Rock & Folk

T-MODEL FORD

JAMES LEWIS CARTER FORD Entre1918 et 1925(Mississipp­i)-2013 (Mississipp­i)

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Le taulier me dit : Tu joues pour combien ? – Aucune idée, j’ai jamais joué pour du fric – 30 dollars feraient l’affaire ?” James démarre sa carrière à 58 ans dans les joints du Mississipp­i, et n’enregistre rien avant 1997 quand Fat Possum, à la recherche de méchanceté­s locales, le lance comme sa 3e antiquité punk après RL Burnside et Junior Kimbrough. Impossible d’éviter le misérabili­sme quand on évoque le blues de T-Model Ford, bouillon organique sui generis, entre le bluesman qui fanfaronne sur le sinistre que fut son existence et Matthew Johnson, le mec de Fat Possum, qui fait sa réclame de toute cette dèche. James, chaque jour de sa vie a ajouté une curiosité à son musée personnel des horreurs.

Il garde au cou le passage d’une lame et aux chevilles, la marque des chain gangs. En 2009 il joue à Paris. Little Victor lui fait : “Tu marches avec des cannes. C’est un souvenir de tes années de chaîne ? – Même pas. C’est mon vieux. Quand je faisais une connerie, il me pendait à un arbre par les pieds.” Son père lui a vraiment cassé les couilles. Une, en tout cas. Le jour où il l’a tabassé avec un morceau de bois. “A six ans, il m’a collé derrière une mule. Je ne faisais que bosser. Jamais joué avec des gamins de mon âge, jamais mis les pieds dans une école.” A 18 ans, il bute un type dans une rixe du samedi et tire deux années de trou. En 2001, ce journalist­e du New York Times veut savoir si le type en question est le seul homme qu’il ait tué. “Celui qui est passé sous les roues de ma Pontiac, je le compte aussi ?” Combien de fois est-il allé en taule ? “Ma foi, tous les samedis soirs. J’étais ce qu’on appelle un homme dangereux.” James s’est fait canarder, taillader, empoisonne­r, et il a eu 26 enfants. Dix de moins que Kimbrough. En 1973 il arrive à Greenville et se sent tout de suite chez lui dans “l’un des pires merdiers d’Amérique, le crack, la violence et toute cette

putain de dégénéresc­ence mentale” (Matthew Johnson, office du trouillism­e de Greenville). Seuls James et son batteur Spam osent encore jouer sur Nelson Street. D’ailleurs les drames ne se sont pas arrêtés avec la célébrité. Cette dame blanche de 88 ans habitait chez lui. Violée, assassinée. Les crackers sont ressortis avec 2 000 dollars. Toutes ses chansons racontent cet enfer, “Cut You Loose”, “Junk”, “Bad Man”, avec crânerie mais sans désespoir. James avait décidé une fois pour toutes que plus rien ne l’atteindrai­t. “Nobody Gets Me Down”... Les vrilles du punk ont agrippé le blues à la seconde précise où un paysan s’est avisé de brancher une guitare dans un ampli. Ce son crasseux n’était pas un choix esthétique, juste les scories d’un matériel bas de gamme aux mains de rustres et d’ingénieurs guère plus délicats. Fat Possum a isolé ce blunk du blues et du rock, et l’a imposé comme un nouveau purisme, une diagonale sur laquelle se rejoignent les moins fétichiste­s du blues, du rockabilly, du punk et du metal, Matthew Johnson semblant proclamer que lui seul détient le brevet du no future, le vrai. Entre 1997 et 2011 James enregistre 8 albums, 5 chez Fat Possum, un live chez Mudpuppy, les 2 derniers chez Alive. Sur les trois premiers, “Pee-Wee Got My Gun”, “You Better Keep Still”, “She Ain’t None Of Your’n”, Spam tape encore les gamelles derrière lui, des partis-pris juvéniles et stupéfiant­s s’enchaînent, boogies à la truelle tout en fractures ouvertes, un gros noeud de viande puis l’os à nu, des phrases simples et des rythmes tordus. Ce vieux laissé-pour-compte sort des limbes, vierge, avec une Peavey Razer, le son des Stooges, et tous les disques de Howlin’ Wolf qu’il a entendus dans les juke-boxes de Greenville. Il a une belle voix de baryton, mais ne l’exploite jamais. “T-Model Theme”, “I’m Insane”, “Let Me In”, “To The Left To The Right”, “Chicken Head Man”... La vérité qui monte dans le puits semble ne prendre source nulle part, postulat qui n’existe que chez les alchimiste­s, mais elle certifie tous les blunkers des années 2000, Jon Spencer, Black Keys ou Paulo Furtado. Ensuite James s’assagit, devient plus orthodoxe, prend une touche Howlin’ Wolf, ambiance “I Asked For Water”, comme s’il découvrait soudain son histoire et sa géographie. Seul Spam, avec qui il se brouille au moment du troisième album, est capable de le suivre. L’harmonicis­te Frank Frost, qu’il a pourtant pas mal fréquenté à Greenville et qui intervient comme il peut sur quelques titres, ironise : “Je n’étais pas consentant, il faut que le monde le sache !”. Il enregistre pourtant ses deux derniers albums chez Alive avec le groupe GravelRoad, des rockers de Seattle. Le deuxième LP, “Taledragge­r”, est un chef-d’oeuvre presque classique. Fred ne joue plus au “happy-go lucky psychopath” (copyright Matthew), mais il tire des fusées comme “Someone’s Knocking On My Door”, “Big Legged Woman” et “I’m Coming Home”. Et puis son nouvel ami, le pacemaker, lui a rappelé soudain la raison de leur rencontre.

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