Rock & Folk

ULRIKA SPACEK

En deux albums sortis en autant d’années, le groupe londonien s’est imposé comme l’un des plus intrigants de la nouvelle scène britanniqu­e. Portrait d’un collectif mystérieux qui vit dans sa bulle.

- Eric Delsart

La première chose qui interpelle lorsqu’on se penche sur le dossier Ulrika Spacek, c’est le choix de ce nom qui prête à interrogat­ion. Carambolag­e approximat­if entre Ulrike Meinhof (membre de la bande à Baader) et Sissy Spacek (l’actrice), Ulrika Spacek n’est pas une chanteuse de l’Est mais un quintet arty versé dans le shoegaze, le krautrock et l’indie-rock façon Yo La Tengo, mené par deux guitariste­s homonymes, Rhys Williams et Rhys Edwards (qui, sans surprise, ont tous deux des ascendance­s galloises). Têtes pensantes du groupe, ils ont conçu la base de leur collaborat­ion à Berlin. “On se connaît depuis longtemps, mais on s’était un peu perdus de vue” explique Edwards, le plus volubile de ces musiciens introverti­s. “Rhys est venu me rendre visite à Berlin, et il m’a fait écouter les morceaux qu’il avait mis sur sa page Soundcloud. J’ai aimé et je lui ai proposé de faire de la musique ensemble. Quand je suis rentré à Londres, nous avons réuni des amis pour former un groupe.” En réunissant autour d’eux un batteur issu de la scène est-londonienn­e des années 2000 (Antimatter People, Sheen) et d’ex-membres de Tripwires, le groupe précédent d’Edwards, les deux Rhys ont ainsi monté une formation à trois guitariste­s qui sort de l’ordinaire.

La débrouille est une nécessité

Chez Ulrika Spacek les guitares dialoguent, un Rhys répondant à l’autre à la façon des solistes de Television, une des influences revendiqué­es

du groupe. “On ne joue pas la même chose, on ne veut pas faire de mur de son. On veut pouvoir ajouter de la texture. C’est étonnant que si peu de groupes aient trois guitares” observe Edwards. Plus qu’un groupe, c’est un véritable projet de

vie qu’Ulrika Spacek a monté, investissa­nt une

maison pour en faire son QG : “C’est une vieille maison victorienn­e que l’ancien locataire avait transformé en galerie d’art. Il a mis ce panneau avec ces trois lettres écrites en grand –K E N – au dessus de la porte d’entrée, sans doute parce que la maison est sur Kensington Road. C’est depuis le nom qu’on attribue au lieu, KEN. C’est ici que Rhys, Ben (White, bassiste) et moimême vivons. C’est à Homerton, dans le district de Hackney, dans le Nord-Est de Londres”. Un lieu fantasmago­rique qu’on peut voir dans les vidéos du groupe et qui occupe une place privilégié­e dans la genèse de son esthétique. “On a enregistré nos albums dans le salon. Nous avons la chance de pouvoir jouer de la musique sans que le voisinage ne se plaigne, et d’avoir une proprio qui soutient les artistes et garde les loyers bas”. Ulrika Spacek est l’exemple d’un groupe de son temps pour qui la débrouille est une nécessité. Le groupe vit ensemble, répète, enregistre et filme ses propres clips à la maison. Le chanteur Rhys Williams conçoit les pochettes, le groupe organise ses propres concerts dans un pub de Dalston lors de soirées nommées Oysterland. D’où une imagerie maîtrisée et une identité forte. Les Ulrika Spacek seraient-ils des control freaks ? “C’est tout ou rien pour nous, et si ça foire, on ne peux s’en prendre qu’à soi- même, confirme

Edwards. Combien de fois a-t-on entendu un musicien dire ‘Oh, le producteur n’a pas saisi ce qu’on voulait faire’ ? Nous ne voulons pas être dans cette situation, mais nous ne sommes pas pour autant fermés à des collaborat­ions”.

Plafond très bas

Ces musiciens, qui comme nombre de leurs congénères ne vivent pas de leur art mais de petits boulots, fonctionne­nt avec les moyens du bord :

“Ça reste de l’artisanat poursuit Edwards, quand on a enregistré le premier album (‘The Album

Paranoia’), on l’a fait avec un seul micro, le seul que nous avions. On a enregistré la batterie dans une toute petite pièce, avec le plafond très bas, ce qui n’était pas fantastiqu­e pour le son et ça a été perçu comme un choix esthétique alors que ça ne l’était pas vraiment, mais je trouve que c’est la beauté de la chose. Les limitation­s obligent à se montrer créatif, nous sommes toujours en train d’apprendre notre art”. Dans ces conditions particuliè­res, le groupe a conçu deux excellents albums en peu de temps et ne semble pas près de s’arrêter : “On est déjà en train de concevoir les morceaux du prochain. On envisage de changer de façon d’enregistre­r. On aimerait enregistre­r dans un endroit plus spacieux et revenir mixer chez nous. La salle a atteint ses limites. C’est un endroit fantastiqu­e pour mixer, on le sait, mais il est temps qu’on sorte de notre salon.”

“On a enregistré dans le salon”

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