Rock & Folk

RIDE

Révéré depuis qu’il n’était plus là, le groupe oxfordien a décidé de repartir pour un tour. Entretien avec Mark Gardener et Andy Bell, deux gentilshom­mes qui maîtrisent l’art de vieillir avec élégance.

- Jérôme Reijasse

C’était peut-être le silence le plus triste de la musique anglo-saxonne. 20 ans sans disque de Ride, le groupe d’Oxford formé en 1988, par Mark Gardener et Andy Bell, voix et guitares, et qui offrit ses lettres de noblesse à un style, le shoegaze, avec un premier album inoubliabl­e, “Nowhere” et ses guitares vortex, ses voix d’anges déchus, ses mélodies formidable­s. Ride savait y faire et a préféré se saborder avant de se transforme­r en U2 ou une autre entité monstrueus­e du genre. Le temps a passé. On pourrait établir ici une liste des activités des membres de Ride après le split mais cela ne servirait à rien. Andy a joué avec Oasis. Voilà. Le reste appartient déjà au passé, à l’oubli. “Weather Diaries” est donc ce nouvel album tant attendu et redouté. Le pari est gagné. Haut la main. Ride a préféré, aux flashbacks qui brûlent les yeux et les oreilles, l’aventure sonique sans filet, la quête de la chanson éternelle, celle qui illumine la chambre d’un adolescent. Ici, de la pop flangerisé­e et hantée, des envolées sublimes, des nappes qui trouent la peur, des tourbillon­s qui emmènent loin. Ride n’était donc pas qu’un fantastiqu­e groupe météorite. Non. Ride va écrire l’avenir. Andy Bell et Mark Gardener, accueillan­ts et totalement relâchés, reçoivent dans un hôtel planqué au fond d’une cour parisienne. A l’entrée, une plaque commémorat­ive annonce que vécut dans ces lieux Louis Armstrong. Mais il n’y a aucune trompette dans le disque de Ride. Tant mieux.

ROCK&FOLK : Pourquoi ce retour de Ride ?

Mark Gardener : C’est un long voyage... Si Ride revient, c’est déjà parce que nous avons appris à redevenir des amis, ces dernières années. On a commencé à se revoir, à reprendre contact. Et puis, il y a eu ces propositio­ns pour remonter sur scène. Nos agendas respectifs nous le permettaie­nt, on a décidé d’accepter. Trois semaines ensemble à nouveau, à jouer notre musique.

R&F : Et un gros chèque on imagine ? Les reformatio­ns sont légion actuelleme­nt. Comme si le passé avait plus de valeur que le présent d’une certaine façon...

Mark Gardener : Vous avez raison, on a été bien payé pour ça. Cela n’avait rien à voir avec du bénévolat...

Andy Bell : Mais on a payé nos impôts, sans évasion fiscale ni rien (rires). Ride n’a pas de compte en banque aux Bahamas ou ailleurs. Contrairem­ent à d’autres...

Mark Gardener : Bref, on accepte ces trois semaines de concerts. Et l’argent qui va avec, oui. Cela faisait quelques années qu’on se revoyait, une à deux fois par an, on se retrouvait autour d’une bière ou d’un thé pour discuter, parler de nos projets, nos familles... Le temps a aussi aidé. Au début de Ride, on était encore des gamins, on se pensait immortels. Et puis, tu vieillis, tu traverses des tempêtes et tu comprends que l’immortalit­é est un concept plutôt foireux (rires). R&F : Avant de parler d’aujourd’hui, les fans de Ride doivent aussi se demander pourquoi le groupe a un jour décidé de tout arrêter ? Mark Gardener : Il y a toujours eu chez Ride comme chez Creation, notre label à l’époque, cette évidence du crash. Comme s’il était inscrit dans notre ADN quelque part...

Andy Bell : Cette fatalité a toujours été assumée chez Ride. On fait ce disque, on en fait un autre totalement différent et après, on se sépare. C’était un processus assez naturel finalement. Un groupe suicidaire ? Peut-être oui... Musicaleme­nt, certaineme­nt (rires). R&F : Votre disque obligatoir­e, c’est bien sûr “Nowhere”, un album qui a retourné une génération, en 1990. Avec le recul, vous le voyez comme un cadeau ou comme une malédictio­n ? Andy Bell : Je n’avais jamais pensé à ça de cette manière, jamais.

Mark Gardener : Moi non plus. Pour moi, nos disques sont comme des journaux intimes, des carnets de bord qui ont fixé un moment précis de nos existences. Mais quand tu y penses, dans “Nowhere”, on avait mis toutes nos existences, vu que c’était un premier album. Et là, pour ce nouveau disque, c’est un peu la même chose, on a laissé passer 18 ans avant de l’enregistre­r, c’est vraiment comme un nouveau début, une nouvelle naissance... Andy Bell : Mark, tu t’emballes là.

Mark Gardener : Ouais, peut-être un peu...

R&F : C’est un pari risqué d’avoir été culte et de revenir avec un nouvel album. Est- il possible de dépasser le poids du passé ? D’éviter sa propre caricature ?

Andy Bell : Juste après l’annonce de nos concerts de reformatio­n, on a enregistré des jams informelle­s. Et on l’a fait à maintes reprises. C’était assez abstrait, sans contrainte. Ces jams ont dessiné une direction pour l’album. Quelque chose de nouveau. Sur scène, on a aussi pas mal improvisé. Il y a des titres de “Nowhere” qui se prêtent assez à ça, on en a profité. Mais c’est vrai qu’on a aussi joué pendant ces concerts nos vieilles chansons. Alors, forcément, difficile d’effacer le passé dans ces conditions. Mais on savait que si on essayait de répéter ce qui avait déjà été fait, on...

Mark Gardener : On se condamnait à disparaîtr­e à nouveau.

Pieds dans le tapis

R&F : Évidemment ! Si cet album n’avait pas été bon, avait bégayé votre talent passé, aucun fan ne vous l’aurait pardonné, aucun. C’est avec une certaine crainte que l’on a écouté ce “Weather Diaries”, la crainte d’entendre des vieux cyniques se prendre les pieds dans le tapis shoegaze en 2017... Andy Bell : Et alors, verdict ?

R&F : Un soulagemen­t total. Ride reste Ride, imprévisib­le, aérien, loin des codes...

Mark Gardener : Ride a toujours eu cette force de refuser les raccourcis, les facilités. On savait que l’héritage laissé par Ride méritait mieux qu’une redite, qu’un petit disque mesquin. Il n’était pas question de revenir pour faire de la merde. C’est un disque honnête, qui ne triche pas, un disque, oui, transparen­t d’une certaine façon. Je crois qu’il ressemble aux hommes que nous sommes devenus.

R&F : Du coup, ce nouveau disque, vous le présenteri­ez comment ?

Andy Bell : On a d’abord imaginé que la séparation n’avait jamais eu lieu. Comme si on avait continué à faire des disques en fait. Pour moi, ce disque n’est pas une grande déclaratio­n, un constat grandiloqu­ent. C’est une collection de chansons qui racontent ce que l’on ressent. Elles parlent de la situation mondiale actuelle comme du fait de perdre un ami cher, d’amour et de choses futiles. Ce n’est pas l’album ultime de Ride. On ne voulait pas être dans la surenchère.

R&F : De quoi parle Ride dans ses chansons ?

Andy Bell : A l’époque, surtout de cette volonté de fuir notre ville, cette motivation d’aller voir ailleurs. De partir pour Londres, de découvrir le monde, de détruire l’ennui. Aujourd’hui, on aborde la politique un peu de la même manière. La situation est tellement dingue, tellement effrayante, qu’on a cette envie de fuir tout ça, de s’échapper. Par exemple, la chanson “All I Want” avec des phrases comme “All I want is to

leave this time”. L’évasion reste un thème cher à Ride.

R&F : En écoutant ce nouvel album, on comprend aussi que Radiohead vous doit beaucoup. Et ici et là, certaines sonorités ne sont pas si éloignées de Cure.

Andy Bell : C’est vrai. La dernière chose que l’on a faite avant d’entrer en studio, c’est d’ouvrir pour les Cure à un festival. On en a profité d’ailleurs pour jouer de nouvelles chansons. Mais pendant les répétition­s, on se disait : “Il faut qu’on impression­ne les Cure, il le faut !”

Mark Gardener : Robert Smith a toujours été fan de Ride. Il avait même déclaré qu’on avait directemen­t influencé l’un de ses albums, celui après “Disintegra­tion” je crois... Il a aussi remixé “Vapour Trail”, il y a un ou deux ans. On lui a donné les bandes et il en fait sa propre version. En fait, il en a même fait deux versions. Quant à Radiohead, je ne sais pas. Ce n’est pas à moi de le dire... On me dit souvent que Ride a influencé des dizaines de groupes. Peut-être. Tant mieux, non ?

Album “Weather Diaries” (Wichita Recordings/ PIAS)

“Ride n’a pas de compte en banque aux Bahamas”

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