Rock & Folk

ONE-HIT WONDERS 1967 UN45 TOURS ET PUIS S’EN VA

Scott McKenzie, Box Tops, Strawberry Alarm Clock... Hommage à ces coups d’un soir des classement­s de 1967, qui disparuren­t tous ou presque après un tube magnifique.

- PAR PATRICK EUDELINE

Ce n’est pas d’hier qu’un hit s’avère sans lendemain. Même si le tube reste (restait ? La règle du jeu a bien changé), la voie royale pour le vedettaria­t. Enfin, cela est le cliché. “Laisse Béton” par Renaud ou “You Really Got Me” : exemples parfaits de carrières nées d’un tube. Depuis “That’s All Right” ?

Mais Soeur Sourire avec son “Dominique” ou Dora Bryan avec son “All I Want For Christmas Is A Beatle”, (numéro 1 en 1963,

quand même) n’ont pas vraiment transformé l’essai. Pas plus que, presque dix ans plus tôt, Clarence Palmer And The Jive Bombers avec son merveilleu­x “Bad Boy” ou Sanford Clark avec son “The Fool” . Ou les Tokens avec “The Lion Sleeps Tonight”, détourné du folk, ou les Cadets (les Jayhawks écrivirent l’original, je sais...) avec “Stranded In The Jungle”. Il y eut des one-hit wonders depuis la généralisa­tion du vinyle et des top 100 et 40. Et cela a duré jusqu’à ce que le vinyle meure de sa belle mort. On peut gloser sur Desireless, Larusso ou, soyons obscènes, Snap ! avec son “The Power”, ils furent les derniers coups d’éclats d’un système où la chanson comptait plus que tout. Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de Top 50, de disquaires, de singles, ni même de Marc Toesca. Et encore moins de chansons inoubliabl­es. Parce que tout cela marchait ensemble. Le problème ne risque donc plus de se poser : on connaît Amir comme on connaît les Rival Sons. Qui peut citer un titre de ces gens ? Pas moi, en tout cas.

Les one-hit wonders eurent une période de gloire absolue.

Quand le Top Ten était roi et la concurrenc­e féroce. Et l’année phare, de tout cela ? 1967, encore une fois. Comme s’il se passait tant de choses et trop vite alors, que tout ne pouvait imprimer. Douze petits mois pour un monde qui bascule et accélère encore. Sorti à l’automne 1966, “Winchester Cathedral” eut à peine le temps d’être un hit mondial que l’année commençait. Depuis quelques mois, l’air était au Vaudeville, le music-hall britanniqu­e. Vaudeville étant en fait le nom que les Américains (quelque peu à tort) donnent à ce style. Cette musique que le père de McCartney avait insufflée à son petit garçon, cette musique qui va se mélanger au rhythm’n’blues façon Chess Records pour créer la pop anglaise. Les premiers peut-être, les Lovin’ Spoonful, des Américains pourtant, ont donné l’exemple avec leur “Daydream” qui reprenait rythme et suite d’accords du ragtime. Hits des Kinks, “Dandy”, “Dead End Street”, “A Well Respected Man”, “Sunny Afternoon” évidemment, Beatles époque “Revolver”, du Bonzo Dog Doo-Dah Band (un moment casté pour incarner le New Vaudeville Band) jusqu’aux Herman’s Hermits, Scaffold ou Manfred Mann, ce style est roi... en France, c’est “2’ 35 De Bonheur” ou Guy Marchand. Le New Vaudeville Band n’existe pas vraiment. C’est la création d’un producteur, Geoff Stephens, qui exagère le son et le style des années 30. Au piano stride, il ajoute un basson qui fait la pompe (deux notes, tonique/ dominante, alors que les bassistes alors s’émancipent et jouent avec les gammes) ; le chanteur utilise un mégaphone (en fait, il chante dans ses mains pour en imiter le son) et copie Rudy Vallée, le grand crooner oublié. Et les images promotionn­elles mêlent canotiers, pantalons blancs à revers et blazers rayés de marine. Le ton est donné. 1967 sera en même temps révolution­naire et curieuseme­nt nostalgiqu­e. Après l’Amérique et la classe européenne façon Nouvelle Vague, les jeunes mods découvrent les charmes de l’Angleterre pérenne, de leur propre passé. De leur identité en fait.

Les one-hit wonders de 1967

avaient commencé, peut-être, par une improbable création attribuée à Kim Fowley, maître ès coups en tous genres. “They’re Comin To Take Me Away, Ha-Haaa !” par Napoleon XIV. Entre Zappa, le Bonzo Dog Doo-Dah Band et Pierre Dac, la chose osa popularise­r l’usage des bandes à l’envers et préfigurer, paraît-il, Evariste avec son “Connais-Tu L’Animal Qui Inventa Le Calcul Intégral ?”. Il y eut aussi, en presque plus drôle, les Royal Guardsmen et leur inénarrabl­e morceau novelty “Snoopy Vs. The Red Baron”, qui faisaient semblant d’être Anglais (les Royal Guardsmen ?), venaient en fait de Floride, et essayèrent désespérém­ent le coup du follow-up copie carbone pour survivre à “Snoopy Vs. The Red Baron”. On eut droit a “The Return Of The Red Baron” et “Snoopy’s Christmas”. Pour des raisons inconnues (bradé chez Joseph Gibert, j’imagine) je me rappelle même avoir possédé leur a priori dispensabl­e album, heureuseme­nt agrémenté de fillers garage punk fort réussis et dignes de Nuggets, comme “Peanut Butter”, “Road Runner”. Autre anecdote attachée à ces incunables : comme ils avaient négligé de demander au créateur de Snoopy, le digne Charles Schulz, l’autorisati­on d’emprunter le nom de son héros ils durent, dans nombre de pays, utiliser des pseudos. Ainsi, “Snoopy Versus The Red Baron” devint au Canada, par exemple “Squeaky Vs. The Black Knight”. Informé que la chose tournait au tube, Schulz s’amadoua, demanda des droits d’auteurs et le disque pût ressortir avec les lyrics originels...

Mais pour beaucoup, à cette période, un one-hit wonder, c’est un truc comme “Juanita Banana” en 66 ou Zanini plus tard : un coup. Une scie sans lendemain. Une novelty tune. Dans le genre novelty, justement, on oubliera vite Whistling Jack Smith et son insupporta­ble “I Was Kaiser Bill’s Batman”. Sorti au moment même où Hendrix se révèle, où la West Coast explose, où Bowie sort des chefs-d’oeuvre dans la quasi indifféren­ce, tant la concurrenc­e est rude, on aurait pu croire que cette chose allait passer inaperçue, n’ayant même pas l’excuse de l’opportunis­me historique qui permit au sergent Barry Sadler d’imposer sa “Ballad Of The Green Berets”. Evidemment, aucun des deux n’eut de descendanc­e. En 1967, le talent se bouscule, donc. Et les onehit wonders en sont une conséquenc­e. Il s’agit désormais de bien autre chose que de créations de studio ou de tubes anecdotiqu­es. En fait, paradoxe, le succès radiophoni­que à grosse échelle devient presque un handicap quand l’exigence musicale gagne en acuité. Celui-ci peut même faire passer des créateurs véritables pour des artifices de studio, à la façon de... “Winchester Cathedral”. C’est l’exemple de Procol Harum, groupe culte s’il en est. Mais devenu groupe de série B. Pour un hit trop évident, trop massif. Et sorti en même temps, quasiment que deux autres one-hit wonders. Scott McKenzie et les Flower Pot Men. Tout se passa comme si Procol allait être aussi périssable que les fleurs de cette année-là.

“A Whiter Shade Of Pale”, la chanson préférée de John Lennon

(que jamais Yoko Ono ne fit programmer aux cérémonies hommage), avait obtenu trop de succès, trop vite. Gary Brooker et le producteur Denny Cordell avaient été dépassés. Le Procol Harum original, celui de la pochette du single était un assemblage hétéroclit­e, sans Robin Trower, ni BJ Wilson, membre des Paramounts, le groupe rhythm’n’blues émérite de Brooker. Mais la machine était lancée, il fallait assumer. On dit plein de bêtises sur “A Whiter Shade Of Pale”, que c’était un démarquage de “When A Man Loves A Woman” alors qu’il n’y a objectivem­ent aucun rapport entre les deux chansons, sinon le “Soul” de Brooker et la présence d’un Hammond. Que c’était pompé sur une suite de Bach (le contre chant évoquait effectivem­ent l’ “Air Sur La Corde de Sol”, mais la suite d’accords était une descente chromatiqu­e, dans l’esprit de “White Room” de Cream ou de “Sunny Afternoon”). Procol fut condamné à n’être qu’un groupe culte, et non point un groupe majeur. Les hit parades lui étaient désormais interdits, malgré la puissance de titres à venir comme “Homburg” ou “A Salty Dog”. Ainsi les Box Tops, non plus, ne se remirent jamais vraiment du triomphe de “The Letter”, parfaite production de Dan Penn qui devait rester plus d’un mois à la première place des charts et en déloger “A Whiter Shade Of Pale”. Et il fallut des années pour qu’Alex Chilton soit reconnu à sa juste valeur. Les Box Tops eurent certes des hits ensuite, comme “Cry Like A Baby” ou “Soul Deep”. Mais rien de comparable. Pourtant, “The Letter” sorti à l’automne, agissait comme un symbole. Après tout ce psychédéli­sme, il annonçait le retour aux racines, l’Americana et le succès futur du “Born On The Bayou” de Creedence Clearwater Revival.

Le psychédéli­sme et ses hippies justement,

c’était le sujet des deux one-hit wonders de l’été 1967. Toutes les deux évoquaient San Francisco dans leur titre. Avec plus ou moins de crédibilit­é. Les Flower Pot Men (rebaptisés aux States les Flower Men pour éviter la référence au cannabis) étaient une création de studio. Les anciens Ivy League, choristes émérites pour à peu prés tout le monde, augmentés de Jon Lord et Nick Simper, avaient construit de toutes pièces ce démarquage habile de “Good Vibrations”. La chose tenait les deux faces du single et cartonna. Mais fut évidemment sans suite. Le cas de Scott McKenzie est plus délicat. L’hymne aux hippies était sans failles, et composé par John Philips pour promouvoir le festival de Monterey Pop, mais Scott McKenzie, avec ses cheveux malgré tout trop courts, ses colliers et son kaftan-robe trop opportunis­tes n’était finalement guère crédible et se fit huer à Monterey. Il semble que tout cela ait été fort injuste, et que l’homme, ancien membre des Journeymen, était bel et bien un authentiqu­e enfant des fleurs. Mais je me souviens de mon feeling d’ado. La chanson était sublime, mais le type n’inspirait pas confiance. Oui, un fake. Et pourquoi ces cheveux courts ? Bien sûr, les ados ont toujours raison. Le juke box hippie ne serait pas complet sans Strawberry Alarm Clock et son charmant “Incense And Peppermint” qui devait squatter, quand même, la première place du top pour de longues semaines fin 1967. Aucun des membres du groupe n’avait voulu chanter dessus et n’assumait les paroles. Ils ne devinrent jamais pourtant un groupe sérieux et respecté comme, au hasard, le Dead ou l’Airplane, et durent se séparer après quelques albums poussifs. Ed King rejoignit bientôt Lynyrd Skynyrd et on n’en parla plus. “Green Tambourine” dans un genre similaire clôt cette riche année 67. Les Lemon Pipers sans s’en rendre compte venaient d’inventer ce qui allait devenir le bubblegum. Tout y était. De ce que Kasenetz-Katz et les autres allaient faire une formule. David McWilliams et son “Days Of Pearly Spencer” est l’exemple parfait du one-hit wonder. Eternelle et complèteme­nt inséparabl­e de son époque, la chanson en reprend tous les tics, faux mégaphone inclus et sections de violons. La mélodie coopte parfois celle de “Got To Get You Into My Life” dans un contexte différent. Peu importe, le résultat est absolument irrésistib­le. Mais McWilliams ne transforme­ra pas l’essai. Il avait pourtant le background idéal dans le contexte de l’époque : un chanteur folk nordirland­ais, converti à toutes les subtilités du picking et tourné vers la pop psyché. Comme Tim Rose l’année précédente, qui avait apporté au monde — pardon du peu — la version définitive de “Hey Joe” comme celle de “Morning Dew”, qui semblait avoir tout pour lui, et disparût vite dans les limbes.

Un one-hit wonder se doit de surcartonn­er,

sinon ce n’est pas drôle. On passera donc rapidement sur la tentative de Keith West de tabler sur la vogue annoncée de l’opéra rock avec “Excerpt From A Teenage Opera” ou sur Keith et son pourtant remarquabl­e “98.6”. De la poussière d’étoiles comme il en tombait tant en cette année-là.

Et puis ce fut 1968... Un chant du cygne. Et le one-hit wonder absolu. D’une année pourtant riche en étoiles filantes. Du “Call My Name” de James Royal, au Hush de Billie Joe Royal (paru fin 67) en passant par le “My Year Is A Day” des Irresistib­les. Cela serait “Eloise”. Plus jamais le rock ne pourrait être aussi lyrique, mélodique, symphoniqu­e, outré... c’était un point culminant. Même Spector n’avait pas osé. Son “River Deep — Mountain High” semblait le galop d’essai de cet “Eloise”-là. Cela chanté par Barry Ryan donc. Sapé tout de satin noir et coiffé comme un rêve mouillé de Rod Stewart. Avec une voix de soulman habité aux yeux bleus, dans la tradition. Il y avait tout. Ce fût trop. Une fois mais pas deux. Barry Ryan disparut et devint photograph­e. Après “Eloise”, les one-hit wonders perdirent, semble-t-il, de leur superbe. Des créations de studio, comme les Archies, souvent. On regrettera l’échec des magnifique­s Wallace Collection et on n’en parlera plus. L’ère des onehit wonders était partie avec la décennie. ★

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