dire qu’à chaque fois que je faisais un disque, je me disais que je n’étais pas sûr d’en faire un autre...

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France