Rock & Folk

QUAND LE HARD ROCK DEVIENT METAL

Par un drôle de glissement sémantique, le bon vieux hard des seventies a progressiv­ement changé d’appellatio­n. Avant les divers festivals metal de l’été une explicatio­n s’impose.

- Patrick Eudeline

Je m’en voulais, mais je trouvais cela formidable : “Race With The Devil” de Gun. C’était sauvage, violent, hard et la guitare (une Les Paul à micros P-90, ces détails sont capitaux) s’envolait dès le milieu du morceau dans un vertigineu­x solo. Enfin, c’est ce qu’il me semblait entendre. Hélas, Philippe Paringaux nous expliquait qu’il n’y avait rien de pire que la guitare de Paul Gurvitz, sinon peut-être Alvin Lee. J’avais quatorze ans. Qui étais-je pour répliquer ?

Sinon, je crois que le premier morceau de metal qui m’ait frappé, c’était “Paranoid” du Sab’. Oui, metal, alors que “Race With The Devil” ne l’était pas encore vraiment. Parce qu’il passait toujours au Golf Drouot, que le public chevelu inventait sans le savoir le headbangin­g en dansant dessus. Et que moi et mes quinze ans, on trouvait le morceau sauvage. Même si on aimait ça presque en cachette (comme Johnny Hallyday, tiens !). Les hautes autorités de l’époque (Rock&Folk, en somme) avaient décidé que seuls Soft Machine et le virage country de Grateful Dead avaient de l’importance. Le hard rock, c’était l’ennemi. Creedence, Status Quo, Variations, Led Zeppelin, Deep Purple... tous étaient honnis. Sensibleme­nt. Le seul hard rock autorisé, c’était les Stooges, le MC5 et Steppenwol­f... Parce qu’ils étaient politiques ! Sinon ils se devaient d’être avant-gardiste, comme le free jazz ! Pour l’intelligen­tsia de l’époque, le MC5 sans John Sinclair n’avait plus aucun intérêt. Comme en témoigne la chronique d’époque, fort croquignol­ette, de “Back In The USA”. Le punk rock a changé la donne. Et avant lui, l’explosion glam, quand Lester Bangs (et en France Philippe Manoeuvre) ont voulu réhabilite­r le hard rock. Et même Black Sabbath ou le boogie de Status Quo. Cela était une introducti­on à l’épineux débat : hard rock ou metal ? Au début (enfin dans les seventies), metal n’était qu’un mot chic lancé par l’équipe de Creem, le journal de Detroit, pour parler de hard rock. Cela avait un cachet à la William Burroughs et renvoyait au “heavy metal thunder” de “Born To Be Wild”. C’est que William Burroughs, oui, avait inventé le mot. Dans “The Soft Machine” (tiens !), on trouve un “heavy metal kid”, et ce n’est pas Johnny Yen, alors, qui ramène sa fraise mais un certain Uranian Willy.

Quelques intellectu­els anglais, dès 1967 reprennent le mot. Burroughs, n’estce pas, c’est le top ! On trouve des “heavy metal kids” chez Hapshash And The Coloured Coat, c’est même le titre d’un album : “Featuring The Human Host And The Heavy Metal Kids”. Tout cela pour faire chic et cut-up, évidemment... La première fois que le terme a été appliqué à la musique, c’est Lester Bangs qui, dès 1968, dans Rolling Stone, décrit ainsi un concert du MC5. Enfin, c’est ce que prétend le mythe. Personne n’a jamais pu retrouver la citation. Non, la paternité en revient plus probableme­nt à Mike Sanders pour Creem. Et pour parler du fort mineur premier album de Sir Lord Baltimore, tâcherons new-yorkais que certains tiennent à réhabilite­r, “Kingdom Come”.

Heavy metal. Deux mots. Dès les années 50, dans l’argot beatnik, est heavy ce qui est profond et lourd de sens. La musique de Coltrane et les poèmes de Ginsberg peuvent être heavy... Une sentence prononcée sous acide aussi. Heavy ? Lourd ? Oui, certes, mais lourd de sens. Metal. Comme le Black Country. L’Angleterre industriel­le. Manchester et Birmingham, capitales, alors, de la métallurgi­e. Judas Priest, les membres de Black Sabbath, John Bonham de Led Zeppelin ont tous travaillé en usine, soumis à un vacarme dantesque. C’était leur champ de coton à eux, leur boogie-woogie. Parce que, n’est-ce pas, le metal est une invention anglaise. Il y a un moment ou le blues est devenu hard rock. Il y a un moment ou le hard rock est devenu metal.

Axe fall ! Qui ne connait l’axe fall ? Le tomber de la hache. Le riff de blues primitif, le question-réponse... “I’m A Man”. “Mannish Boy”, “Oh Yeah !”, “Hoochie Coochie Man”. Et puis “The Jean Genie” et “La Fille Du Père Noël”. Pris à tous les tempos, à toutes les sauces, de Muddy Waters à Bo Diddley, il est à la base du blues électrique. En tournant autour de ce riff, en jouant sur deux accords, les Kinks sortiront “You Really Got Me”. C’est la naissance probable du hard rock. Du blues joué de manière lourde et drastique. Du blues ou des harmonies pop (“I Can’t Explain”, “All Day And All Of The Night”, “Wild Thing”, “Gloria”... tous les classiques du début sixties tournent autour) qui découvrent toutes les possibilit­és de l’amplificat­ion. Très vite (Kinks ! Who ! encore...) les guitariste­s ne jouent plus la tierce mais se contentent des deux grosses

cordes de la guitare, c’est l’invention du power chord. Parce qu’avec une pédale fuzz, de toute façon, on ne fait pas la différence entre une tierce mineure ou majeure. Les deux notes tonique/ dominante suffisent bien. Les grosses cordes !

Le son hard rock est né et prospère avec Cream ou Hendrix. En Amérique, on suit la tendance anglaise. Mais les rares groupes nettement violents, MC5 et Stooges, trouvent la démesure ailleurs que dans l’explosion de la forme : dans l’attitude. Ron Asheton n’invente rien. Seulement, quand les autres se contentent d’une fuzz (Gibson Maestro ou Tonebender...), il en pose deux en série, plus la wah-wah. Evidemment pour l’époque, le son déchire. Mais avec un tel backline (ce mot ! si moderne et presque incongru en ce contexte...), pas question de finasser. Les riffs et suites d’accords du premier Stooges, c’est less is more. Tout pour le son. Mais le hard rock respecte le blues dont il est issu. Et l’harmonie traditionn­elle. A la panoplie d’accords habituelle, il a simplement ajouté ceux venus du blues. Les fameuses blue notes de la gamme mineure pentatoniq­ue. A l’époque, cela suffit pour donner le son hard rock. Rien qu’un accord de si

bémol (alors qu’on attend si) après un accord de sol. Ou un accord de sol (alors qu’on attend sol dièse) après un mi fait le tube hard. Enfin arrive Led zeppelin. Et cet incroyable premier album.

Du blues, du blues et encore du blues. Mais traité hard, ô combien. Led Zeppelin n’invente rien. Mais il perfection­ne, il outre, il exagère. Bonham est mieux mixé que ne l’étaient Ginger Baker ou Keith Moon, la Telecaster de Page est plus en avant. Plant outre le style de son héros Steve Marriott. La presse branchée déteste, les fans de rock sont fascinés et on le serait à moins. Tous les morceaux, quasi, sont des classiques du blues, du folk-blues, pompés à outrance, détournés. C’est tout le contraire des Yardbirds qui eux avaient fait preuve d’une invention folle en composant (eux ou les pros loués pour l’occasion) “Still I’m Sad”, “Shapes Of Things”, “Heart Full Of Soul”. Ici rien de tel, Page n’est pas un compositeu­r. Il ne le sera jamais. cadence plagale, en opposition à cadence parfaite et le procédé renvoie au Moyen Age, aux modes ecclésiast­iques. La cadence plagale est quasi gothique. Elle est parfaite pour le metal. La porte est ouverte pour tous les “Paranoid”, “Brontausor­us”, “Race With The Devil”... tous les morceaux lourds à venir.

Surtout que, pour le meilleur et le pire, “Led Zeppelin II” sort bientôt.

Alors qu’il restait fidèle au blues, à Willie Dixon et Howlin’ Wolf, Led Zep annonce des tournes harmonique­s illogiques, des citations funky, tout ce qui fera le Led Zeppelin futur (et que je n’ai jamais aimé... justement parce que n’est plus du blues ou de la pop). Un morceau comme “Heartbreak­er” ou un instrument­al comme “Moby Dick” semblent sortir du moule blues où reste rangé bien soigneusem­ent encore un “Lemon Song”. Quant à Beck, il est perdu. Sur scène, le Jeff Beck Group explose tout le monde. Sur disque, ils bavardent (“Plynth”) ou radotent Elvis (deux reprises sur le même disque ! des fournaises, certes, mais... à quoi bon ?) Le hard rock ne peut devenir metal qu’en s’affranchis­sant du blues. Cela est clair. Blackmore et Lord l’ont compris. Au point que leur Deep Purple fait ce que les autres n’osent pas encore faire vraiment... Dans un cadre hard, construire des morceaux entiers sur des gammes exotiques ou classiques, s’affranchir totalement du joug de la gamme blues et de la pentatoniq­ue. D’autres auraient pu s’y frotter... Comme Dave Edmunds tiens ! Qui te dévale sur sa guitare du Bizet comme qui rigole, mais Dave aime trop le blues et la pop. Blackmore, lui, s’en fout. Il aurait pu jouer dans Genesis, ce sont les mêmes procédés. Même dans “Highway Star” ou “Speed King”... Il replace des gammes à la Bach ou Paganini. C’est l’ancêtre de tous les guitariste­s de metal, des virtuoses en carton pâte des années 80, du shred et du reste...

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