Rock & Folk

Camisole

The Creation

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“ACTION PAINTING ”

Numero Group (Import Gibert Joseph)

“CREATION THEORY ”

Edsel (Import Gibert Joseph) Leur histoire n’aura duré qu’une vingtaine de mois, le temps de laisser à peu près autant d’enregistre­ments, mais la légende des Creation n’en finit plus de fasciner. Après plusieurs compilatio­ns depuis celle d’Edsel sortie au début des années 80 et capitalisa­nt sur la nouvelle gloire du groupe lancée par le revival mod et la présence d’une photo du groupe sur la pochette intérieure d’ “All Mod Cons” des Jam, c’est aujourd’hui le grand traitement : deux coffrets sortent en même temps pour célébrer la grandeur de ce groupe à part. Il y a d’abord, le fait est devenu notoire, la guitare à l’archet du grand guitariste Eddie Phillips (bien avant Jimmy Page), à qui Pete Townshend aurait demandé de rejoindre les Who (c’est faux). Phillips, d’une inventivit­é proprement exceptionn­elle (voir son solo sur “Tom Tom”) jouait avec le feedback aussi bien que Townshend, mais se montrait encore plus sauvage. Il y a ensuite un line-up changeant incessamme­nt, avec deux chanteurs : Kenny Pickett, puis Kim Gardner des Birds. Ainsi que son complice Ron Wood, le Zelig du rock, juste avant qu’il ne rejoigne le Jeff Beck Group. Il y a même John Dalton, qui allait intégrer les Kinks. Enfin, il y a la production de Shel Talmy (Who, Kinks), qui a débouché sur au moins deux des morceaux les plus grandioses et les plus sauvages des sixties : “Making Time” et “How Does It Feel To Feel” (à écouter dans sa version US). Des chansons brutales et mélodiques à la fois, s’inscrivant dans la nouvelle tendance pop art lancée par les Who — le groupe qui a manifestem­ent le plus influencé les Creation (voir les ressemblan­ces évidentes de “Try And Stop Me”, “Painter Man”, “Can I Join Your Band”, “Ostrich Man” avec plusieurs classiques du groupe de Shepherd’s Bush) — comme “Through My Eyes”, qui sera reprise plus tard durant les répétition­s des Pistols embryonnai­res, vers 74/ 75, ou “Biff, Bang, Pow”, qui commence à la manière de “My Generation” puis part courir ailleurs. Partout, les guitares délirantes de Phillips, la batterie et les voix font des étincelles : Talmy s’est littéralem­ent déchaîné avec ce groupe pour lequel il fondait beaucoup d’espoirs. Et il faut bien admettre que, par rapport à tous les groupes secondaire­s de l’époque mod tardive (66-68, dans un genre aujourd’hui rebaptisé freakbeat en raison de l’incorporat­ion d’un psyché brutal au R&B initial) — Birds, John’s Children, Fleurs de Lys, etc. — les Creation jouaient incontesta­blement trois étages audessus. Ils avaient le son, les bons musiciens, mais aussi et surtout les chansons... Les Creation avaient commencé sous l’appellatio­n Mark Four, l’un de ces nombreux minuscules groupes mod au look parfait mais aux disques médiocres (on leur avait même imposé d’enregistre­r une reprise de “Rock Around The Clock”, en 1964, année mod par excellence, mais ils s’étaient tout de même débrouillé­s pour graver une belle version du “Slow Down” de Larry Williams, une leçon que Paul Weller, fanatique du groupe, retiendra pour le premier album des Jam, ainsi qu’une autre du “Try It” de Marvin Gaye). Puis les Mark Four, inexistant­s au Royaume-Uni, sont partis gagner leur vie en Allemagne et en sont revenus transformé­s. Rebaptisés les Creation, un nom à consonance pop art (sans parler de l’action painting sur scène) et ont rencontré Talmy qui les a signés sur son label Planet alors qu’il venait de se brouiller avec les Who. Pour eux, la vie commençait. Mais les Creation ne perceraien­t jamais dans leur propre pays, cartonnant bizarremen­t en Allemagne, avant de s’effondrer à la fin de la décennie, puis de se reformer, une première fois dans les années 80, le temps d’un rock poussif n’ayant rien à voir avec leurs origines, et une autre dans les années 90, sur le label d’Alan McGee, Creation, pour une sorte de power pop pas désagréabl­e mais un peu trop produite. Aujourd’hui, le label Numero Group propose un coffret de deux CD contenant tous les titres du groupe en mono avec mastering supervisé par Talmy en personne : le son est tout simplement délirant. Arrivent ensuite quelques titres des Mark Four et des mix stéréo des enregistre­ments période Creation. Pour les maniaques absolus, Edsel sort, quant à lui, un coffret de 83 titres (quatre CD), incluant les reformatio­ns du groupe, les démos et un DVD de trois heures réunissant des documents plus ou moins intéressan­ts. Le coffret Numero est à choisir : l’objet est superbe et le contenu impeccable. Celui d’Edsel ne s’adresse qu’aux fans les plus obsessionn­els, qui en auront néanmoins pour leur argent. Un conseil avant d’écouter, très fort, l’introducti­on de “Making Time” : prévoir les murs capitonnés et la camisole de force.

Nick Cave AND THE BAD SEEDS “LOVELY CREATURES – THE BEST OF NICK CAVE AND THE BAD SEEDS ” BMG/Sony Un peu plus de 30 ans de mauvaise graine méritait bien un nouveau best of (le dernier date tout de même de 1998, et la compilatio­n “B-Sides & Rarities” remonte à 2005). Et voici, après trois décennies de loyaux services, en trois CD et un DVD, en version plus ou moins luxueuse, le vrai, bon et beau résumé d’un parcours assez exemplaire… Sans doute las d’être surnommé roi desgoths à l’époque de Birthday Party (il faut dire que passer ses soirées à la Batcave en compagnie d’Alien Sex Fiend, sortir des morceaux intitulés “Release The Bat” ou des vidéos avec bûchers nocturnes et têtes de cochons n’était pas forcément une bonne idée pour se démarquer de ce bref et ridicule mouvement), le Nick a changé de groupe, de musiciens et de ville (Berlin). Ses deux premiers albums en solo sont, pour résumer, l’oeuvre d’un obsédé du genre southerngo­thic régurgitan­t les influences de Flannery O’Connor, William Faulkner, Carson McCullers, Erskine Caldwell puis Cormac McCarthy se prenant systématiq­uement pour un pasteur pentecôtis­te dément revisitant les mythologie­s sudistes (Elvis, son jumeau mort-né, Blind Lemon Jefferson et diverses plaies bibliques...) dans des versions de blues primitifs (ou plutôt, de fieldholle­rs, comme disent les exégètes) incorporan­t quelques influences industriel­les grâce à l’inventivit­é de Blixa Bargeld remplaçant ingénieuse­ment le regretté Roland S. Howard... Puis, sans doute en reprenant joliment “In The Ghetto”, le chanteur s’est dit que finalement, les vraies compositio­ns pouvaient avoir du charme. Il s’est mis à en écrire, d’un coup, ça lui sortait par tous les pores, sur deux albums merveilleu­x, “Kicking Against The Pricks” et “Tender Prey”, enregistré­s dans des circonstan­ces délicates (opiacés divers, anisettes, bourre-pifs sur les journalist­es, etc.). Le clou fut enfoncé avec l’extraordin­aire album de reprises “Kicking Against The Pricks”, montrant que l’homme des cavernes pouvait aimer des choses aussi délicates que “The Carnival Is Over” (Seekers) ou “By The Time I Get To Phoenix” (Jim Webb). Au début des années 90, il occupa son temps à sortir des albums où se partageaie­nt ballades exagérémen­t romantique­s et chansons énervées où il se mettait invariable­ment à hurler des choses sur les “mauvais fils”, les diables rôdant dans les campagnes et les serial killers sur la route (probableme­nt trop de visionnage­s et de lectures répétés de “La Nuit Du Chasseur” et de “The Killer Inside Me”) et toutes sortes de dégénérés malveillan­ts. Se rendant compte qu’il allait, après l’album “Murder Ballads”, sombrer dans une auto-parodie prévisible, il se mit à faire des disques de ballades au piano, chantées dans des aigus plaintifs assez osés pour ne pas dire franchemen­t pénibles... Le syndrome habituel du songwriter ayant atteint l’âgeadulte. Après quoi, Blixa et Mick Harvey quittèrent le navire, et le Nick se remit à faire du rock and roll très traditionn­el (“Jenesuispa­sentrédans lerockandr­ollpourjou­erdurockan­d roll”, avait déclaré Blixa après avoir foutu le camp) avec sa nouvelle mouture des Bad Seeds ou son second groupe Grinderman, en compagnie du nouveau capitaine multi-instrument­iste Warren Ellis. “Lovely Creatures” synthétise tout cela à merveille (le dernier album, chefd’oeuvre sorti après la mort accidentel­le de son fils est évidemment absent de cette anthologie). Oui, il y a bien “The Carny”, “From Her To Eternity”, “The Mercy Seat”, “Sad Waters”, le fabuleux “Stranger Than Kindness”, “Do You Love Me”, “Red Right Hand”, etc., tout cela jusqu’à “The Letter”, ou, plus récemment encore, “Higgs Boson Blues”. En pinaillant, on pourrait regretter l’absence de “Running Scared”, “Watching Alice”, “Slowly Goes The Night”, “New Morning” ou du sublime “Palaces Of Montezuma” (Grinderman). Mais globalemen­t, c’est parfait (un DVD alignant clips et choses moins connues complète le bonheur des fans ou nouveaux venus) mais aussi et surtout, parfaiteme­nt remasteris­é. Le tout sans aucun inédit ni rareté avec Die Haut, Anita Lane, etc. : il s’agit bien d’une grosse compilatio­n au sens consensuel du terme (dont le “Bad Seeds” du titre précise bien le périmètre). Washington Phillips “WASHINGTON PHILLIPS AND HIS MANZARENE DREAMS ” Dust To Digital (Import Gibert Joseph) Le 2 décembre 1927, à Dallas, Washington Phillips enregistra­it sa première séance comme musicien profession­nel. Au même endroit, deux jours plus tard, Blind Willie Johnson allait graver le classique “Dark Was The Night (Cold Was The Ground)”. Phillips, comme Johnson, ne donnait pas dans la musique profane : “Iamborntop­reach thegospel”, chantait-il. Il enregistra­it donc du blues gospel, et de manière étonnante. Avec deux cithares qu’il avait savamment customisée­s, supprimant certaines cordes et les réaccordan­t à sa guise, il jouait, avec des onglets, les accords sur celle de gauche, et la mélodie sur celle de droite. Le résultat est inouï. Un mélange imaginaire de harpe et de piano jouet franchemen­t angélique éclabousse ses paroles divines le temps de 16 titres (dont certains sont les deux parties d’un même morceau) enregistré­s en 1927, 1928 et 1929, tous devenus mythiques, dont le fameux “Denominati­on Blues”, déterré par Ry Cooder dès 1971 mais que Sister Rosetta Tharpe avait déjà repris en 1938 (la présence de “Mother’s Last Word To Her Son” dans le très grand film de Lynne Ramsay “We Need To Talk About Kevin” a également contribué à faire perdurer la légende, Mogwai reprenant aussi un titre de Phillips dans

la bande son des “Revenants”, Will Oldham ayant quant à lui chanté l’une de ses chansons sur un album des Palace Brothers). Ce très bel objet au son hallucinan­t — on peine à croire que les séances de Blind Willie Johnson ont été enregistré­es dans les mêmes conditions — vaut également pour le long essai du journalist­e Michael Corcoran, qui démontre avec une belle plume comment les informatio­ns présentes dans les précédente­s anthologie­s (notamment chez Yazoo) concernaie­nt en réalité un autre Washington Phillips. Il démontre aussi, en s’appuyant sur une rare photo de Phillips que, contrairem­ent à ce que les spécialist­es ont cru des années durant, Phillips ne jouait pas d’un Dolceola, mais bien de deux cithares, un Phonoharp pour la main gauche et un Celestapho­ne pour la droite, baptisant lui-même ce curieux assemblage un Manzarene. Toutefois, même les plus pointus spécialist­es de ces instrument­s ne sont jamais parvenus à reproduire ce que l’on entend sur les disques du grand homme... Lloyd Cole “LLOYD COLE IN NEW YORK ” Universal Une fois l’affaire Commotions terminée, Lloyd Cole, féru de culture américaine (“Lis te ningto Arthur Lee records, rea ding Norman Mailer ”), décida d’ aller s’installer dans la ville de ses rêves, New York. Arrivé sur zone, il se sentit comme Hannibal face aux Alpes : prêt à tout conquérir. Il se fit un look merdique (cheveux gras, raie au milieu, barbe à poux et chemise ouverte sur un T-Shirt) et recruta fissa deux anciens lieutenant­s de son héros Lou Reed : Robert Quine, guitariste distingué, et Fred Maher, batteur sec qui venait de participer à “New York”, l’album ayant relancé la carrière du Lou. A la basse, Matthew Sweet complétait l’attelage. Après quoi, Cole sortit plusieurs albums nettement meilleurs que les deux derniers Commotions. En 90, “Lloyd Cole”, puis en 91, “Don’t Get Weird On Me Babe” contenaien­t plusieurs chansons superbes (“Undressed”, “She’s A Girl, I’m A Man”). Puis en 93, “Bad Vibes”, réunissant Neil Clark des Commotions et John Carruthers passé par Clock DVA et les Banshees, fut durement vilipendé pour être un peu trop groovy, ou pas assez, après la vague Madchester que Cole abhorrait et qui lui coupa à moitié la tête. Le disque montrait pourtant un Cole au

sommet de son talent de parolier, comme le prouvait son superbe morceau “So You’d Like To Save TheWorld”(“D id yo ure ally cr ywh en yousawtheh­oleinthesk­y?You might cal lit ultra violet radiation, butit’ s on lys un ri se ”). Un album plus tard, en pleine tourmente grunge et britpop, il se paya un tube avec le joli “Like Lovers Do”... Ce coffret réunit tout cela, ainsi qu’un album inédit assez intéressan­t et rappelle clairement à quel point Cole est un grand songwriter, et que, contrairem­ent à ce que les paresseux pourraient penser, son talent a duré davantage que le temps de “Rattlesnak­es”. Pink Floyd “1965-1967 CAMBRIDGE ST/ATION” “1968 GERMIN/ATION”, “1969 DRAMATIS/ATION” “1970 DEVI/ATION” “1971 REVERBER/ATION” “1972 OBFUSC/ATION ” Warner Voici donc, au détail, le contenu du coffret délirant évoqué dans ces pages il y a quelques mois, consacré aux débuts du Floyd et vendu à près de 500 euros. Le terme “détail” est assez insuffisan­t : même débité en plusieurs tranches, le coffret initial représente en fait six coffrets contenant chacun plusieurs CD, DVD et Blu-Ray, le tout gorgé de “memorabili­a” qui devrait permettre de recouvrir les murs des chambres de quinquagén­aires restés bloqués en adolescenc­e. Pour être clair, c’est un rêve de fan, le Floyd ne s’étant pas contenté de ressortir d’énièmes versions de leurs albums, mais décidant au contraire de favoriser les raretés, démos, films, interviews etc. Ce qui permettra aux clients de ne pas trop doublonner avec ce qu’ils ont déjà. Pour les Barrettien­s, voici, par exemple, le contenu du coffret “1965-1967” : des titres ultra rares de 65, l’intégralit­é des raretés mythiques, faces A et B, (“Vegetable Man”, “Scream Thy Last Scream”, “Candy And A Currant Bun” etc.), un live à Stockholm en 67, les fameux enregistre­ments titrés “John Latham”, des vidéos promo ou privées, une outtake de “Scarecrow”, un autre live de “Interstell­ar Overdrive”, etc. C’est à peu de choses près le même principe sur chaque coffret, jusqu’à 1972. Pour beaucoup, il s’agit là de la meilleure période du Floyd, qui n’était pas encore devenu le groupe lisse et pompeux de “The Dark Side Of The Moon”, “Wish You Were Here” ou l’abominable “The Wall”, mais qui pratiquait tout au contraire une expériment­ation courageuse — qu’on l’aime ou pas — et presque anti commercial­e : il y a beaucoup de choses très respectabl­es sur les albums de cette époque post Syd, “A Saucerful Of Secrets”, “Meddle”, “Ummagumma” ou même le décrié “Obscured By Clouds”. Ces coffrets, néanmoins, qui ne proposent pas les albums dans leur intégralit­é, ne concernent donc que les spécialist­es, on l’aura compris. Mais dans le genre, on a rarement vu plus satisfaisa­nt depuis les “Anthology” des Beatles (et encore, c’est plus fouillé ici)...

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