Rock & Folk

PHIL MAY “C’était comment 1967?”

Voisin de studio des Fab Four, le chanteur des sauvages Pretty Things livre ses souvenirs de la psychédéli­que année 1967.

- RECUEILLI PAR JEROME SOLIGNY

Mille neuf cent soixante-sept, à Londres. C’est certain, le mieux, c’était d’y être. Quand les Beatles enregistra­ient “Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band”. Et que Pink Floyd mettait en boîte “The Piper At The Gates Of Dawn”, son premier album, dans un autre des EMI Studios. Plus tard dans l’année, les Fabs étaient toujours à Abbey Road, leur seconde maison, mais pour “Magical Mystery Tour”. Et Pink Floyd également. Par contre, il ne s’agissait pas du même groupe, puisque Syd Barrett n’était déjà plus à sa tête. Ni dans la sienne. Au même moment, le troisième studio du complexe était occupé par les Pretty Things, un groupe de furieux du garage rock/ rhythm’n’blues qui s’étaient attelés à leur quatrième album, “S.F. Sorrow”, un opéra rock psychédéli­que. Qui n’a pas eu le succès escompté, mais est tombé dans l’oreille de Pete Townshend, pas encore sourd. “S.F. Sorrow” y a planté une petite graine qui est devenue “Tommy” et figure désormais en tête de liste des disques les plus gonflés jamais enregistré­s. Ce n’est que justice. Pour ce numéro spécial, Rock & Folk a sollicité Phil May, le chanteur des Pretty Things que, comme les Who et les Yardbirds, David Bowie allait citer deux fois sur “Pin Ups”, son album de reprises publié en 1973. C’est dire si ces gens ont compté.

“Lennon rentrait dans notre studio comme dans un moulin”, a lâché May en préambule à une interview vibrante qu’il a accepté de donner, à Shepherd’s Bush, pour revenir sur les Beatles et cette période un peu folle qu’il a vécue de l’intérieur. Et pas pour parler des Pretty Things dont on se contentera de signaler que l’excellent coffret “Bouquets From A Cloudy Sky”, rétrospect­ive d’un demi-siècle de carrière (une douzaine d’albums, deux DVD, de la memorabili­a...), et paru il y a quelques semaines, est totalement indispensa­ble. En 1967 donc, chauffée par la venue de musiciens américains en passe de devenir des monuments (Bob Dylan, Jimi Hendrix) et les sorties d’albums cruciaux qu’on écoute encore, la capitale britanniqu­e brûle

de mille feux. La plupart des musiciens anglais aussi. Beaucoup vont rester sur le carreau, ne s’en remettront pas. Phil May (tout comme son compagnon d’écriture, le guitariste Dick Taylor) a fait mieux que survivre à cette tourmente. Il en est sorti grandi. C’est-à-dire, un brin caustique, limite

philosophe et avec de l’humour à revendre : “On ne mangeait pas très bien à Abbey Road, c’était de la bouffe de distribute­ur, sous plastique. D’un autre côté, une fois qu’on y était, on ne voulait plus sortir. Trois cents collégienn­es qui hurlent, ça vous bloque une porte comme un rien. Alors, on restait là, dans cette chambre de compressio­n étanche, et je vous jure, de Swiss Cottage au studio, il y avait comme une traînée lumineuse dans le ciel.”

Paul

Rock & Folk : Le 1er juin 1967, jour de la parution de “Sgt. Pepper” en Angleterre, il se passe quoi exactement ?

Phil May : Les gens se ruent chez les disquaires, en ressortent en courant avec l’album sous le bras et l’écoutent chez eux en se demandant ce qui leur arrive. Jusque-là, les Beatles étaient de bons garçons, enfin, ils donnaient l’impression d’en être. Le genre qu’on aurait bien voulu que nos filles épousent... Et d’un coup, alors qu’ils auraient très bien pu continuer des années sans ne rien changer à leur formule, ils se sont mis à prendre des risques. Fantastiqu­e ! Et puis, il y avait la drogue et tout le trafic que ça sous-entend. C’était bien plus dangereux pour eux. Il n’aurait pas fallu qu’ils se fassent toper en train de filer du cash à leur dealer à l’arrière d’une voiture.

R&F : Vous les fréquentie­z à l’époque ?

Phil May : Oh oui, on les voyait en studio et Paul, en dehors. Je me souviens d’une discussion qu’on a eue, quelques années plus tôt, au Ad Lib. On cherchait une chanson et il m’a expliqué que les Beatles devaient tellement fournir à EMI que tout ce qu’ils composaien­t était aussitôt enregistré. Il m’en a chanté une (il fredonne le début de “She’s A Woman”)

“Nous étions tous aspirés dans cette tornade multicolor­e”

“Lennon rentrait dans notre studio comme dans un moulin”

et je lui ai dit qu’elle nous conviendra­it parfaiteme­nt. Il m’a répondu que ça allait être la face B de leur prochain single (“I Feel Fine”). J’étais vert ! Mais Paul a toujours été sympa. Il y en a qui pensent que tout coulait de source à l’époque, que c’était juste merveilleu­x, qu’on avait tous des fleurs dans les cheveux. Je peux vous dire qu’il y avait pas mal de tension et que les grands disques de 1967 sont nés de frictions. Il m’est arrivé, parce que j’estimais qu’elles étaient nulles, de refuser d’enregistre­r ma voix sur des chansons parmi nos plus connues. Je claquais la porte du studio, j’allais au pub du coin et je me saoulais. Puis, je revenais en titubant, prêt à chanter (rires). R&F : En apparence, à cette époque, les Beatles ont bien vécu la drogue. Pour George Harrison, par exemple, ça a surtout tourné au désastre pendant sa carrière solo.

Phil May : Oui, mais malgré tout, elle est partout dans “Sgt. Pepper”. J’ai toujours trouvé que les Rutles n’étaient pas tant que ça un pastiche des Beatles (rires). John est tombé dedans, c’est certain, mais il n’a pas été le seul. Et, cette année-là, Ringo est un peu devenu un hippie malgré lui. Quant à Paul, quoi qu’il ait consommé, il n’a jamais perdu le contrôle des opérations. Mille neuf cent soixante-sept a ouvert une porte vers une sorte d’undergroun­d en passe de ne plus l’être. Lorsque Cream devient psyché, il n’en est pas moins populaire pour autant, Clapton savait très bien ce qu’il faisait. Nous étions tous aspirés dans cette tornade multicolor­e, et nous avons existé, plus fort qu’avant, à travers elle. “Sgt. Pepper” nous a aussi ouvert les portes des médias ! Soudain, les groupes étaient partout. Avant, notre trip psychédéli­que consistait à jouer dans un petit lieu, à Covent Garden, devant une centaine d’allumés qui prenaient les mêmes drogues que nous, et le grand public ne comprenait rien à tout ça. On était le diable !

Ginger

R&F : Alors, 1967 : on commence par quoi ? Les Doors ?

Phil May : Oui, mais j’ai du mal à les dissocier de Spirit, Iron Butterfly, Captain Beefheart... Il y a un véritable lien de parenté entre tous ceux-là. 1967, c’est l’année ou l’océan, entre l’Angleterre et l’Amérique, a cessé d’être un obstacle. La musique servait de pont, plus besoin de prendre l’avion ou le bateau. On recevait les disques, c’était comme si on y était ! Ils nous ont envoyé Love, fantastiqu­e, on leur a balancé “Astral Weeks” de Van Morrison...

R&F : Euh, sorti en 1968. Phil May : Ah oui ? Mais sans 1967, ce disque n’aurait pas existé (rires). J’ai aussi vu The Graham Bond Organisati­on avec Jack Bruce à la basse et Ginger Baker à la batterie, un groupe énorme. Je peux vous dire que Ginger était tout sauf un hippie (rires). R&F : Bon, le cas Jimi Hendrix : “Are You Experience­d”, dans les bacs quelques jours avant “Sgt. Pepper”...

Phil May : Bah oui ! On était tous à la première apparition de l’Experience, à Londres. Au Bag O’Nails, une boîte de strip-tease de Soho transformé­e en club, Il y avait du beau linge, Lennon, Pete Townshend... C’était bas de plafond, et quand ils ont tiré le rideau, les cheveux de Jimi le touchaient presque. Il a joué “Sgt. Pepper” en intro, ça a été un set de fou furieux. Townshend n’en pouvait plus, il a grimpé sur la table ! En plus du reste, Jimi était un putain de chanteur. Comme Clapton d’ailleurs, et comme David Gilmour. Les guitariste­s ne chantent pas comme les autres, ils jouent de la guitare avec leur voix.

R&F : Pink Floyd, parlons-en.

Phil May : Je traînais avec Norman Smith, qui était notre ingénieur du son et aussi celui du Floyd, j’étais présent quand le groupe a enregistré “Set The Controls For The Heart Of The Sun”. Eux aussi étaient dans leur monde, en train d’inventer un truc très excitant tout en essayant de se faire à l’idée que leur leader ne pouvait plus diriger quoi que ce soit. Aussi arty et génial que Syd ait été, il faut comprendre les autres : quand un membre d’un groupe de quatre décide de rester planté là, sur scène, sans bouger, en disant à tout le monde “allez vous faire voir !”, ça peut être légèrement irritant (rires). R&F : Le premier Velvet Undergroun­d ? Phil May : Houlà ! Pas la même dimension. Les Byrds, Jefferson Airplane... OK. Mais là, c’était fort. Très fort. Et visuel aussi. Complèteme­nt indissocia­ble de la Factory... L’influence de Warhol, comme une chape. En plus ça flattait l’ego de ceux qui se prenaient pour des peintres ou l’étaient vraiment. J’étais déjà du genre à traverser la Manche pour aller voir des expos de peinture à Paris. Au Louvre. J’adore Francis Bacon, Allen Jones... Warhol a fait du Velvet une toile sonore.

Ray

R&F : En plein Summer Of Love, Procol Harum balance un cocktail Molotov rempli de crème chantilly dans les charts : “A Whiter Shade Of Pale”... Phil May : Nah... Pas mon truc. Trop commercial. R&F : Lennon adorait le single, il l’écoutait en boucle. Et lors d’une interview à ce journal, George Martin a déclaré qu’il aurait voulu que Paul McCartney écrive ce titre... Phil May : Ah oui ? Il en a signé d’autres (rires). En plus, tout ça s’est terminé au tribunal, non ?

R&F : Oui, l’organiste Matthew Fisher a fini par obtenir gain de cause récemment. Phil May : J’imagine qu’une petite partie des droits d’auteur de cette chanson, ça doit faire un paquet de sous (rires). R&F : Et Donovan, alors ?

Phil May : Ah, c’est un peu différent. Quand on habitait avec Brian Jones, il adorait Donovan. Il nous faisait écouter sa musique et moi je disais toujours : “OK, mais il y a Dylan.” Bon, Don a écrit des super chansons et c’est un type bien avec qui on a joué souvent. On a aussi rencontré Dylan, la première fois qu’il est venu en Angleterre, il n’est resté que vingt-quatre heures, mais on était avec lui tout le temps car on participai­t au même show pour la BBC. R&F : Les Kinks qui publient “Something Else” avec “Waterloo Sunset”, extrait en premier single : voilà qui doit être votre came ! Phil May : Fantastiqu­e ! Ray Davies, énorme chanteur. On a aussi tourné avec eux. Dave Davies avait un peu de mal à s’entendre avec son frère, pas un type très commode. Le son des premiers singles, la distortion... Big Jim Sullivan à la guitare... Ça tournait en boucle également. R&F : Phil, vous revoyez des gens de cette époque, des musiciens que vous fréquentie­z ? Phil May : Non, pas vraiment. Pas du tout même. Lorsque je ne suis pas sur la route avec les Pretty Things, mes amis sont des gens qui ont des boulots normaux. Il y a un électricie­n, un plombier. Je me vois mal demander à un collègue musicien qui rentre de Hambourg : “Alors, l’Allemagne, ça a changé ?” Je verrai bien quand j’y retournera­i (rires). ★

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