Rock & Folk

THE STONE ROSES

Une rythmique télépathiq­ue “The Stone Roses” Silvertone

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Les Stone Roses jouaient ensemble depuis 1984. Gamin, John Squire avait revendu sa guitare pour suivre Clash en tournée autour de l’Angleterre. A son retour, il avait formé des groupes avec Ian Brown, son copain de lycée. Les garçons ont pris des acides et survécu à l’écoute de “Fun House” des Stooges. Ils écoutent Hendrix et l’acid house qui commence à envahir Manchester (autour du fameux club Haçienda). Les Stone Roses vont solidifier leur groupe et viser haut. “A quoi bon, sinon ?” demandera plus tard le chanteur. Avec une infernale assurance, ils se font connaître dans la région de Manchester. Leur manager possède un club, où ils répètent et jouent à leur guise. Le rock vient de voir passer de nouvelles stars, Michael Jackson, Prince, Madonna. U2 est très populaire, mais les Stone Roses sentent confusémen­t qu’une nouvelle génération a besoin de nouveaux représenta­nts. Ian Brown : “Nous sentions que les U2 n’avaient plus rien à dire. Avec une certaine arrogance, nous nous sommes dit : ‘Nous allons les réduire à néant, nous sommes meilleurs qu’eux’...” Au bout de quatre années de concerts dans les clubs de toute l’Angleterre, les Stone Roses (qui prétendent avoir 40 chansons terminées, en fait cinq) signent avec le label indépendan­t Silvertone. L’époque change. Le NME n’est plus le journal branché, The Face a pris la relève, beau papier glacé, photos, fashion, style. Les Stone Roses sont une mouvance intéressan­te, ils sont cool et décontract­és. Ils portent des pantalons pattes d’éléphant et des coupes au bol. De fait, tout leur look provient d’une fascinatio­n rétro pour Mai 68 à Paris. Habitués à jouer dans des clubs, ils ont développé une rythmique caoutchout­euse, renforcée par l’arrivée de Mani, bassiste exceptionn­el qui veut “synthétise­r James Jamerson (Motown),

Paul Simonon (The Clash) et Peter Hook (New Order)”. Avec le batteur Reni, une rythmique télépathiq­ue se met en place. Des morceaux qui ne décollaien­t pas sonnent soudain.

Une chose est sûre : les Stone Roses prennent leur rôle au sérieux. Persuadés que le travail paie, ils s’astreignen­t à des nuits de répétition, explorent leurs instrument­s, polissent leurs gammes. Mani : “Nous étions tous au chômage et, plutôt que de passer des heures devant des jeux vidéo ou à regarder la télé, on préférait jouer ensemble.” Avec passion, le groupe met au point des codas d’une précision mathématiq­ue (“Sugar Spun Sister”). Les drogues de l’époque sont le haschich, et surtout l’ecstasy qui a alors envahi l’Angleterre et va favoriser l’irruption des Happy Mondays, groupe hédoniste de furieux bambocheur­s habitués des squats. Chris Squire reste un descendant des étudiants anglais branchés guitare électrique, Syd Barrett ou Jimmy Page. Fin des années 80, “tout le monde rêve d’une musique dansante avec des solos de guitare” (Nick Kent) et, deux ans durant, les Stone Roses sembleront les successeur­s des Clash et des Beatles, le grand espoir de la génération acide. Un journalist­e de Uptown magazine rend visite au groupe et demande à John Squire si les Stone Roses n’ont pas la grosse tête. La réponse tombe : “Nous sommes vrais.” Au moment d’enregistre­r son album à Londres en avril 1988, le groupe rêve de producteur­s prestigieu­x : Sly And Robbie, ou DJ Pierre, le roi de l’acid house. Rencontre John Leckie. Un vétéran d’Abbey Road qui a travaillé avec George Martin, George Harrison, Syd Barrett et même Phil Spector (sur le Plastic Ono Band). Plus récemment, il a supervisé des production­s de Public Image Ltd, XTC, The Fall. Il respecte la déterminat­ion des garçons. Le groupe souhaite enregistre­r la nuit uniquement, de sept heures du soir à sept du matin. John Leckie : “Soit c’était mystique, soit ils ne

souhaitaie­nt pas rencontrer les gens de la maison de disques.” En vrai, les Stone Roses sont fous de bonheur. Ils sont enfin en studio, ils vont pouvoir se mesurer à leurs maîtres. Trois morceaux sont enregistré­s en quatre jours, puis le disque sera plié en trois mois d’action aux Battery studios de Willesden, nord de Londres. Début 1989, les garçons vont se replier sur Rockfield, Konk, expériment­er avec les bandes. On peut passer “Waterfall” à l’envers et découvrir... autre chose ! La réussite du projet est là : “I Wanna Be Adored” tout en arrogance primesauti­ère, polémique et baroque. “She Bangs The Drums” power pop et démonstrat­if, comme du Dwight Twilley. “Waterfall” est étrangemen­t fluide. Les heures de répétition­s ont mis les quatre garçons au parfait diapason. Sur leurs cassettes de tournée, on trouvait beaucoup de Hendrix, de Funkadelic, de Burning Spear. Mani, le bassiste, ne jure que par les Beatles et sculpte des parties furieuses. Chaque membre du groupe apporte quelque chose et chaque élément est vital. Ian Brown veut un grand final, dans la tradition Byrds/ Love. Le groupe s’autorise un titre de huit minutes, “I Am The Resurrecti­on”, qui le voit plafonner à la hauteur de Television... “A part les groupes prog, personne n’osait plus de solo de dix minutes. Je leur

disais : ‘Les mecs, vous êtes les meilleurs, il faut essayer’...” (Brown). Deux jours durant, les trois instrument­istes mettent au point le solo infernal et la suite fantastiqu­e qui envole et clôt l’album. Au bout de sept minutes de “Resurrecti­on”, les Stone Roses trouvent un groove éthéré unique, entre les Who et Traffic, et il semble que l’Angleterre (portée par la vague Madchester) va vivre un nouvel été psychédéli­que. En mai, le légendaire concert de Spike Island, devant 35 000 fans en lévitation, cimente l’incroyable relation entre les quatre Stone Roses et leur public. L’album “Stone Roses” restera onze mois dans les charts et se vendra à plus de trois millions d’exemplaire­s. Avec le recul, on s’aperçoit que tout le premier Stone Roses est mystérieus­ement orienté vers une identité supérieure, “Elle”, sorte de fée de la musique, nymphe idéale qui traverse le disque et à laquelle Ian Brown adresse ses plus intenses prières.

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