DAN le producteur
D’albums lo-fi en succès commerciaux, l’Américain a aussi enregistré les disques des autres.
Avant Dan, il y eut Dan. L’autoproclamé outsider, le rouquin timide aux longs cheveux, chemise à carreaux et jeans délavé, qui avalait les miles en compagnie de son
frère Patrick, à bord d’un Plymouth Grand Voyager poisseux. L’ascension fut lente, l’explosion imprévue, le sacre mérité. L’exploration des temps anciens révèle pourtant d’estimables trésors. Dès 2002, les Black Keys capturent dans leur cave l’essentiel de leur premier album, “The Big Come Up”. Ils expédient cette démo à Patrick Boissel, patron du label Alive Records. Dan entretient une excellente relation avec ce dernier, si bien qu’il en devient quasiment, à partir de 2006, son producteur maison, amenant des groupes découverts lors de ses longs mois sur la route. La collaboration est initiée avec
SSM, supergroupe mineur du garage-rock de Detroit fondé par John Szymanski, exHentchmen. De 2007 à 2009, dans son home studio d’Akron, Dan Auerbach ravive à lui seul la flamme de l’underground américain. Il embraye immédiatement lorsque le prodige hendrixien Parker Griggs, mieux connu depuis comme démiurge de Radio
Moscow, lui fait écouter ses incandescentes prouesses. Il prend en main le sauvage duo soul punk Black Diamond Heavies (“A Touch Of Someone Else’s Class”). Même chose pour les Buffalo Killers, power trio à la fois hard rock et laid back, mélangeant Cream avec les harmonies de Byrds (“Let It Ride”). Il y aura aussi la fratrie d’Hacienda, esthètes chicanos tenants d’une certaine école de la pop sixties (Beatles, Beach Boys, Zombies). Mais sa découverte la plus
L’ascension fut lente, l’explosion imprévue, le sacre mérité
sensationnelle restera la plus confidentielle : les époustouflants Brimstone Howl, culs terreux mystico-christiques du Nebraska, chantres d’un garage-rock rageur, explosif et flamboyant, sortes de Strokes biberonnés aux
Nuggets. Dan cherche alors à coller au plus près au style de ses poulains, privilégiant un son organique le plus fidèle possible. 2009 est une année de grande dispersion, puisqu’il enregistre presque seul un premier opus solo hétéroclite, “Keep It Hid”. C’est aussi l’année de Blakroc, discutable projet associant les Black Keys à des stars du rap comme RZA, Raekwon ou Mos Def. L’année suivante marquera un tournant décisif, celui de “Brothers”, énorme succès mondial aux multiples Grammy Awards, qui permet aux Black Keys de trouver leur signature sonore, avec la précieuse aide de Danger Mouse. Par la suite, plus rien ne sera jamais comme avant. Retranché à Nashville dans un nouveau studio plus luxueux (Easy Eye Sound), Dan semble désormais vouloir plaquer le style de son groupe sur chacune de ses productions : groove souple et sensuel, basse lubrique, solos parcimonieux, orgue vibrionnant, clochettes et claquements de mains. Les premières victimes en sont les pauvres Hacienda, complètement annihilés sur “Shakedown”. Même potion pour les excellents Reigning Sound (“Abdication... For Your Love”) ou Dr
John, mais l’amalgame y est cette fois fort délectable : le sorcier de la Nouvelle Orléans trouve une seconde jeunesse sur “Locked Down”, où l’on croise au passage Leon Michels et Nick Movshon (futurs The Arcs), ainsi que Brian Olive (The Greenhornes, Soledad Brothers). Hanni El Khatib résiste tant bien que mal à l’influence du producteur sur le teigneux “Head In The Dirt”. Les
Growlers, alors confidentiels, préfèrent courageusement réenregistrer “Hung At Heart” lorsqu’ils écoutent le résultat des séances avec Auerbach, trop propret à leur goût. Après un disque pour Lana
Del Rey (“Ultraviolence”) et le classieux “Supernova” pour le chanteur folk/ soul
Ray LaMontagne, Dan Auerbach phagocyte les chevelus grunge de Cage The
Elephant, dont le domestiqué “Tell Me I’m Pretty” est logiquement très populaire : la ballade “Trouble” par exemple, taillée pour les radios. En 2015, il monte The Arcs, avec quelques amis musiciens de studio (pour le très cool “Yours, Dreamily”), qui figureront tous au générique d’ “Alone”, album signé des Pretenders qui est en réalité une très honorable collaboration entre Chrissie Hynde et Auerbach. ■