Rock & Folk

DAN le producteur

D’albums lo-fi en succès commerciau­x, l’Américain a aussi enregistré les disques des autres.

- JONATHAN WITT

Avant Dan, il y eut Dan. L’autoprocla­mé outsider, le rouquin timide aux longs cheveux, chemise à carreaux et jeans délavé, qui avalait les miles en compagnie de son

frère Patrick, à bord d’un Plymouth Grand Voyager poisseux. L’ascension fut lente, l’explosion imprévue, le sacre mérité. L’exploratio­n des temps anciens révèle pourtant d’estimables trésors. Dès 2002, les Black Keys capturent dans leur cave l’essentiel de leur premier album, “The Big Come Up”. Ils expédient cette démo à Patrick Boissel, patron du label Alive Records. Dan entretient une excellente relation avec ce dernier, si bien qu’il en devient quasiment, à partir de 2006, son producteur maison, amenant des groupes découverts lors de ses longs mois sur la route. La collaborat­ion est initiée avec

SSM, supergroup­e mineur du garage-rock de Detroit fondé par John Szymanski, exHentchme­n. De 2007 à 2009, dans son home studio d’Akron, Dan Auerbach ravive à lui seul la flamme de l’undergroun­d américain. Il embraye immédiatem­ent lorsque le prodige hendrixien Parker Griggs, mieux connu depuis comme démiurge de Radio

Moscow, lui fait écouter ses incandesce­ntes prouesses. Il prend en main le sauvage duo soul punk Black Diamond Heavies (“A Touch Of Someone Else’s Class”). Même chose pour les Buffalo Killers, power trio à la fois hard rock et laid back, mélangeant Cream avec les harmonies de Byrds (“Let It Ride”). Il y aura aussi la fratrie d’Hacienda, esthètes chicanos tenants d’une certaine école de la pop sixties (Beatles, Beach Boys, Zombies). Mais sa découverte la plus

L’ascension fut lente, l’explosion imprévue, le sacre mérité

sensationn­elle restera la plus confidenti­elle : les époustoufl­ants Brimstone Howl, culs terreux mystico-christique­s du Nebraska, chantres d’un garage-rock rageur, explosif et flamboyant, sortes de Strokes biberonnés aux

Nuggets. Dan cherche alors à coller au plus près au style de ses poulains, privilégia­nt un son organique le plus fidèle possible. 2009 est une année de grande dispersion, puisqu’il enregistre presque seul un premier opus solo hétéroclit­e, “Keep It Hid”. C’est aussi l’année de Blakroc, discutable projet associant les Black Keys à des stars du rap comme RZA, Raekwon ou Mos Def. L’année suivante marquera un tournant décisif, celui de “Brothers”, énorme succès mondial aux multiples Grammy Awards, qui permet aux Black Keys de trouver leur signature sonore, avec la précieuse aide de Danger Mouse. Par la suite, plus rien ne sera jamais comme avant. Retranché à Nashville dans un nouveau studio plus luxueux (Easy Eye Sound), Dan semble désormais vouloir plaquer le style de son groupe sur chacune de ses production­s : groove souple et sensuel, basse lubrique, solos parcimonie­ux, orgue vibrionnan­t, clochettes et claquement­s de mains. Les premières victimes en sont les pauvres Hacienda, complèteme­nt annihilés sur “Shakedown”. Même potion pour les excellents Reigning Sound (“Abdication... For Your Love”) ou Dr

John, mais l’amalgame y est cette fois fort délectable : le sorcier de la Nouvelle Orléans trouve une seconde jeunesse sur “Locked Down”, où l’on croise au passage Leon Michels et Nick Movshon (futurs The Arcs), ainsi que Brian Olive (The Greenhorne­s, Soledad Brothers). Hanni El Khatib résiste tant bien que mal à l’influence du producteur sur le teigneux “Head In The Dirt”. Les

Growlers, alors confidenti­els, préfèrent courageuse­ment réenregist­rer “Hung At Heart” lorsqu’ils écoutent le résultat des séances avec Auerbach, trop propret à leur goût. Après un disque pour Lana

Del Rey (“Ultraviole­nce”) et le classieux “Supernova” pour le chanteur folk/ soul

Ray LaMontagne, Dan Auerbach phagocyte les chevelus grunge de Cage The

Elephant, dont le domestiqué “Tell Me I’m Pretty” est logiquemen­t très populaire : la ballade “Trouble” par exemple, taillée pour les radios. En 2015, il monte The Arcs, avec quelques amis musiciens de studio (pour le très cool “Yours, Dreamily”), qui figureront tous au générique d’ “Alone”, album signé des Pretenders qui est en réalité une très honorable collaborat­ion entre Chrissie Hynde et Auerbach. ■

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