THE BEATLES
“SGT. PEPPER’S LONELY HEARTS CLUB BAND”
“On veut monter la barre d’un cran et faire notre meilleur album.” Facile à dire, moins facile à faire. Surtout quand on vient d’enquiller un album parfait (“Rubber Soul”), puis un autre presque parfait (“Revolver”). Mais Paul McCartney a de l’assurance et d’ambitieux projets pour un groupe qui a, sans le dire publiquement, décidé d’arrêter de s’enquiquiner à donner des concerts où il ne s’entend pas. Pour “Sgt. Pepper”, les Beatles se sont autorisé un temps de studio impensable à l’époque. De fin novembre 1966 à avril 1967, les quatre se sont enfermé aux Studios EMI et brièvement à Regent Sound pour bâtir leur grand oeuvre. Les Beatles ont beau avoir abandonné en route l’idée d’un album-concept qui respecterait une narration (tant mieux sans doute), le disque, quand il arrive, est un sacré choc. La pochette, les costumes, le titre à rallonge : tout cela est spectaculaire, chatoyant. La jeunesse occidentale s’en prend plein les mirettes et les groupes du Swinging London vont immédiatement vouloir se fendre d’un disque dans la même veine. Trois jours après la sortie du disque, le jeune Jimi Hendrix joue en concert à Londres la chanson-titre du disque. A Abbey Road, les Fab Four disposent d’un instrumentarium plus riche que jamais. Quelques mois plus tôt, ceux-ci se contentaient d’une palette assez réduite : batterie, guitares, basse et, éventuellement, orgue. Il y a beaucoup plus de choses ici : un orchestre à cordes, du saxophone, de la trompette, du cor anglais, de la clarinette, du sitar, du tampura, des tablas, de la harpe, des bruitages, des collages, du glockenspiel, de l’harmonica basse (comme dans “Pet Sounds”), des congas et une abondance de claviers merveilleuse : du piano, du clavecin, du minipiano, de l’harmonium et des orgues, dont ce fascinant Lowrey DSO utilisé sur l’intro de l’espace de “Lucy In The Sky With Diamonds”. Etrangement, le révolutionnaire Mellotron, utilisé avec bonheur par Macca sur “Strawberry Fields Forever” ne figure pas dans l’album. L’équilibre dans le groupe a évolué. McCartney en est désormais l’incontestable locomotive. La majorité des chansons sont les siennes. Désormais et pour les cinq décennies qui suivent, le gaucher fera preuve d’une hallucinante versatilité : voici un homme capable de concevoir une chanson pour enfants (“Good Morning Good Morning”), une ballade impeccable (“She’s Leaving Home”), un titre hors du temps (“When I’m Sixty Four”) et quantité de bonbons pop acidulés (“Lovely Rita”, “Getting Better”). Instrumentiste génial, il bonifie aussi les créations des autres. Celles de Lennon surtout, qui est à l’origine de quelques splendeur : “Being For The Benefit Of Mr. Kite!”, “Lucy In The Sky With Diamonds” (dont les initiales seraient une allusion à une drogue psychédélique bien connue. Le LITSWD ?) et surtout “A Day In The Life” dont il apporte l’ébauche. McCartney y ajoute une partie miraculeuse, et l’équipe concocte un arrangement de cordes terrifiant C’est le final grandiose d’un disque où Harrison est brimé à un titre : “Within You Without You” à l’instrumentation 90% indienne et 10% pénible. Ringo ? Il demeure le batteur et percussionniste le plus musical qui soit et chante de son inimitable voix le fameux “With A Little Help From My Friends”. Que retenir de cette abondance ? Le groupe, George Martin et Geoff Emerick ont défini ici le canon de l’album pop moderne et mis le studio d’enregistrement au centre des débats. Pour autant et sans s’énerver, “Sgt. Pepper” est un festin assez chargé, riche en sauces et nappages divers. Un disque où la forme prime sur le fond, inégal comme le seront “Their Satanic Majesties Request” ou “Ogden’s Nut Gone Flake”. Un ami cher avait donné cet excellent conseil pour aborder “Sgt. Pepper” : peu importe le format, mono, stéréo, cassette pourrie ou coffret hors de prix, il suffit de se concentrer sur les lignes de basse de McCartney, un magicien du contrepoint sur sa Rickenbacker 4001.