Rock & Folk

Parlez-vous shoegaze ?

Que signifie ce terme trouvé par un journalist­e anglais exalté au début des années 90 ? Une bonne fois pour toute voici la définition du rock qui regarde ses chaussures.

- PAR CHRISTOPHE BASTERRA

Dans la deuxième moitié du vingtième siècle, en Angleterre, les hebdomadai­res musicaux, NME et feu Melody Maker en tête, faisaient (presque) la pluie et le beau temps lorsqu’il était question de la carrière d’un groupe, de la naissance ou la mort d’un mouvement. Ainsi, dès la fin des années 70, il ne s’écoule pas une semaine sans que l’on ait trouvé les “nouveaux Sex Pistols”, puis les “nouveaux Smiths” alors que les “néo-romantique­s” se voient submergés par la vague “gothique”. Et ainsi de suite... Au début des années 90, cette presse toute puissante se lasse de la scène de Manchester qu’elle a largement contribué à monter en épingle — la fameuse Madchester, avec les Stone Roses et les Happy Mondays en chefs de file. Au même moment, outre-Atlantique, des groupes aux cheveux longs et aussi sales que leur son, presque tous signés sur le label de Seattle Sub Pop, commencent à intriguer quelques journalist­es. Mais dans la prude Albion, les médias peinent à trouver des artistes dignes de ce nom.

Vraie fausse timidité

C’est au printemps 1991 qu’apparaît dans les colonnes du Sounds le terme shoegazers — “ils contemplen­t leurs pompes” — lors d’une chronique live du groupe Moose. Dès lors, shoegaze ou shoegazing va qualifier une ribambelle de musiciens qui pallient l’absence de charisme par une vraie fausse timidité, cachés derrière un mur de guitares et de fumigènes. Mais qui donc appartient à ce mouvement, également baptisé the scene that celebrates itself” (la scène qui s’auto

congratule) afin de souligner la propension de ces artistes à assister aux concerts des uns et des autres en toute conviviali­té ? D’une moyenne d’âge plutôt jeune, ces formations nées pour la plupart à la fin des années 80 noient sous des pédales d’effets des guitares accompagna­nt des mélodies empreintes de spleen idéal, susurrées par de fragiles voix masculines et/ ou féminines. Hasard ou pas, elles sont presque toutes originaire­s de Londres et de sa banlieue Sud (on pousse jusqu’à Reading et Oxford), bien loin, donc, des milieux ouvriers du Nord du pays. Elles comptent quatre sources principale­s d’inspiratio­n. A commencer par la new wave, en particulie­r la magistrale trilogie suicidaire de The Cure (“17 Seconds”, “Faith” et “Pornograph­y”) et un groupe porté par la “voix de Dieu” d’Elizabeth Fraser, Cocteau Twins, qui deviendra a posteriori le véritable parrain de la scène. Les larsens maitrisés de Jesus And Mary Chain, tout comme la mélancolie bleutée des méconnus AR Kane, ont également eu un énorme impact sur ces jouvenceau­x. Qui, d’autre part, connaissen­t bien les fondamenta­ux, puisant dans la pop américaine de la deuxième moitié des sixties : The Byrds (dont l’influence capillaire est également majeure à voir les photos de Ride ou Slowdive), Lee Hazlewood, Dennis Wilson, l’incroyable album d’American Spring, sans oublier Love et son chef-d’oeuvre “Forever Changes”. Et si le mouvement n’a hérité de son nom qu’en 1991, les exactions musicales ont débuté bien avant. D’ailleurs, pour nombre d’observateu­rs avertis, le premier album shoegaze voit le jour dès 1988 : il s’agit d’“Isn’t Anything” de My Bloody

Valentine, dont le fameux “Loveless” (1991), aux chansons en équilibre parfait entre le feu et la glace, est considéré comme l’un des musts du genre, consacrant le groupe, à son corps défendant, comme le référent absolu du mouvement. Dès 1990, les quatre angelots de Ride ont signé un brelan de EP et un premier album, “Nowhere”, qui imposent leurs chansons pop bruyantes et brillantes. L’année suivante, Slowdive, au nom emprunté à une chanson de Siouxsie &

The Banshees, offre une ode à la mélancolie intitulée “Just For A Day” avant de réaliser en 1993 l’excellent “Souvlaki” avec l’aide de Brian Eno. Menée par deux filles,

Lush propose à ses débuts un son plus brut, mais en embauchant Robin Guthrie des Cocteau Twins pour la production de “Spooky”, le quatuor glisse vers une jolie pop éthérée. Plus âgés que leurs comparses, les deux mentors de Moose signent trois EP impeccable­s, suivis d’un superbe album, “XYZ”, où ils dévoilent leurs penchants pour la country et la pop arrangée. Swervedriv­er, Catherine Wheel, Curve,

Chapterhou­se et ses rythmiques samplées sont autant de noms qui ont contribué à la popularité de cet éphémère mouvement. Ephémère car dès le début de l’année 1993, la presse s’affaire désormais à enfanter la britpop tandis que la majeure partie des acteurs ont d’autres aspiration­s : certains musclent leur jeu, d’autres explorent des atmosphère­s ambient ou des territoire­s plus classiques, d’aucuns se séparent. Pourtant, un quart de siècle plus tard, la mouvance shoegaze reste pertinente. Preuve en est de l’enthousias­me suscité par les retours de Lush, Ride et Slowdive ou par le nombre de groupes qui, des deux côtés de l’Atlantique, revendique­nt l’héritage.

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